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Concurrence : quand Mario Monti reprend sèchement les Etats de l’UE au sujet de l'industrie européenne
©Reuters

Rappel à l'ordre

L'ancien commissaire européen Mario Monti a sévèrement critiqué l'attitude des pays européens en rapport notamment au projet de fusion Alstom/ Siemens dans une interview qu'il a accordé à Politico.

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Atlantico : En quoi, tel que le souligne Mario Monti, la décision prise par Bruxelles de bloquer la fusion entre Alstom et Siemens n'est pas aussi insensée qu'elle peut le paraître ?

Rémi Bourgeot : En premier lieu, la récente intervention de Mario Monti confirme un tournant. Celui-ci invoque certes les sacrosaintes règles de la concurrence européenne, mais se fait en réalité surtout l’écho du malaise grandissant en Europe face à la logique qui favorise depuis environ quatre décennies les grandes constructions bureaucratiques au détriment de projets davantage ancrés dans la réalité industrielle. Le projet de fusion entre Alstom et Siemens reposait sur l’idée consistant à construire un « champion européen », qui serait seul capable de faire face à la concurrence du chinois CRRC sur les marchés européens et mondiaux. Notons pour autant que l’on n’avait pas hésité à consentir des transferts de technologie majeurs vers cette entreprise en échange d’un modeste accès au marché chinois. Par ailleurs, CRRC n’est pour l’heure que très marginalement positionné sur le marché européen, et une opinion assez générale prend désormais forme un peu partout en Europe, qui consiste à exiger un certain niveau de réciprocité et surtout de règles communes. En particulier, le projet de fusion devait permettre au champion européen de faire face à l’avantage dont bénéficie leur concurrent chinois en termes de subventions massives de la part de l’Etat chinois. Mais dans ce cas, rien n’empêcherait l’UE de renforcer ses protections, comme l’a très justement souligné Margrethe Vestager.

S'agit-il, comme l'affirme Monti, d'une erreur de compréhension de la part de ces quatre pays européens, sont-ils plus à blâmer que Bruxelles au sujet de l'absence de compétitivité de la zone européenne ?

On aurait difficilement pu concevoir de mettre en œuvre cette perturbation en profondeur de l’équilibre industriel entre entreprises et pays européens au prétexte de gérer les conséquences de la politique industrielle du Parti communiste chinois. Alstom-Siemens aurait effectivement eu une position écrasante dans les trains à très haute vitesse et dans les équipements de signalisation ferroviaire en Europe. De toute évidence, cette position n’était pas acceptable pour les autres pays européens ni pour les entreprises du secteur ferroviaire. Alstom et Siemens sont deux entreprises performantes et innovantes, dans un secteur promis à un bel essor du fait des politiques environnementales. On peut évidemment envisager une consolidation, comme c’est le cas dans les projets concernant actuellement l’intégration du canadien Bombardier. Mais on ne peut guère se contenter de créer des mastodontes qui ne reposent pas sur un véritable projet industriel et qui risquerait d’entraîner un recul de l’innovation et de la compétitivité in fine, quelle que soit les synergies de court terme.

On voit actuellement à l’œuvre une rupture qui a tout de même un caractère générationnel, et qui se manifeste jusqu’au cœur des institutions européennes et même à Bercy. La rhétorique centrée sur l’Airbus du ferroviaire et de tous les secteurs possibles est aujourd’hui affaiblie. L’enjeu vital pour l’économie européenne consiste surtout aujourd’hui à pouvoir remettre sur le devant de la scène de véritables projets technologiques centrés sur les compétences des entreprises européennes et de leurs ingénieurs en particulier, plutôt que de grandioses fusions creusant au passage les déséquilibres entre les pays partenaires.

Cette absence d'industries paneuropéennes capables d'être compétitives face aux géants chinois, par exemple, est-ce principalement explicable par l'idéologie protectionniste de certains pays européens ? Quelles peuvent être les autres explications ? Comment y remédier ?

Les milieux étatiques citent à l’excès l’exemple d’Airbus. Mais Airbus opère dans un marché très spécifique, caractérisé par un quasi-duopole mondial avec Boeing et une barrière d’entrée considérable, liée aux exigences légitimes de sûreté. Ces deux entreprises ont bénéficié d’une croissance exponentielle de l’aérien et d’une concurrence très limitée, leur permettant de pratiquer des innovations d’un type particulièrement incrémental. Dans ce contexte, elles ont eu tendance à s’enfermer dans un statu quo technologique. Boeing a renoncé au début de la décennie passée à se lancer dans un nouveau programme court/moyen-courrier qui aurait dû remplacer son 737, confronté à de lourdes limites structurelles liées au design d’origine des années 1960 (avion tout simplement bas), notamment parce qu’Airbus pouvait se permettre de proposer, de son côté, une version remotorisée de l’A320, qui soit encore cohérente, performante et sûre.

De la même façon on pourrait fusionner tout le secteur automobile européen sans que cela ne résolve le problème d’adaptation à l’enjeu de l’électrique, dans un contexte beaucoup plus compétitif. L’innovation et la productivité repose effectivement sur une logique fine d’intégration entre entreprises de diverses tailles, la recherche et les agences étatiques. Mais l’idée, en tant que telle très peu capitaliste, consistant à constituer des entreprises géantes à l’échelle continentale, sous l’impulsion des superstructures étatiques, n’a jamais produit de résultats généralisables.

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