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Retraites : la dernière chance. La charge au scalpel de Pascal Perri
©Martin BUREAU / POOL / AFP

Réforme

Jean-Yves Archer revient sur la publication du livre de Pascal Perri, "Retraites, la dernière chance", aux éditions de l'Archipel.

Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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Le projet de Loi visant à instaurer un régime universel de retraites va être déposé cette semaine à l'Assemblée Nationale. Le livre de Pascal Perri, paru il y a déjà quelques semaines, est par conséquent d'actualité.

D'autant plus qu'il émane d'un homme dont le parcours pluriel est un gage de lucidité. L'auteur est en effet un homme d'entreprise tout autant que l'homme de médias, l'anchorman récidiviste de la grille quotidienne de la chaîne d'information LCI, groupe TF1.

Pragmatique, l'auteur nous propose un texte accessible et engagé : il a des convictions sérieusement ancrées au terme de sa réflexion et cela change des synthèses tièdes que le sujet des retraites suscite parfois.

Cet ouvrage a le mérite, digne d'un couteau suisse, de proposer un survol historique opportun, de citer de nombreux acteurs de l'actualité ( dont ce " cher " Jean-Paul Delevoye ) sans exclusive ( des Économistes atterrés à Olivier Babeau en passant par François Charpentier ), d'avancer juste ce qu'il convient en matière de données chiffrées et d'énoncer les partis pris de l'auteur.

Au total, nous sommes face à un livre utile comme un " Que sais-je ? " pour catégorie premium : un texte à lire pour le citoyen un peu égaré par la complexité du sujet.

Homme d'action, Pascal Perri pense que la France de 2020 a rendez-vous avec son Histoire en matière de retraites et qu'il est urgent de trancher sauf à vouloir provoquer une impasse financière et un report, de plus, sur la tête – ou plutôt le portefeuille – des générations montantes.

La génération de la chance ?

" Les bénéficiaires en sont les baby-boomers qui, durant les Trente Glorieuses, ont cumulé toutes les chances : des années de croissance ininterrompues, le plein emploi et des salaires indexés sur une inflation qui dévorait chaque année la valeur monétaire de leurs emprunts immobiliers. " (p. 15). Archipel. Édition du Kindle.

Une angoisse collective pour partie exacerbée par de bonnes âmes :

" Le fait que ces jeunes adultes aient cité la retraite dans leur discours contestataire montre rétroactivement à quel point ce dossier est emblématique et fortement chargé d’émotion. Les deux extrémités de la vie, la jeunesse et la retraite, sont placées dans un espace de réaction où dominent l’inquiétude et les fantasmes. Certes, la retraite se prépare tôt dans la vie professionnelle, mais de là à en faire un horizon social absolu… surtout quand on a tout juste 20 ans." (p. 171).

Oui, ici et là l'UNEF sait exciter les peurs collectives et on peut éventuellement regretter que l'analyste Perri n'ait pas pris son scalpel pour identifier celles et ceux qui font commerce de l'immobilisme en France.

L'auteur nous dit les freins techniques à la réforme mais n'évoque pas clairement l'état des lieux qu'il connait – sans aucun doute possible - par ailleurs.

" Le problème principal de nos retraites réside dans la grande disparité des situations. (p. 52) ".

" La deuxième grande inégalité qui frappe notre système de retraite, c’est la persistance de très (trop) nombreux régimes spéciaux. " (pp. 54-55).

" Enfin, quand on parle retraite, nul ne peut passer sous silence le poids exorbitant des régimes dits « spéciaux », dont ceux de l’EDF, de la SNCF et de la RATP, qui coûtent chaque année à eux seuls 6 milliards à la communauté et sont une insulte à l’égalité républicaine." (pp. 17-18).

Le ton est donné mais ne recouvre-t-il pas une stricte vérité ? Avec l'existant, ce livre ne tergiverse pas : il étaye un vrai panorama des inégalités.

Traitant d'inégalités, j'ai redécouvert à quel point les femmes de France sont mal loties lorsqu'elles sont dans le salariat puis en retraite.

La réversion me parait un sujet capital du projet Macron et je reconnais que je n'ai pas de certitude quant à la réelle amélioration de la situation. Ce projet de Loi est évolutif autant qu'une bille de mercure est mal aisée à saisir.

" L’écart entre le niveau de pension des retraites des hommes et des femmes se réduit très lentement. Il reste de l’ordre de 30 %. Toutes les réformes récentes (2010-2014) se sont efforcées de réduire les écarts de genre. (pp. 71-72). "

" La retraite est un avantage de droit direct qui comporte des droits dérivés pour le conjoint survivant qui, au décès du titulaire, hérite d’une partie des droits acquis par le défunt. (p. 205). "

Ce sujet est d'autant plus aigu que notre situation d'ensemble ( productivité, finances publiques, démographie ) ne va pas faciliter la générosité sociale.

" On peut ici parler d’un « effet ciseaux » : pas assez de cotisants dans l’avenir et pas assez de productivité pour financer les besoins croissants de notre modèle social." (pp. 22-23).

" L’équation des retraites comporte deux variables essentielles : la croissance et la démographie. " (p. 60).

" Patrick Artus et Jean Peyrelevade proposent de sortir de cette partie de poker menteur. Ils suggèrent de reporter l’âge de départ à 65 ans, par glissement d’un trimestre par an. Dans Les Échos du 13 mars 2019, ils rappellent que « la réduction des dépenses publiques, nécessaire pour des raisons d’équilibre budgétaire, restera extrêmement difficile à faire si on s’interdit, par principe, de toucher au niveau des dépenses de retraite ». " (pp. 230-231). Archipel. Édition du Kindle.

On touche là au sanctuaire des 14% du PIB dédiés aux retraites.

Le temps de la réforme ?

Déjà Michel Rocard, alors Premier ministre en 1988, avait commandité un Livre blanc. De manière antérieure, deux esprits brillants avaient développé une instructive réflexion :

" En 1982, un professeur d’économie de Paris-X et un jeune assistant agrégé d’économie, Dominique Strauss-Kahn et Denis Kessler ( ndlr : actuel président de la Scor ), prennent la plume pour cosigner un ouvrage intitulé L’Épargne et la Retraite. Ils y affirment que « les difficultés démographiques que l’on peut craindre ne se feront pas sentir avant 2010, environ, et, de surcroît, les variables économiques (âge de la retraite, taux d’activité des personnes âgées, activité féminine, revalorisation des prestations) ont beaucoup plus d’importance que les seuls phénomènes démographiques ». Strauss-Kahn et Kessler plaident pour un modèle par capitalisation qui ne viendrait pas abroger la répartition. (pp. 141-142).

Depuis bien des années, l'économiste Jean-Marc Daniel ne dit pas autre chose : " Osons l’indicible en France, les fonds de pension seront plus efficaces que les systèmes publics de retraite." ( cité par l'auteur ) (p. 212).

Ce qu'une récente étude quantifiée sur les trente dernières années de Patrick Artus a confirmé très récemment.

Des démonstrations savantes établissent qu'un panachage instillant une dose de capitalisation ferait sens.

Quel dommage que Lionel Jospin n'ait rien voulu entendre voire comprendre. Le chemin ouvert, par exemple, par Jean-Pierre Thomas était de l'ordre de la nécessité.

La gauche a un souci avec la retraite comme accepte de le reconnaître Jean Peyrelevade, sauveur du Crédit Lyonnais mais néanmoins ancien directeur du cabinet de Pierre Mauroy en 1981.

Pascal Perri est clair : " On ne dira jamais assez combien nous payons cher la folie de la retraite à 60 ans votée en 1983 par la gauche mitterrandienne. " (p. 224). Si seulement on avait eu, à l'époque, l'idée d'introduire le concept de pénibilité d'où des bonifications d'annuités tout en restant à 65 ans pour le plus grand nombre.

On notera que le CREDOC et d'autres ont démontré que le recours à l'investissement immobilier et à l'assurance-vie en fonds euros sont des voies de solution pour ceux qui peuvent contrecarrer leur peur légitime à l'encontre d'une éventuelle et toujours possible baisse des pensions.

"Les pensions forment l’essentiel des revenus des retraités (77 %), mais certains perçoivent aussi des revenus sur un capital souvent immobilier (17 %), alors que d’autres (6 %) les cumulent avec un emploi, soit par nécessité pour une part marginale, soit par choix pour les deux tiers d’entre eux." (pp. 16-17).

Le oui de principe à la réforme se heurte au mur de la réalité :

La réforme systémique et la migration vers un régime à points semble séduisante à plus d'un titre et l'auteur le démontre avec minutie.

Toutefois, dans un louable souci de rectitude intellectuelle, le Monsieur économie de LCI verse au dossier des éléments qui nuancent la photo de départ et constituent les moellons en béton du mur de la réalité française.

Tout d'abord, il affirme : " Le président de la République ne pourra consentir que des amendements secondaires s’il entend garantir les équilibres financiers de court comme de long terme. " (p. 22). Sur ce plan, c'est raté et comme l'a écrit Nicolas Beytout : nous allons passer d'un régime universel théorique à un régime à dérogations. " Des régimes spéciaux aux dispositions spécifiques " ( sic ).

Puis, il cite un économiste modéré mais avisé : Christian Saint-Etienne :

« compte tenu de l’état de l’économie française, le point aura tendance à baisser, y compris une fois que vous serez parti en retraite, car il sera calculé chaque année. Le but réel du régime par points est de baisser les retraites 5 sans le dire et en faisant sauter tous les systèmes de solidarité qui sont inclus dans le système actuel ». (p. 65).

En amont, l'auteur nous avait déjà prévenus :

" Lors d’un séminaire tenu en 2009, les dirigeants de la Cnav (Caisse nationale d’assurance vieillesse) avaient justement fait remarquer que le modèle actuel repose sur trois variables : la durée de cotisation, l’âge de départ et le salaire annuel moyen. « Quand on bouge un paramètre, le cotisant peut se refaire sur les deux autres, avait alors lancé un cadre de la Cnav ; [tandis que] avec le régime par points, il n’y a plus de parachute. " (p. 19).

" Le modèle des points permet de variabiliser ce qui était auparavant fixe et garanti. Mon compère de TF1, François Lenglet, parle de son côté de « désocialiser le coût de la protection sociale ». L’expression est très juste." (p. 66). Le tandem Perri & Lenglet est en effet vulgarisateur mais précis. Solide comme les deux tours qui assurent l'entrée du port de La Rochelle.

Arrive alors la question à 15 milliards ( coût du rehaussement des traitements des fonctionnaires de l'Éducation nationale ) que l'auteur aborde via sa lecture des travaux du COR ( Conseil d'orientation des retraites ).

"Ainsi, selon le COR, les pensions moyennes vont baisser par rapport aux revenus moyens autour de 2070. Il faudra dès lors tabler sur des revenus d’activité supérieurs pour servir des pensions acceptables." (p. 51).

Ici, je dois dire que cette phrase est à la fois datée et prémonitoire. Le lectorat sait bien que cette question " des revenus d'activité supérieurs ", c'est une bombe à retardement pour les Finances publiques d'autant qu'au plan comptable la hausse des traitements des Agents de l'État s'imputera au budget général et non à celui des retraites. Donc le dogme des 14% du PIB connaitra un appendice de plusieurs dizaines de milliards…en dette de Maastricht.

Peut-être que le Haut-Commissaire Delevoye aurait pu alerter le Chef de l'État sur ce point et lui permettre de prendre un recul face au dispositif initialement projeté.

Perri prémonitoire ? " Ils n’ont pas tort non plus, un modèle économique qui doit être revu tous les 5 ans est par nature suspect ! " (p. 50). Or, il est patent que la future Loi de 2020 et le cortège de ses 29 ordonnances seront revisitées sous cinq ans.

Autre angle d'approche, les modalités de comptabilisation des pensions du secteur public posent question. On parle d'engagements hors-bilan et de 6 sommes d'autant plus conséquentes ( 2.400 milliards ) que les tables de mortalité retenues interpellent certains actuaires indépendants.

" À la différence du privé, l’État ne provisionne pas au fur et à mesure les droits à la retraite de ses agents. Il les compile dans un compte virtuel qui est celui de ses engagements (non décaissables en temps réel)." (p. 77).

Cette question du hors-bilan a fait récemment l'objet de travaux de la Commission des Finances du Sénat sous la direction de la Sénatrice Nathalie Goulet : Rapporteur Général des engagements financiers de l'État. (https://www.senat.fr/rap/l19-140-313/l19-140-313.html).

Un atout du présent ouvrage, rédigé par un fin connaisseur de la carte de France du monde du football, vient de sa capacité à mêler l'Histoire des relations sociales, le fameux débat à distance Bismarck / Beveridge, à certains points de théorie économique ( Public choice, etc ).

Une réforme dénaturée ?

Les multiples changements de pied de l'Exécutif ( qui ont largement alimenté le trouble de l'opinion publique ) et les aléas d'une discussion parlementaire tenue sous la pression persistante de la rue risquent de dénaturer un schéma initial.

A force de coups de canifs, cette réforme devient bancale et peu lisible. Trop de catégories socio-professionnelles s'interrogent profondément et tout cela ne permet pas d'augurer d'un consensus efficient, réaliste et stabilisé.

" Quand on sait qu’il manquera autour de 10 milliards dès 2022, la question de la gouvernance prend tout son sens. " (p. 58).

L'État gestionnaire ?

L'État aime à donner des leçons et oublie parfois, à l'insu de son plein gré…, qu'il encaisse un peu plus de 300 milliards de recettes fiscales mais qu'il dépense 400 Mds.

Avec un déficit de 93 Mds d'€uros inscrit dans le PLF 2020, certains décideurs publics devraient être modestes. Au lieu de cela, d'aucuns caressent l'idée de prendre la main sur la gouvernance de la future Caisse nationale du régime universel. Et donc, de facto, sur la valeur du point !

" La retraite gérée par l’État, sans entrer dans un débat polémique, produit systématiquement de la dette." (p. 109). L'auteur – là encore – ne mâche pas les mots qu'il convient d'appliquer à l'histoire récente.

Le plus savoureux étant que notre État est piloté par des responsables qui sont généralement cotisants actifs à la PREFON : un outil de capitalisation…

Conclusion provisoire…

" Les lecteurs du philosophe américain John Rawls, auteur d’une Théorie de la justice, y retrouveront le concept fondamental de cette théorie. La société doit être juste avant d’être égalitaire. Concept protestant s’il en est, dans lequel liberté et responsabilité sont indissociables. John Rawls renoue avec la tradition contractualiste : nous acceptons de renoncer à une partie de nos libertés personnelles en échange d’un cadre social durable et protecteur. Quand Léon Bourgeois estime que l’homme isolé n’existe pas, il ne dit rien d’autre que ce qu’avance Rawls. Oui, nous sommes débiteurs de la société ; et, dans le contrat social, chacun doit prendre sa part de l’effort et des fruits de cet effort." (p. 228).

Je termine par l'adapté questionnement de l'auteur :

"Autrement dit, ne faudrait-il pas encourager la part de liberté qui est en chaque vie sans pour autant renoncer au socle social des solidarités ? La France hésite encore. " Perri, Pascal. Retraites, la dernière chance : La réforme ou le chaos (p. 93). Archipel. Édition du Kindle.

Pour retrouver un premier extrait du livre de Pascal Perri publié sur Atlantico : ICI

Pour retrouver un second extrait du livre de Pascal Perri publié sur Atlantico : ICI

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