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De l’urgence de retrouver le vrai libéralisme face à la crise de défiance et après le mouvement des Gilets jaunes
©Zakaria ABDELKAFI / AFP

Bonnes feuilles

Ivan Rioufol publie "Les Traîtres" chez Pierre-Guillaume de Roux Editions. A la source du malheur français, il y a des traîtres. Cela fait quarante ans et plus qu'ils abusent de la confiance des électeurs et saccagent la nation. Le peuple en colère ne se taira pas de sitôt. Extrait 2/2.

Ivan Rioufol

Ivan Rioufol

Ivan Rioufol est essayiste et éditorialiste au Figaro. Il tient quotidiennement le blog Liberté d'expression. Il vient de publier un nouvel ouvrage, La guerre civile qui vient (Editions Pierre-Guillaume De Roux).

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Cette révolution conservatrice et nationale s’égarerait cependant si elle devait suivre les mots d’ordre éculés contre le libéralisme, responsable présumé des maux de la France. Ce prêt-à-penser est celui que la gauche et ses syndicats à la ramasse ont tenté de faire passer, sous les gilets jaunes qu’ils ont tardivement endossés après avoir copieusement insulté les pionniers de la révolte. Mais ce procès, si peu original, est une farce : quel est ce pays prétendument libéral, qui compte six millions de fonctionnaires, consacre 57 % de sa richesse à la dépense publique et ne cesse d’appauvrir ses citoyens, essorés par l’impôt et les taxes ? Rien n’est plus urgent, au contraire, que de redécouvrir ce qu’est le vrai libéralisme, qui préserve de la pensée totalitaire. Il est vain de vouloir opposer le libéralisme au populisme. Ces deux notions vont de pair, à la condition de savoir de quoi l’on parle. 

Avant d’être récupérés par la gauche et l’extrême gauche, les premiers Gilets jaunes sont à cent lieues des chapelets antiques sur la lutte des classes et le combat anticapitaliste. Quand Jacline Mouraud, une des premières figures de la contestation, interpelle Macron : « Qu’est-ce que vous faites de notre pognon ? », elle pose en creux la question de l’utilité de l’État providence que veulent perpétuer les adeptes de l’interventionnisme d’État. Or, cela fait longtemps que cet État providence, né dans la France soudée de l’après-guerre, consacre une partie de sa fortune colossale à tenter d’acheter, en vain, la paix sociale de la nouvelle France. La trop sage classe moyenne est sommée de payer toujours plus pour recevoir toujours moins. Cette injustice est celle de l’État Léviathan, et non celle du libéralisme. 

D’ailleurs, jamais, dans les premières semaines, le patronat n’a été une cible pour les manifestants, uniquement préoccupés par leur pouvoir d’achat et l’accumulation des taxes confiscatoires. Certains des premiers Gilets jaunes que je rencontre sont ces petits patrons et ces petits commerçants assommés par les charges et les impôts, qui réclament plus d’initiatives décentralisées et moins d’État jacobin. Si, par la suite, sous la pression des récupérations syndicales, certains parcours du samedi passeront sous les fenêtres du MEDEF, avec quelques « Ouh ! Ouh ! », jamais il n’y aura, à ma connaissance, de tentatives d’intrusions dans les locaux ni de dégradations des façades. 

Dans son essence, le mouvement des Gilets jaunes s’est inscrit dans la lignée de la pensée libérale traditionnelle, réclamant moins d’impôts, moins de taxes, moins d’État, moins de réglementations, plus de proximité, plus de localisme, plus de pragmatisme. Le progressisme ne se reconnaît pas dans les premiers pas des Oubliés car ceux-ci lui tournent le dos. Quand le leader de la CGT, Philippe Martinez, déclare ce 12 septembre 2019, oubliant ses premières critiques assassines : « On est proche de ces gens-là », en défendant en même temps les privilèges nés du régime spécial des retraites à la RATP, il confirme qu’il n’a rien saisi du besoin d’équité qui aiguillonne le mouvement. 

C’est le Système asphyxié qui est rejeté par les révoltés du 17 novembre 2018, parmi lesquels les fonctionnaires seront absents, ou en tout cas minoritaires. Le succès des Gilets jaunes est d’abord celui d’initiatives privées, d’audaces individuelles, de solidarités territoriales, locales, claniques, venues d’une France ayant préservé ses capacités d’inventions et de survie. Derrière les prétendus « beaufs » se révèlent des citoyens maîtrisant parfaitement les réseaux sociaux, y compris à des fins déstabilisatrices. Cette France abandonnée a appris depuis longtemps, grâce au système D, à développer des économies parallèles, des relations d’entraide et de gratuité, des échanges par troc, des mises en commun (covoiture, colocation, etc.). Elle a redécouvert le « nous » en rejetant le « je ». Elle veut « des liens et non des biens », comme l’a vu aussi le député (LFI) François Ruffin. Elle est la source des économies décentralisées et autonomes de demain.

De cette France bricoleuse, maligne et inventive, sont sortis, par exemple, Franky Zapata et sa drôle de machine à voler, lors du défilé du 14 juillet 2019. À force d’entêtement et sans aucune aide, le Marseillais a réussi à mettre au point son Flyboard Air qui a lui a permis de survoler, debout sur son socle propulsé, le défilé miliaire. C’est sur ce même engin, né de son cerveau et de sa ténacité, que cet ingénieur amateur traversera la Manche, quelques semaines plus tard. Mais qui peut douter des formidables talents que recèle la France ?

L’initiative privée est autrement plus efficace que l’État stratège, qui a réussi l’exploit de désindustrialiser le pays et de lier sa croissance a un endettement toujours plus élevé. 

C’est au cœur de cette société civile solidaire, en rupture avec les syndicats et plus généralement les corps intermédiaires devenus des boulets, que la pensée libérale a sa légitimité, en réaction à l’État intrusif et incompétent qui prétend avoir un avis sur tout. Cette pensée libérale s’y déploie comme un poisson dans l’eau. Elle  est indispensable, dans l’élaboration d’un projet alternatif destiné à remettre à sa place un pouvoir politique dépassé par les faits. Cette pensée libérale doit devenir la clé de voûte qui garantira d’éviter les dérives totalitaires et autoritaires qui ont marqué des décennies d’un progressisme sans repères, répétant dans le vide : « Je pense, donc tu me suis. » Remarquons que les 17 milliards d’euros que l’État a lâchés pour tenter d’apaiser la colère de la rue n’ont pas étouffé les braises. L’incendie ne s’éteindra pas par de l’argent mais par un nouveau projet en adéquation avec les nouvelles attentes des gens. 

Ce qui est à rejeter, en revanche, c’est ce que le macronisme mercantile a continué à faire du libéralisme économique, mis au service de la mondialisation, du libéralisme politique et d’une société sans limites, construite sur une fascination naïve pour un progrès sans boussole. Ce qui est à rejeter n’est pas le libéralisme, cet ADN de la pensée française, mais le néolibéralisme, qui s’est perdu, au fil des ans, dans la libre circulation liquide des capitaux, des produits, et des hommes, sans plus de distinctions entre eux. 

Ceux qui critiquent le néolibéralisme débridé ont raison de lui imputer la destruction des emplois, la destruction de l’industrie, la destruction de l’agriculture et la destruction de la croissance. À partir de 1974, l’instauration en continu d’un libre-échange mondialiste a été la cause des délocalisations et de la désindustrialisation française. Il a été poussé à son extrême par Macron et les intérêts financiers qui ont soutenu sa candidature. Mais le libéralisme n’a rien à voir avec cette débandade. 

Si l’Union européenne est critiquable, ce n’est pas pour son libéralisme quand il est tempéré.

Elle est critiquable pour son ouverture à tous les vents, au prétexte que ses valeurs l’inviteraient à rejeter les repliements, les frontières et les protections. Le protectionnisme a un sens quand il vise à se garder de désordres engendrés par l’absence de toute régulation réelle à l’échelle planétaire. Le prix Nobel d’économie, Maurice Allais, le remarquait, dès 2005 : « Les perversions du socialisme ont entraîné l’effondrement des sociétés de l’Est. Mais les perversions laissez-fairistes du prétendu libéralisme de ces trente dernières années nous ont menés au bord de l’effondrement de la société française. » L’effondrement est désormais sous nos pieds.

Extrait du livre d'Ivan Rioufol, "Les Traîtres", publié chez Pierre-Guillaume de Roux Editions

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