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Terrorisme
Le complotisme, moteur d’un terrorisme identitaire pointé du doigt par le FBI
©Thomas Lohnes / AFP

Attentats en Allemagne

Selon une note du FBI, de mai 2019, la multiplication et la propagation des théories du complot entraîneraient une recrudescence du terrorisme d'extrême droite. Ces mouvements sont-ils une menace pour l'équilibre et la stabilité des pays concernés par ce phénomène ?

Claude Moniquet

Claude Moniquet

Claude Moniquet, né en 1958, a débuté sa carrière dans le journalisme (L’Express, Le Quotidien de Paris), avant d’être recruté par la Dgse pour devenir "agent de terrain" clandestin. Il exerce ainsi sous cette couverture derrière le Rideau de fer à la fin de l’ère soviétique, dans la Russie des années Eltsine, dans la Yougoslavie en guerre, au Moyen-Orient ou encore en Afrique du Nord. En 2002, il cofonde une société privée de renseignement et de sûreté : l’European Strategic Intelligence and Security Center. De 2001 à 2004, il a été consultant spécial de CNN pour le renseignement et le terrorisme, et est aujourd’hui consultant d’iTélé et RTL. Il est l’auteur, notamment, de Néo-djihadistes : Ils sont parmi nous (Jourdan, 2013) et Djihad : d’Al-Qaïda à l’État islamique (La Boîte à Pandore, 2015), de Daech, la Main du Diable(Archipel, 2016) et, avec Genovefa Etienne, des Services Secrets pour les Nuls (First, 2016). Il est également scénariste de bandes dessinées : Deux Hommes en Guerre (Lombard, 2017 et 2018). Il réside à Bruxelles.

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Atlantico.fr : Une note du FBI datée du 30 mai 2019 a identifié pour la première fois comment la multiplication des théories du complots conduisent à un terrorisme d'extrême droite. L'attaque ayant eu lieu dans la nuit du mercredi 21 février en Allemagne contre des citoyens d'origine kurdes doit-elle être considéré comme un phénomène global?

Claude Moniquet : Il existe, effectivement, une « menace globale » du terrorisme d’extrême-droite, je préfère dire « d’ultra-droite », non pas au sens où il existerait une sorte « d’internationale noire » comme il existe des groupes djihadistes internationalistes (al-Qaeda et Daech en étant les meilleurs exemples actuels) mais parce que l’on assiste, depuis des années, à une montée de l’extrémisme de droite non parlementaire (et même « antiparlementaire) et violent dans de nombreux pays : notamment aux Etats-Unis (Aryan Nations, The Order, la White Aryan Resistance, Division Atomwaffen…), en Allemagne (NordKreuz), en Italie (Veneto Fronte Skinheads). Ces groupes sont souvent locaux et très rarement interconnectés et ils correspondent, de plus, à une typologie politique complexe. On y trouve des suprémacistes blancs, des néo-nazis, des « skins » ou encore des groupes concentrant leurs propagande et leurs actes de haine contre des « segments » de la société : les homosexuels, les femmes, etc. Et même des…indépendantistes, comme  Clandestini Corsi qui, en 2004, commit 7 attentats contre la « communauté maghrébine » de l’Île de beauté avant d’être démantelée.

En Europe, cette mouvance peut encore sembler marginale, mais aux Etats-Unis, une organisation juive réputée, l’Anti-Defamation League estime que les mouvements de l’ultra droite violente sont responsables de 71% des 387 « meurtres politiques » commis entre 2008 et 2017. Je disais que ces groupes ne composent pas une « internaionale », mais on observe malgré tout des rapprochements et des « essaimages ». Ainsi, la Division Atomwaffen, un groupuscule américain ultra-violent qui ne compte que quelques dizaines de membres aurait des « correspondants» au Royaume-Uni, en Allemagne ou dans les Pays-Baltes.  

Ces mouvements extrémistes sont-ils une menace aussi sérieuse pour la sécurité des nations que les groupes islamistes radicaux?

Oui et non. Oui, parce que, bien entendu, chaque acte terroriste st un acte de trop et qu’il peut être de grande ampleur. Lorsqu’il fait sauter un bâtiment fédéral à Oklahoma city 19 avril 1995, le terroriste Timothy McVeigh tue 168 personnes et en blesse près de 700 (ce sera l’acte terroriste le plus grave connu par les Etats-Unis avant le 11 septembre) ; lorsque, le 2 août 1980, les Nuclei armati rivoluzionari font détonner leurs bombes à la gare de Bologne ils font 86 morts et plus de 200 blessés, mais on est évidemment très loin des chiffres atteints par le terrorisme djihadiste qui, le 11 septembre 2001 tue 3000 personnes et est responsable, en Europe, de plusieurs centaines de morts depuis 2014. Oui, encore, parce que, au-delà de cette comptabilité macabre et vide de sens - un acte terroriste EST un acte terroriste, quel que soit son nombre de victimes – ce terrorisme est, depuis quelques années, porteur des ferments d’un potentiel éclatement de la société et du contrat social: en attaquant les « étrangers » ou les communautés musulmanes, l’ultra-droite violente espère provoquer un « sursaut national » et un affrontement entre « blancs » et « immigrés » (ou « musulmans »). Patrick Calvar, à l’époque directeur de la DGSI (Direction Générale de la Sécurité Intérieure) me confiait d’ailleurs, en 2016, craindre non pas « une guerre civile » comme certains médias l’avait écrit en déformant ses propos, mais, à tout le moins, une montée en parallèle des actes terroristes islamistes et de l’ultra-droite, avec un net danger de radicalisation et, donc, d’escalade, des deux côtés . Il est, d’ailleurs, intéressant de constater que l’ultra droite violente et la mouvance djihadiste poursuivent, en fait, le même but : dresser les « communautés » l’une contre l’autre…

Mais non parce que, autant les groupes djihadistes sont extrêmement difficiles à pénétrer pour les services de renseignement, autant les mouvances de l’ultra-droite violente (comme d’ailleurs, de l’ultra gauche violente) sont connues, et ce depuis des décennies: leurs membres les plus influents ou les plus actifs sont répertoriés, fichés, surveillés. On peut donc penser que, au moindre passage à l’acte, ou même à la moindre velléité de passage à l’acte, le filet se resserrera immédiatement. Maintenant, malheureusement, cet optimisme tout relatif doit être tempéré : la menace djihadiste étant, aujourd’hui, considéré (à raison) comme la plus importante, elle concentre l’essentiel des moyens des « services » et ces moyens n’étant pas extensibles à l’infini, il est évident que la surveillance des mouvances d’ultra droite et d’ultra gauche en pâtit et est moins stricte qu’il y a vingt ans….

Non encore parce que autant la mouvance islamiste radicale – qui engendre le djihadisme – est en extension, autant le nombre de militants d’ultra-droite susceptibles « d’agir » est limité. Entre quelques dizaines et quelques petites centaines de personnes dans chaque pays. Mais le nombre n’y fait pas grand-chose : en Allemagne, le   Nationalsozialistischer Untergrund ne comptait que trois membres mais commit 15 attaques de banques et 10 assassinats….

Comment doit-on lutter contre la propagation de cette forme d'extrémisme?

C’est une question à la fois simple et compliquée. Du côté simple, disons en appliquant strictement la loi, en surveillant de près les milieux concernés et en pratiquant la « tolérance zéro », comme on le fait aujourd’hui avec la mouvance djihadiste : dès qu’une velléité de passage à l’acte existe (et à conditions, bien entendu, que les individus soient identifiés), l’Etat passe à l’offensive, des arrestations sont opérées et des condamnations prononcées. Mais en même temps, il faut faire attention à un discours « de gauche » ambiant qui, par exemple, dénonce « l’islamophobie » et l’accuse d’être à l’origine de ces dérives violentes. « L’islamophobie » est un concept creux et vide de sens. On a le droit de ne pas aimer l’islam (comme n’importe quelle autre religion) et de le critiquer, comme on a, d’ailleurs, le droit au blasphème. Ce qu’on a pas le droit de faire, c’est d’appeler à la haine contre des communautés ou des individus, ou bien entendu de les attaquer physiquement. La réponse réside donc dans un travail de renseignement ciblé et rigoureux qui permette de distinguer entre les positions « politiques » qui peuvent sembler inacceptables à certains mais ressortent de la démocratie et les dérives qui conduisent à la violence. Je ferai un parallèle avec l’extrême-gauche : on peut dénoncer le capitalisme et les banques, même de manière virulente, mais on ne peut pas prôner l’assassinat des banquiers…  

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