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Biodiversité : le Parlement européen vote une résolution en piétinant toute diversité idéologique
©EMMANUEL DUNAND / AFP

COP15

La Commission européenne s'apprête à présenter sa stratégie sur la biodiversité. Le Parlement européen a voté un texte partisan, idéologique et sans objectifs réalistes. Le Parlement européen avait appelé l’Union européenne en janvier à se doter d’objectifs contraignants en matière de biodiversité.

Christian  Lévêque

Christian Lévêque

Christian Lévêque est directeur de recherches émérite de l'IRD, ex-directeur du Programme Environnement, Vie et Sociétés du CNRS, Président honoraire de l'Académie d'Agriculture de France.

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Marcel Kuntz

Marcel Kuntz

Marcel Kuntz est biologiste, directeur de recherche au CNRS dans le laboratoire de Physiologie Cellulaire Végétale. Il est Médaille d'Or 2017 de l'Académie d'Agriculture de France

Il est également enseignant à l’Université Joseph Fourier, Grenoble.

Il tient quotidiennement le blog OGM : environnement, santé et politique et il est l'auteur de Les OGM, l'environnement et la santé (Ellipses Marketing, 2006). Il a publié en février 2014 OGM, la question politique (PUG).

Marcel Kuntz n'a pas de revenu lié à la commercialisation d'un quelconque produit. Il parle en son nom, ses propos n'engageant pas son employeur.

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Le 26 février prochain, la Commission européenne doit présenter sa stratégie sur la biodiversité, anticipant la 15e réunion de la Conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique (COP 15) du 19 octobre au 1er novembre 2020, à Kunming, en Chine. Le texte que le Parlement européen a voté est partisan, idéologique et sans objectifs réalistes.

Un texte d’emblée connoté partisan

On peut tout à fait comprendre que la biodiversité ait une dimension affective et qu’elle fasse l’objet d’empathie. Et il est incontestable que nous devons porter une grande attention à notre environnement. Mais une politique commune pour être acceptée par tous les citoyens doit s’appuyer sur des faits, pas sur seulement des émotions et la pensée magique. Il est souhaitable que les instances européennes s’appuient sur des informations scientifiques, et non pas sur des discours idéologiques portés par des groupes militants comme cela est le cas de la Résolution du Parlement européen sur la COP15 à la convention sur la diversité biologique.

Ainsi l’expression «vivre en harmonie avec la nature» est une vision romantique, certes sympathique, qui frise la croyance religieuse, mais en total décalage avec l’expérience de nombreux citoyens. Les sociétés humaines se sont constituées à la fois en profitant des ressources de la nature et en luttant contre cette dernière (maladies, ravageurs de cultures, animaux dangereux, catastrophes climatiques, etc..). Il ne faut pas nier a priori cette dualité.

Toute la biodiversité n’est pas non plus indispensable à la sécurité alimentaire, et c’est même très discutable car les ravageurs qu’il faut contrôler, même en agriculture biologique, sont là pour le démontrer. 

Une vision fixiste de la nature

La représentation idéologique, fixiste, de la nature ignore ce que tous les scientifiques sérieux reconnaissent : la biodiversité européenne est un produit hybride entre des processus spontanés et des pratiques agricoles qui ont modifié les systèmes écologiques depuis des siècles pour répondre aux besoins des sociétés humaines. Il y a un large consensus pour dire que l’agriculture a été le principal acteur de la création de nos paysages, et la plupart de nos systèmes écologiques que l’on s’efforce de préserver sont des systèmes anthropisés : bocages, alpages, zones humides, et même les forêts qui sont pour beaucoup des plantations, etc.

Systématiquementprésenter le changement climatique actuel comme une menace pour la biodiversité est une contre-vérité volontairement anxiogène.Cette Résolution semble ainsi ignorer que la biodiversité européenne a une histoire, notamment liée au climat.Des fluctuations climatiques majeures telles que les glaciations ont éradiqué à diverses reprises une grande partie de la faune et de la flore. La diversité biologique ainsi bouleversée a néanmoins montré ses grandes capacités de résilience. Agiter la menace du changement climatique est congénital à cette vision fixiste du monde portée par des mouvements conservationnistes qui raisonnent comme si rien ne devrait changer ! Ils sont proches dans ce domaine de l’idéologie créationniste toujours vivace dans certaines religions et certains pays. ... Il y aura bien évidemment des conséquences sur notre économie et notre vie quotidienne… mais c’est un autre problème !

Comme l’a montré le GIEC, même si nous arrêtions toute émission de GES aujourd’hui (ce qui est peu probable...), le réchauffement se poursuivrait sur deux siècles... Donc nous sommes partis a minima pour des changements dans la distribution des espèces ! Alors, quels doivent être nos objectifs de protection?

Une absence dramatique d’objectifs réalistes

La protection des systèmes écologiques européens nécessite une démarche systémique. Ainsi les bocages, milieux emblématiques pour la biodiversité, mais créations humaines, sont liés historiquement à des usages, dont l’élevage. Si l’on s’inscrit dans le refus de manger de la viande par exemple, certains bocages perdront de leur intérêt, seront délaissés et vont soit s’embroussailler soit seront gagnés par l’urbanisation.

De même il faut être logique quant aux impacts des activités humaines et les objectifs de restauration. Nombreux sont les systèmes anthropisés mais labellisés en tant que sites de conservation, la Camargue par exemple, qui est entièrement artificialisée mais labellisée site Ramsar et parc naturel ! Cette Résolution ne se pose pas la question de ces contradictions et n’apportent aucune réponse au-delà de dire qu’il faut protéger !Dire également que les forêts sont indispensables à la subsistance est manifestement méconnaitre le fait que l’essentiel de l’alimentation provient des cultures…et des défrichements !

Quelles références avons-nous pour fixer des objectifs à la restauration et à la conservation ? Pour les scientifiques, la restauration des écosystèmes est un concept qui n’est pas clairement défini. Dans un monde en perpétuel changement, il n’y a pas de référence standard. Or l’absenced’objectifsclairs conduit à des politiques de gribouille ! Un état de fait qui ne semble pas préoccuper les rédacteurs de cette Résolution, qui cherchent à maintenir l’existant contre toutes les évidences, puisque des espèces sont en train de modifier leurs aires de répartition comme elles l’on toujours fait en réponse au climat ! Laisser croire que la référence serait une nature sans l’homme est manifestement incongru ! 

Cette Résolution a un parti pris de ne considérer que les aspects négatifs de l’action de l’homme alors qu’il existe de nombreux exemples d’amélioration de la situation en matière de protection des espèces. Une politique ne peut se fonder que sur des objectifs négociés par les différents acteurs de l’environnement dans une démarche systémique et non pas sur la seule vision sectorielle et naturaliste de la biodiversité.

Le texte mélange allégrement les échelles géographiques, passant du niveau de la planète à celui de l’Europe et au contexte régional. Il fait des généralisations qui masquent en réalité une grande hétérogénéité des situations, ignorant ainsi un principe de base de l’écologie qui est la contingence : ce qui est vrai ici ne l’est pas nécessairement là, si les contextes environnementaux sont différents. Ainsi, il est faux scientifiquement de parler des forêts en général. Les forêts européennes,pauvres en diversité biologique végétale et animale, ne sont en rien comparables aux forêts tropicales riches en espèces, compte tenu notamment d’histoire climatiques différentes. 

Une vision impérialiste

L’impression à la lecture de la Résolution est qu’un groupe de pression essaie d’influencer l’UE par l’accumulation d’informations tendancieuses et non validées,de manière à mettre en place un système coercitif qui transcende à la fois les libertés et la démocratie. Avec la tentation affleurante de vouloir imposer un ordre et une ingérence écologiques (« objectif juridiquement contraignant à l’échelle de l’Union pour restaurer les habitats dégradés d’ici 2030 ») ; ce qui mérite pour le moins explicitation et discussion. 

En quoi l’UE est-elle légitime et a-t-elle mandat pour promouvoir cet ordre mondial ? Des objectifs aussi peu réalistes que « la moitié de la planète soit protégée d’ici 2050 »traduit le manque de crédibilité de ces propositions, à moins de considérer que la priorité est la biodiversité, pas les hommes… !

Sur la base d’arguments a priori logiques tels que « la suppression progressive des subventions qui nuisent à l’environnement et la garantie d’une cohérence entre tous les fonds et programmes de l’Union afin qu’aucune dépense au titre du budget de l’Union ne puisse contribuer à la perte de biodiversité », on entrevoit que des groupes de pression pourront bloquer tout projet d’aménagement ou d’équipement. L’industrie et le commerce sont clairement visés.Comme l’agriculture, ce que confirme des affirmations manifestement fausses sur le plan scientifique telles que « la perte majeure de biodiversité est directement attribuable à l’utilisation massive d’herbicides systémiques à large spectre tels que le glyphosate ». C’est oublier l’apport de cet herbicide à l’agriculture de conservation des sols ! Et chacun sait que l’une des causes principales de perte de biodiversité est la destruction des habitats. 

Conclusions

Oui, nous devons réaliser des efforts dans nos rapports à la nature. Mais il est peu probable que les citoyens européens qui vivent dans une nature qu’ils ont co-construite veuillent retrouver une nature sauvage. Et il est encore moins probable que leur objectif soit de donner une priorité à la conservation de la nature par rapport à la sécurité alimentaire et sanitaire des hommes. Il faut bien évidemment rechercher des compromis et non pas imposer des ukases idéologiques à l’ensemble du monde, sans aucun débat démocratique informé.

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