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Quel budget pour l’Europe post Brexit ? Petit diagnostic de l’état de l‘Union
©FREDERICK FLORIN / AFP

Epreuve de force

Demain aura lieu le premier Conseil européen sur le budget depuis le Brexit. Une réflexion sur les nouveaux enjeux s'impose.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Alors que le départ du Royaume-Uni de l'UE représente un manque à gagner de 75 milliards d'euros pour l'Union Européenne, quels enjeux pourraient être privilégiés et quels enjeux pourraient être défavorisés ?

Christophe Bouillaud : Le premier enjeu de tous, c’est le montant global de ce budget pluriannuel (2021-2027). Il est au-dessus de 1000 milliards d’euros pour les six années concernées, 1087 milliards pour être exact à dépenser en six ans selon la proposition de la Présidence du Conseil européen en date du 5 décembre 2019 – un chiffre impressionnant à première vue -, mais en fait, on resterait seulement à un peu plus de 1% de la richesse annuelle produite dans l’Union européenne qui transiterait par le budget de cette dernière. Avec ces 1,07%, on trouve la vérité actuelle de l’Union européenne. En effet, ce chiffre d’un peu plus de 1% de la richesse produite correspond à ce qui est alloué à l’UE par ses Etats membres depuis le milieu des années 1990. La première information à retenir, c’est donc que les Etats membres ne montrent vraiment aucune volonté de développer un budget réellement fédéral au niveau de l’Union, capable de jouer un rôle majeur du point de vue macroéconomique ou géopolitique.

Après, dans ce cadre contraint, le budget pluriannuel, toujours selon la proposition de la Présidence du Conseil européen en date du 5 décembre 2019, semble continuer le mouvement amorcé depuis au moins deux décennies d’un basculement très progressif des vieilles politiques de l’UE -et avant elle de la Communauté économique européenne -, soit l’agriculture et la politique des fonds structurels, vers des politiques nouvelles, soit essentiellement l’appui à l’innovation, à la recherche, au sécuritaire, et maintenant aux aspects de prévention du changement climatique et d’adaptation à ce dernier, le tout enrobé dans une fort classique ambiance de suspicion pour des excès de dépenses dans tous les domaines. La seconde information à retenir, c’est donc que les conflits sur le budget pluriannuel vont rester les mêmes que depuis des années.

La seule possible nouveauté se trouve plutôt du côté des recettes. D’une part, le dossier des ressources propres de l’Union européenne semble se rouvrir doucement. D’autre part, les contributions des pays déjà les plus contributeurs seraient calculées sur des bases « sans les rabais », est-ce possible ? En tout cas, cela sera intéressant de regarder comment évoluent les négociations sur cet enjeu majeur des recettes. Est-ce que l’on se mettra d’accord pour allouer ou pour inventer des sources propres de recettes à l’Union européenne ?

Comment pourraient se définir les rapports de forces au sein de l'UE ?

Ils sont partis pour être des plus classiques : les pays riches contributeurs, essentiellement du nord et du centre-ouest de l’Union européenne, vont essayer de bloquer toute augmentation du budget européen, les pays du sud et de l’est de l’Union vont réclamer plus de transferts ; les pays bénéficiant de la PAC, dont la France, vont essayer de la défendre, contre ceux qui n’en bénéficient pas beaucoup. Comme d’habitude, tous les Etats auront exactement la politique de leurs petits intérêts boutiquiers.

A ces aspects classiques qui font de ces négociations un vaste marchandage, va peut-être s’ajouter cette fois-ci le problème posé par la tentation d’utiliser les fonds européens comme moyen de pression contre les Etats membres qui ne respecteraient pas les normes de l’Etat de droit – proposition présente dans le texte du Président du Conseil. Cela risque de tanguer très sérieusement si vraiment la Pologne et la Hongrie se sentent menacés par des conditionnalités dures à ce sujet. En même temps, cela ne sera pas si nouveau : les pays d’Europe du nord sont obsédés depuis des décennies par les détournements de fonds européens effectués dans les pays d’Europe du sud. C’est un effet à long terme sur la manière de gérer les finances européennes du « Mezzogiorno » italien : le sud de l’Italie a été le théâtre de tant de détournements depuis les années 1960 que tout fonctionne désormais comme s’il ne fallait avoir confiance en personne.  

Dans un entretien accordé à Politico, Mark Rutte, le Premier Ministre néerlandais, a déclaré que les discours pro-européens français masquaient la volonté de voir se construire une « Europe française » et non une « Europe européenne ». En ce sens, et alors que la France est de plus en plus isolée sur la scène européenne, quel sort pourrait leur être réservé ?

S’il s’agit là pour Mark Rutte de dénoncer le fait que le projet de budget fait la part belle à des choix qui auront des retombées financières ou autres positives en France, comme par exemple sur la PAC, c’est là une position de négociation classique. C’est l’éternel poison du « juste retour » où chacun regarde seulement ce que lui coûte l’Union par rapport à ce que cela lui rapporte. La France n’est pas plus isolée dans ce jeu de marchand de tapis que n’importe quel autre pays.

S’il s’agit de dénoncer par « Europe française », une Union européenne qui évoluerait vers la recherche d’une plus grande puissance sur la scène internationale appuyé sur un embryon de vrai budget fédéral, Mark Rutte n’est vraiment guère en droit de se plaindre. En effet, la messe est déjà dite : le budget européen pluriannuel  2021-2027 évoluerait à peine à la hausse, et, de fait, les partisans d’une Europe plus fédérale par le montant de son budget, dont au moins en paroles Emmanuel Macron, ont déjà perdu. Ils sont plus qu’isolés. Ils sont inexistants, puisque, de toute façon, ils ne voudront pas provoquer une crise institutionnelle majeure en demandant un vrai saut qualitatif à 5% du revenu européen par exemple.

Une fois cette considération de fait prise en compte, l’affrontement devient alors plus symbolique : Mark Rutte veut bien montrer à ses électeurs par ses déclarations, typique de la « Ligue hanséatique », que les quelques gains minimes se comptant certes en quelques dizaines de milliards d’euros qu’enregistrera éventuellement la France ne signifient rien pour l’avenir, et inversement, il est probable qu’à la fin, Emmanuel Macron chantera devant les caméras des journées télévisés à la fin de ce sommet européen ou du prochain les louanges d’un magnifique compromis qui prépare l’Europe puissance qu’il appelle de ses vœux. Des deux côtés, les opinions publiques seront impressionnées par les milliards dont on discutera, sans pouvoir mesurer le caractère marginal des finances de l’Union européenne dans la mécanique globale de nos sociétés. Mais, au final, ce budget pluriannuel risque bien d’être un non-événement…

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