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Chloroquine : les doutes qui pèsent sur la rigueur de l’étude du professeur Raoult expliqués par un biostatisticien
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Coronavirus

Métier d'aide à la décision, le biostatisticien est chargé de la conception et du développement de méthodologies statistiques dans les études cliniques et épidémiologiques. Or l'étude récente du Professeur Raoult comporte plusieurs points contestables de ce point de vue.

Stéphane Morisset

Stéphane Morisset

Stéphane Morisset est expert indépendant en biostatistiques.

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Atlantico : Vous vous êtes fait connaître récemment sur les réseaux sociaux en publiant une critique détaillée de l’essai du Pr Raoult, dont les premiers résultats prouveraient qu’un traitement à la chloroquine est efficace contre le Covid-19. En tant que biostasticien indépendant, quel est votre point de vue sur cette étude ?

Stéphane Morisset : Avant même de lire l’étude, l’attitude du Pr Raoult dans les médias m’a invité à la méfiance. Je me suis étonné de voir cet infectiologue « réputé » crier victoire contre le Coronavirus avant même la publication des résultats de son étude ( qui l’on été autour du 19-20 mars ). Dans le domaine des essais cliniques, il ne faut jamais crier victoire trop vite. C’est une règle d’or que tout le monde connaît dans le milieu. En temps normal il faut un mois et demie-deux mois pour avoir des résultats préliminaires sur une étude. Là tout s’est passé trop vite.

À cela s’ajoute le fait que le Pr Raoult préconisait dans son discours médiatique un traitement anti-paludique (la chloroquine)  qui n'est pas sans effet secondaire notoire. Un motif supplémentaire à mes yeux d’être prudent vis-à-vis de ce remède « miracle ». 

Lorsqu’elle a été disponible gratuitement, j’ai téléchargé l’étude en ligne. 

Dès le départ, tout va mal. L’essai du Pr Raoult est dit « ouvert », c’est à dire que le praticien sait quel patient a un traitement ou non.  L’essai est également « non randomisé »: les personnes traitées ne sont pas reparties au hasard. Le b.a ba de tout essai clinique n’est déjà pas respecté.

Le 'gold standard' des essais cliniques c'est  "prospectif et randomisé en double aveugle" : les patients ne savent pas s'il prennent le traitement d'intérêt ou le traitement standard, le praticien non plus. C'est la meilleure façon d'éviter les biais de sélection et d'avoir des profils de patients malades comparables dans les 2 bras. Ainsi dans son essai le Pr Raoult peut « guider » les résultats vers ceux qui corroborent sa théorie.

Second point: parmi les patients inclus, on peut retrouver des personnes symptomatiques modérés, c'est à dire qui peuvent guérir seules en restant confinées. Dés lors je ne saisis pas bien l'intérêt.

Troisième point qui me choque particulièrement : parmi les 26 patients traités à la chloroquine, 6 ont été écartés des analyses et ne figurent pas dans les résultats analysés dans son graphique et conclusions. Parmi ces 6 : trois patients sont allés en réanimation, un a quitté l'étude à cause des effets indésirables (nausées) peut-être dûs au traitement, un autre a quitté l'étude (sans raison?) et le dernier est décédé alors qu'il avait une charge virale négative !

On compte également parmi les patients, heureusement (!) dans la branche non traitée, des enfants de moins de 12 ans. C’est une chose impensable dans ce genre d’étude clinique. Éthiquement parlant, tout cela est extrêmement moyen …

Dernier point, un des auteurs de cette étude (publiée en 24 heures, un record)  est l'éditeur en chef de la revue dans laquelle elle a été publiée… On nage en plein  copinage. En temps normal, une revue scientifique est relue par des experts indépendants (issus du même domaine que l'auteur, un statisticien...) afin de la critiquer, la challenger, la revoir, ou la rejeter avant toute publication. Ici ça n'a clairement pas été le cas...

Concernant les données de l’étude, quels éléments vous ont alerté?

Les délais depuis les 1ers symptômes sont très hétérogènes ou avec des données manquantes: la charge virale des patients (la concentration de virus) journalière par exemple comporte de nombreuses données manquantes (ND, NF…).  De possibles "faux-négatifs" dans les résultats de virologie. Il manque également dans le tableau les données de co-morbidités de patients qui peuvent influencer l'interprétation des résultats. Seuls 4 contrôles sur 16 ont leur suivi dûment remplis. Ces données manquantes augmentent la marge d’erreur. Quand on regarde ces conditions d’étude, on voit un vrai travail d’amateur.

Concernant les graphiques, les patients traités à la chloroquinine et à l’azythromycine sont indiqués par la ligne verte qui tombe à 0%. Cela donne le sentiment de résultats probants. Aussi, on ne compare pas ces résultats à un placebo… car il n'y en a pas.

De plus, ces patients ne sont que six. La différence entre les contrôles et ceux sous traitement est donc importante, ce qui rend les statistiques « significatives ».  Mais un effectif aussi faible est forcément synonyme d'avoir des résultats probants... à tort. On ne peut pas extrapoler des résultats et des recommandations de prescription basée que sur 6 patients. La puissance de ce genre d'analyses dépend de la taille de l’échantillon. Dans ce cas-ci, les résultats peuvent être dus au hasard.

Même si les résultats partiels de cette étude semblent faibles à vos yeux, y a-t-il pour autant un risque à se soigner à la chloroquine pour les personnes touchées par le Covid-19 ?

L'association de chloroquine et d’azythromycine peut semble-t-il créer des arrythmies cardiaques. Comme je l’ai prouvé plus haut, cette étude, laconique et incomplète, ne démontre en rien l'efficacité de la chloroquine sur le plan statistique. Si vous êtes un cas modéré, vous prenez plus de risques en en consommant que si vous combattez la maladie sans rien prendre. 

Je tiens à rappeler que d'autres traitements sont en cours d'essai (au moins 3 différents), ainsi que des vaccins. Prochainement une étude française sérieuse sera présentée (Discovery), à laquelle il faudra être attentif. En attendant, il faut garder la tête froide, et s’armer de patience, sous peine de voir s’ajouter à la crise sanitaire en cours un nouveau scandale de type Mediator.

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