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Que se passe-t-il vraiment avec la croissance française ?
©ERIC PIERMONT / AFP

Mauvais chiffres

La croissance française a ralenti à 1,2% en 2019. Au dernier trimestre, la production de richesse a diminué de 0,1%. Ces chiffres sont une surprise pour les économistes, qui tablaient sur une croissance de 0,2% sur cette période.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Atlantico.fr : Les chiffres viennent de tomber : la croissance économique du pays est passée de 1,2% en 2019 contre 1.7% en 2018. Un ralentissement qui n'avait pas été anticipé par les économistes. Pourquoi ? 

Jean-Paul Betbeze : Nous vivons un coup d’arrêt à notre croissance, par l’addition de nos problèmes et de ceux qui nous viennent d’ailleurs.

D’abord, l’activité économique française épouse ce qui se passe ailleurs. Le ralentissement de la croissance française en 2019 est significatif et accompagne pour partie ce qui s’est passé dans l’économie mondiale. Le FMI la décrivait « comme étant en proie à un ralentissement synchronisé et à des risques de dégradation croissants qui pourraient faire dérailler davantage la croissance ». Au plan mondial en effet, les tensions entre les États-Unis et la Chine ont pesé, dans un contexte géopolitique partout tendu. En Europe, la question du Brexit a été dans toutes les têtes et, en zone euro, l’Allemagne (0,5% de croissance, aux prises avec les questions de son industrie, notamment automobile) et l’Italie (0% de croissance avec des problèmes permanents de productivité et de tensions politiques internes) ont illustré les deux interrogations qui demeurent : la politique, l’industrie.

-0,1% de croissance en fin d’année : la France a en plus contribué à son propre ralentissement ! Dans un contexte mondial et européen tendu, la crise de gilets jaunes, relayée par les questions sur les retraites et les grèves, ont beaucoup pesé. C’est ainsi que l’on a l’équation : interrogations mondiales + gilets jaunes + retraites = - 0,1% du PIB au quatrième trimestre 2019. La consommation des ménages n’a progressé que de 0,2%, contre 0,4% au troisième trimestre, l’investissement des entreprises de 0,3% contre 1,6%. Au total, la croissance française sera de 1,2% en 2019, contre 1,3-1,4% prévus, et contre 1,7% en 2018. Une telle « addition » de problèmes n’avait pas été anticipée : l’idée étant que la consommation « tiendrait ».

Les grèves ont influé sur l'économie française : baisse de la production, blocage des raffineries et ralentissement services de transports... Était-il temps que les manifestations s’essoufflent? Est-ce la seule cause de cette décélération ?  

Oui, les grèves ont pesé, dans les comportements de dépenses et d’investissement, et inquiété plus encore pour le futur. Nous avons vécu la fin de l’année dernière entre les déficits de la SNCF et ceux des retraites : on peut comprendre que les investissements des ménages et des entreprises baissent et que le taux d’épargne des ménages se mette à monter. Et ceci d’autant plus que le fond de la question est celui des régimes spéciaux, dont la normalisation pourra être coûteuse, sachant que la normalisation des retraites des enseignants impliquera aussi des revalorisations tout au long de la carrière, qui seront plus coûteuses encore. 

Oui, aussi, les manifestations sur les retraites « s’essoufflent », mais le temps que les comptes soient faits et que se pose la question de l’équilibre à terme du système ! On retrouvera alors les mêmes questions : durée de cotisation plus longue, cotisation retraite plus forte ou retraite plus faible, cotisations plus fortes des entreprises, et tout risque de repartir !

A l'intérieur même du pays, les importations (-0,2% après +0,6%) et les exportations (-0,2% après -0,3%) ont chuté au courant de ce trimestre. Et à l'international, le conflit sino-américain, gagne de l'ampleur. Comment faire reprendre des forces sur le plan international ?

Il n’y a pas de solution miracle. Ce qui aide, qui aident les marges des entreprises, ce sont nos taux plus bas qu’aux États-Unis et l’euro plus faible que le dollar. C’est l’envers de notre faiblesse économique. Ce qui aidera, c’est la mise en œuvre d’une politique industrielle en zone euro, même si le mot n’est pas prononcé. Et en France, rien ne sera possible sans adhésion à la stratégie à moyen terme qui se met en place : flexibilité de l’emploi et formation, remontée des marges et participation, renforcement de l’innovation et des ETI, modernisation de la fonction publique, amélioration des formations de base. Les taux bas et l’euro faible aident, mais le manque de cohésion sociale est un terrible handicap. La remontée de la compétitivité française est indispensable, mais ne sera importante que si elle est comprise et acceptée. Et  ceci n’est pas seulement une affaire gouvernementale !

Pour Bruno le Maire, pas de raison de remettre "en cause les fondamentaux de la croissance françaises, qui sont solides". Pour 2020, le gouvernement table sur une croissance de 1,3%. Est-ce réalisable ? La Banque de France mise plutôt 1,1%, soit le taux le plus bas depuis 2016. Sommes-nous face à une crise passagère ou à un vrai ralentissement pour l'économie française ? 

La croissance à moyen terme, la seule qui compte, dépend de l’investissement, c’est-à-dire des marges des entreprises et du moral des patrons. C’est alors que l’emploi va mieux, donc la consommation et le moral des ménages. La France a toujours un déficit de rentabilité, notamment par rapport à l’Allemagne, parce qu’elle a un déficit de compétitivité. Et l’Espagne et l’Italie avancent à l’export. Notre « solidité » est donc toute relative, notamment sans PME puissantes : c’est là le point faible, pour l’emploi et pour les territoires. Donc, avec ce qui passe, notamment avec le Coronavirus, 1,1% ne serait pas si mal. Encore une fois, une croissance se constitue dans la durée et la compréhension des enjeux actuels, pas dans la conservation des « acquis d’après-guerre ».

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