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Le Coronavirus sera-t-il à l’UE et l’Occident ce que Tchernobyl fut pour l’URSS ?
©ALBERTO PIZZOLI / AFP

Quand la Chine vole au secours de l’Italie

On a beaucoup opposé ces dernières semaines le modèle autoritaire chinois au modèle démocratique occidental. Et si le vrai sujet était beaucoup plus celui de la concurrence des civilisations...

Nicolas Baverez

Nicolas Baverez

Nicolas Baverez est docteur en histoire et agrégé de sciences sociales. Un temps éditorialiste pour Les Echos et Le Monde, il analyse aujourd'hui la politique économique et internationale pour Le Point.

Il est l'auteur de Lettres béninoises et de Chroniques du déni français aux Editions Albin Michel.

 
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Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico.fr : Alors que la crise du coronavirus continue de faire rage dans le monde et que les analystes ont beaucoup opposé le modèle autoritaire chinois et le modèle démocratique occidental dans la gestion de cette crise, il semblerait qu'un monde bipolaire soit en train de se redessiner.

Le coronavirus peut-il être à l'UE ce que Tchernobyl a été à l'URSS ? Le Parti Communiste chinois peut-il se renforcer grâce à sa meilleure gestion de la crise du coronavirus ?  

Nicolas Baverez : La pandémie de coronavirus constitue un test pour la capacité des systèmes politiques à gérer les risques globaux du XXIème siècle. Tchernobyl, en 1986, avait souligné l’inefficacité chronique du régime soviétique et le mépris absolu des dirigeants pour la population ; Mickael Gorbatchev s’en servit comme d’un levier pour accélérer la glasnost et la perestroïka, libérant les forces qui provoquèrent l’effondrement de l’URSS et de son empire. La catastrophe sanitaire que nous vivons est véritablement planétaire ; elle met en évidence les faiblesses et les forces des grands blocs qui se partagent désormais le monde.

Le total-capitalisme chinois fut dramatiquement défaillant dans la prévention de la crise, dont il n’a accepté de révéler l’existence que sous la pression des réseaux sociaux, mais s’est montré efficace dans sa gestion. Elle a privilégié des mesures drastiques de confinement, qui ont été servies par le caractère autoritaire du régime, l’obéissance de la population et le recours massif à la technologie. Xi Jinping, fragilisé, a fait le choix inverse de Gorbatchev qui reste un repoussoir pour les dirigeants chinois, en renforçant la centralisation du pouvoir, le contrôle de la population par la surveillance numérique et la répression de toute forme d’opposition. Avec pour résultat une sortie de crise rapide. Singapour et la Corée du Sud ont de même réussi à maîtriser l’épidémie en jouant sur la discipline de sa population mais aussi sur un recours massif aux technologies, notamment pour assurer un dépistage systématique et en temps réel de la population. 

Les démocraties ont sous-estimé le fléau en entretenant l’illusion qu’il resterait pour l’essentiel cantonné à l’Asie. A l’image de l’Italie, elles sont confrontées à l’emballement de la contagion au moment où celle-ci se stabilise  en Chine et en Corée. Comme pour le réchauffement climatique, les Etats-Unis, sous l’influence du national-populisme de Donald Trump, se sont installés dans le déni en cultivant l’illusion que l’Amérique était une île hors du monde. Avec des conséquences lourdes tant sur le plan sanitaire pour les quelque 40 millions d’Américains qui ne disposent pas d’une assurance-santé que sur le plan économique et financier. L’Europe a une nouvelle fois fait la preuve de son impuissance et de ses divisions. La préparation a été gravement défaillante, ce qui se traduit par des pénuries de matériel, d’équipements de protection et de médicaments. La solidarité ne fonctionne pas comme le montre l’absence de soutien à l’Italie, notamment pour l’envoi de kits de dépistage. Il n’y a ni leadership, ni stratégie sur le plan sanitaire comme sur le plan économique où l’on reprend l’arsenal des mesures de 2008 qui sont totalement inadaptées à un quadruple choc touchant l’offre, la demande, le crédit et le pétrole. Tout comme face aux migrants et au chantage de la démocrature islamique turque de Recep Erdogan, l’Union est en passe de perdre un nouveau test clé pour sa crédibilité. Et cet échec pourrait être celui de trop.              

Enfin, le drame le plus ample reste aujourd’hui caché. Il va se dérouler dans les pays qui refusent toute transparence sur l’épidémie comme l’Iran et au sein des pays émergents dont les systèmes de santé sont défaillants ou effondrés, notamment en Afrique.     

La pandémie de coronavirus éclaire ainsi les points faibles de tous les modèles, y compris celui de la Chine. Mais il est bien vrai que l’avantage restera à ceux qui sortiront les premiers de la crise. Et la Chine fait une nouvelle fois la course en tête, même si le prix est très lourd à payer pour sa population.   

Edouard Husson : Nous sommes en effet en train d'assister à la fin de l'Union Européenne. A quoi sert-elle? Elle a empêché de fermer les frontières nationales à temps; non pas que Schengen interdise absolument à un pays d'invoquer une situation d'urgence -l'Autriche le fait; mais les mentalités sont tellement formatées qu'Emmanuel Macron reproche à la Slovénie de fermer sa frontière avec l'Italie. Notre président fait en effet penser à ces dirigeants de l'URSS finissante incapables de changer de logiciel. Il est absurde de maintenir les élections municipales alors qu'on ne sait pas ce qui va se passer. On prend le risque de faire de chaque bureau de vote une mini-buvette de l'Assemblée nationale! 

Regardez comme l'Allemagne refuse d'aider l'Italie en lui envoyant du matériel. Il faut dire que l'Allemagne n'a pas assez de tests ni de lits d'hôpitaux à disposition elle-même. Et elle n'envisage pas de demander du quantitative easing à la BCE. Non, l'Europe mourra....guérie par l'ordo-libéralisme. 

Alors évidemment la Chine qui a mis le monde dans le pétrin se dit qu'il y a un coup de propagande à jouer: elle envoie masques et tests en Italie.  On ne sait pas s'il faut pleurer du ridicule infligé à la France et à l'Allemagne ; ou rire devant l'imposture d'un régime néo-totalitaire qui a l'indécence de donner désormais des leçons au monde. 

Pour ma part, je ne crois pas du tout que le régime chinois sorte renforcé. Au contraire, la crise a montré les failles du régime. La population, vieillissante, a pu constater le mépris dans lequel le PCC tient les personnes âgées. Nous allons assister, dans la grande tradition maoïste, à une bonne dose de propagande. Mais je ne serais pas étonné que Xi soit mis en difficulté prochainement par le reste de la direction du parti. Et je suis sûr que nous ne sommes pas au bout de nos surprises : c'en est fini du "modèle chinois ". 

La Chine privilégiant depuis tout temps la communauté et le collectif et l'Occident le triomphe de l'individu, ces différences culturelles ont-elles un impact dans la gestion du coronavirus ? Sommes-nous en train d'assister à un nouveau clash des civilisations ? 

Nicolas Baverez : Tout comme la démondialisation, la rebipolarisation du monde était engagée avant l’épidémie de coronavirus, avec la confrontation globale qui s’est installée entre les Etats-Unis et la Chine depuis l’élection de Donald Trump. Mais elle se trouve formidablement accélérée. Les raisons de sécurité qui sous-tendent la guerre commerciale et technologique lancée par les Etats-Unis contre la Chine sont renforcées par cette crise et Washington ne manquera pas de s’en servir pour faire pression sur ses alliés afin qu’il réduisent leur dépendance à Pékin. Le krach boursier et pétrolier relance la guerre des monnaies. La coopération internationale est à l’arrêt alors qu’elle n’a jamais été aussi nécessaire depuis le krach de 2008.   

L’enjeu de l’histoire du XXIème siècle est de nouveau la liberté politique. Il oppose les démocraties aux démocratures, mais aussi la démocratie libérale à la démocratie illibérale, qui se trouve au cœur du projet des populistes. Et cette crise sanitaire exacerbe les différences de modèle et de culture. Elle souligne une nouvelle fois que l’Occident n’a plus le monopole de l’histoire du monde et de la gestion des crises. Elle éclaire les dysfonctionnements et la perte d’efficacité des institutions démocratiques. Mais elle a aussi montré les failles du total-capitalisme chinois.

L’épidémie de coronavirus accélère les transformations du monde et met sous pression tous les régimes. A terme l’avantage ira à ceux qui sauront s’adapter pour répondre aux chocs qui se multiplient et se cumulent : choc sanitaire, choc économique et financier, choc technologique lié à l’intelligence artificielle, choc géopolitique avec la bipolarisation du monde mais aussi la guerre du pétrole engagée par l’Arabie Saoudite.       

Edouard Husson : Le sens de la collectivité peut déboucher sur le totalitarisme, comme dans le cas chinois; sur l'égoïsme national, comme dans le cas allemand; ou sur le repli comme dans le cas italien. N'oubliez pas que l'ltalie a produit le fascisme: je trouve oppressant le basculement italien; je lisais le naturel avec lequel le curé de la paroisse au "patient zéro" accepte la suspension des messes....Le gouvernement italien est en train de créer une réalité autarcique et mortifère.  L'histoire de la suspension des messes publiques et des funérailles est non seulement liberticide mais absurde du point de vue fonctionnel: une société a besoin de réconfort spirituel et d'espoir. L'Eglise polonaise a bien mieux réagi en demandant la multiplication du nombre de messes pour faire diminuer la fréquentation sans priver les gens de ce qui donne du sens à la vie et permet d'accepter la mort quand elle survient tragiquement. 

Qu'il s'agisse du monde confucéen ou du monde occidental, on ne peut pas généraliser ni les opposer l'un à l'autre dans une réédition de Huntington. D'abord il.y a une réalité basique: le modèle monétaire européen a asphyxié nos sociétés tandis que les pays d'Asie regorgent de liquidités utilisables. Ensuite, la Chine postmaoïste a infecté le reste du monde par sa mauvaise gestion interne et son arrogance mondialiste. La Corée ou le Japon sont, par contraste, des sociétés démocratiques conservatrices où la discipline sociale est mise au service du bien commun. Au sein du monde occidental, quel contraste entre la combativité britannique (ou américaine, malgré le sous-équipement sanitaire) et l'apathie allemande, qui va causer la fin de l'UE. Ou le fatalisme français, qui a consisté à maintenir la campagne des municipales et les élections alors qu'il est possible que l'on puisse encore inverser l'épidémie.  Au moment où je vous parle il n-y a pas encore de cas déclaré dans le sud-Ouest.  Va-t-on.prendre le risque d'universaliser l'épidémie sur le territoire pour ne pas avoir eu le courage de repousser les élections au mois de juin? 

L'Italie déplore plus de 600 morts à l'heure actuelle liés au coronavirus alors que la Chine - comme la Corée du Sud - a réussi à contrôler l'épidémie. Que peut faire l'Occident, concrètement, face à cela ? Comment peut-il se relever ?

Nicolas Baverez : L’Occident doit utiliser ses armes, à savoir la raison et la liberté. L’épidémie de coronavirus constitue aussi une occasion unique de bloquer la dynamique de la peur, de la panique et de la désunion. De réconcilier efficacité et respect des droits fondamentaux, autorité de l’Etat et mobilisation de la société, souveraineté des nations et solidarité des démocraties. Il convient pour cela de définir des priorités très claires pour faire face aux différents chocs. Sur le plan sanitaire, les leçons qui nous viennent d’Asie et d’Italie sont limpides : les antidotes efficaces sont le dépistage précoce et le confinement. Sur le plan économique, l’activation désordonnée des moyens traditionnels de la politique budgétaire et monétaire ne sert à rien. L’urgence va au soutien de l’offre et du crédit pour éviter des faillites d’entreprise en chaîne, ce qui suppose de privilégier des baisses effectives d’impôts et de charges d’une part, des garanties publiques permettant aux banques d’assurer le financement des entreprises - notamment des PME - d’autre part. Sur le plan technologique, le retard de l’Occident et plus encore de l’Europe sur l’Asie est flagrant ; il faut donc investir massivement dans la recherche et soutenir la relocalisation des activités stratégiques. La santé en fait assurément partie et sa stratégie doit être repensée de fond en comble, tant l’échec de son pilotage par le rationnement et la diminution de de la qualité des soins - contrepartie de sa gratuité généralisée - est patent et dangereux. Sur le plan stratégique, la crise du coronavirus démontre une nouvelle fois l’absurdité du repli sur les frontières nationales, du retrait chaotique des Etats-Unis du monde et des institutions multilatérales qui laisse le champ libre aux démocratures et aux djihadistes, de la désunion des démocraties et des Européens. Parce qu’elle touche à la santé des hommes, cette crise nous ramène à l’enjeu décisif des valeurs. Elle nous rappelle que la démocratie, avec tous ses défauts, demeure non seulement le seul régime qui respecte leur dignité mais aussi celui qui est le mieux à même de leur permettre de répondre aux risques globaux du XXIème siècle parce qu’elle repose ultimement sur leur engagement, leur intelligence et leur courage. 

Edouard Husson : Tout d'abord nous ne connaissons pas le taux de mortalité réelle. Il n'y a pas en Europe, du fait du sous-investissement dans les systèmes de santé, de capacité à tester massivement. L'Italie a été touchée précocement de par l'intensité de ses relations économiques avec la Chine. Ensuite la question est de savoir quelle est la meilleure réaction. Mettre tout le pays au ralenti, au risque de casser l'économie ? Ou bien laisser faire les actifs et aplliquer le confinement aux personnes âgées et aux sujets à risque? J'y reviens: le réflexe autarcique "fascisant" du gouvernement italien me semble une réponse absurde, digne des médecins de Molière administrant purge sur purge. La pseudo-compétence d'une Angela Merkel, qui affiche ses réflexes de scientifique alors qu'on lui demande d'être chancelière, ne vaut guère mieux: on n'attend pas de Madame Merkel qu'elle nous explique ce qui se passe mais qu'elle sauve l'économie européenne continentale. Comme Boris Johnson s'apprête à le faire pour la Grande-Bretagne grâce au budget du Brexit. 

Je ne crois pas du tout que nous assistions au déclin de l'Occident. Nous assistons à la fin -douloureuse - de ce qui paralyse la créativité occidentale: le mépris de la nation comme lieu privilégié de la création de valeur; le sous-investissement public; le monétarisme asphyxiant qu'on appelle ordo-libéralisme. Il ne faut pas oublier que le néo-libéralisme des années 1990 n'a été possible que par une alliance contre nature avec le post-maoïsme chinois. C'est cette hybridation monstrueuse qui est en train de vivre ses derniers instants.        

Propos recueillis par Edouard Roux

Nicolas Baverez a publié "L’Alerte démocratique" aux éditions de L’Observatoire en février 2020.

Edouard Husson a publié "Paris-Berlin : la survie de l'Europe" aux éditions Gallimard en novembre 2019. 

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