Les gros salaires de plus en plus gros... Mais qu'est ce qui peut justifier de telles extravagances ? <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Les gros salaires de plus en plus gros... Mais qu'est ce qui peut justifier de telles extravagances ?
©PAU BARRENA / AFP

Atlantico Business

C’est un fait, depuis dix ans, les salaires des patrons des grandes entreprises ont pratiquement doublé. Dans certains cas, ils sont extravagants et le monde des affaires a beaucoup de mal à justifier de telles situations.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

Il est aussi l'auteur du blog http://www.jeanmarc-sylvestre.com/.

Voir la bio »

Le salaire de Luca de Meo, le nouveau patron de Renault, fait grincer des dents. On sait maintenant qu’il sera mieux payé que ses prédécesseurs :  6 millions d’euros par an en fonction de la performance du groupe, soit plus d’1 million d’euros de plus que ce que Carlos Ghosn touchait au titre de Renault. Or ça passe mal au moment où le groupe vient d’annoncer des résultats en baisse et un plan d’économie de 2 milliards d’euros sur les trois prochaines années.

Ça passe surtout mal parce qu'on s’aperçoit que les salaires des grands dirigeants de grandes entreprises internationales sont devenus extravagants. Du coup, les grandes sociétés de conseil aux actionnaires, dont le métier est d’intervenir auprès des investisseurs professionnels ou particuliers afin de les éclairer sur la qualité de la gouvernance des entreprises dans lesquelles ils ont investi leur argent, ces conseils interviennent de plus en plus souvent pour dénoncer les salaires des grands dirigeants et pour s’interroger sur la justification de tels montants. Chez Renault où les actionnaires avaient déjà refusé de voter la rémunération de Carlos Ghosn ( qui avait d’ailleurs passé outre ), il est probable que le président aura fort à faire pour faire accepter les conditions d’embauche de Luca de Meo.

La première des sociétés françaises de conseil aux actionnaires, Proxinvest, pour ne pas la nommer, publie pour ses clients , les résultats de ses enquêtes sur la rémunération des dirigeants des grandes sociétés du Cac.

Alors officiellement, ils n’ont pas l’état des lieux sur l’année dernière mais a priori on sera dans la lignée de 2018 dont les résultats avaient été connu fin 2019.

Ce qui est spectaculaire, ce sont les taux d’augmentions 12,4 % sur un an, un peu moins qu'en 2017 où les majorations de salaire dépassaient les 14%.

Ce qui est spectaculaire aussi, c’est la moyenne des rémunérations des grands dirigeants, 5,8 millions d’euros en moyenne ( partie fixe et variable ) ce qui fait dire à l'état-major de chez Renault que le nouveau DG sera payé à un niveau moyen français. Pour être précis, le dirigeant d’origine italienne touchera un salaire fixe de 1,3 million d’euros, auquel devrait s’ajouter une part variable correspondant à 150 % du fixe annuel, soit près de 2 millions d’euros, et une rémunération en actions pouvant aller jusqu’à 75 000 actions par an.

Jehanne Leroy l’analyste responsable de chez Proxinvest expliquait récemment que « cette rémunération globale est l'équivalent de 277 smic (en base 39 heures » et pour lui, « Cette somme dépasse pour la deuxième année consécutive la rémunération maximale socialement acceptable définie à 240 smic par Proxinvest.» soit 5 millions. Et d’ajouter, que « face à cette augmentation de 12 ou 14 %par an,la rémunération des salariés des sociétés du CAC 40, elle,n’a augmenté que de 4,8 %, soit près de 3 fois moins que celle de leurs dirigeants ».

Alors , il convient de nuancer les conclusions de telles performances par le fait que cette forte progression moyenne est une moyenne et qu'il faut savoir que cette moyenne est tirée vers le haut par trois salaires ( ou revenus ) :

-celui de Bernard Charles , le PDG de Dassault Systèmes, évalué à 33,3 millions, montant contesté par la société elle-même qui annonce un chiffre de 22 millions d’euros.

-celui de François-Henri Pinault qui en 2018 , a bondi de 75% à 17,3 millions du fait d’une prime exceptionnelle liée à sa position d’actionnaire principal de Kering.

-celui de Carlos Ghosn justement, puisqu’on est sur les chiffres de 2018.

Les autres PDG duCac 40 sont aux alentours de 5 millions d’euros ( part variable comprise ).

A priori, ces niveaux de rémunérations que l’on retrouve à l’étranger avec des niveaux souvent supérieurs sont évidemment légaux puisqu‘ils sont soumis à autorisation des assemblées générales d’actionnaires et décidés par les conseils d’administration, mais là où les sociétés de conseil aux actionnaires insistent beaucoup, c’est sur la légèreté des justifications avancées pour de tels montants.

Ces justifications sont avancées par les conseils d’administration (et encore), le plus souvent par les réseaux de pouvoir managérial.

1er argument. L’existence d’un marché international des dirigeants. C’est vrai que depuis 20 ans que les grandes entreprises se sont mondialisées, le recrutement de ces espèces de managers devenus rares est aussi devenu international et dans la chasse aux meilleurs, il faut faire monter les prix . Normal , légitime . Il se passe au niveau des grands dirigeants ce qui se passe au niveau des stars du foot, du rock, ou du cinéma. Le marché dicte sa loi . Carlos Ghosn aurait pu partir chez General Motors à un prix supérieur à celui qu'il avait chez Renault et c’est sans doute la raison pour laquelle on avait accepté qu’il cumule Renault et Nissan...

2e justification de l'explosion des prix : la constitution d’une bulle boursière et d ‘une surcapitalisation des entreprises du digital. Les entreprises nées depuis la révolution digitale ont pris une valeur considérable apportant une fortune colossale à leurs créateurs et à ceux qui les animent. Les fortunes collectées correspondent à des vraies valeurs ajoutées comme chez Apple, Google ou Facebook... Mais elles parient aussi très souvent sur l‘évolution future. La fortune d’un Elon Musk (Tesla) ou celle du fondateur de Uber sans parler des milliers d’anonymes, ces fortunes-là sont souvent virtuelles. Leur intérêt est donc souvent d’essayer de la monétiser et de la réaliser. Ce qu‘ils font en revendant ou en en dédiant une partie. Toutes ces spéculations font monter les enchères autour des dirigeants managers. Les salaires de Carlos Ghosn ne représentent rien ou presque à côté de la fortune de Bill Gates ou des revenus d’Elon Musk.

Un dirigeant salarié se sentira toujours frustré, si bien payé soit-il à côté d’un propriétaire créateur de l’entreprise ?Du coup, il fera payer son job au prix fort.

3e justification, la politique monétaire menée par les banques centrales depuis plus de 10 ans a abouti à distribuer des liquidités massivement pour éviter que le système économique ne s’étouffe. Cet argent distribué aux USA, en Europe, en Grande Bretagne, et au Japon et même en Chine ont moins servi à financer des investissements industriels que des rémunérations de dirigeants, lesquels ont acheté des actifs garantis ou financiers avec leurs dividendes (immobilier, actifs financiers etc.etc. ), d’où la constitution de cette bulle de rémunérations de hauts dirigeants.

3e justification, le bankable manager. C’est un phénomène assez récent. Le caractère politique ou charismatique du dirigeant a parfois autant de valeur que son expertise. Bref il doit savoir faire mais il doit aussi savoir faire savoir. Bref, le manager est à la tête de l’entreprise pour produire, créer et réaliser de la valeur. Mais alors que pendant un siècle son travail était de combiner de façon optimale des facteurs de production, le travail des uns et le capital des autres ou des mêmes pour satisfaire un client... On s’aperçoit que la financiarisation de l’économie a changé un peu le modèle. La préoccupation première du manager est peut-être plus de créer de la valeur pour l’actionnaire que pour l’entreprise. Jusqu'au jour où l’algorithme financier tourne dans des usines qui ne vident.

Tous ces facteurs sont très difficiles à quantifier objectivement sur le moyen terme. D’ailleurs le capitalisme financier n’aime que le court termisme, la position et par conséquent sa rémunération va dépendre de ses performances (mais les managers capables de performances sont assez nombreux sur la planète ). Sa position va aussi dépendre de sa force politique et médiatique, de son réseau. On a plein d‘exemples de Directeur généraux restés en place en dépit de résultats médiocres. On a autant d’exemple de managers géniaux ( hommes et femmes ) évincés sans vraies raisons hormis un déficit de sponsor.

Les sociétés de conseil aux actionnaires ont encore beaucoup de travail à faire dans un domaine qui leur est le plus souvent interdit, celui du « non- dit ».  Ce qui est vrai, c‘est que sans effort d’explication et de justification, l’extravagance des rémunérations des dirigeants et la différence avec les autres salariés vont devenir insupportables à la plus grande part de la classe moyenne.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !