Ce plan Trump pour la paix dont les Palestiniens ne sauront pas plus saisir que des précédents<!-- --> | Atlantico.fr
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Donald Trump, Benjamin Netanyahu
Donald Trump, Benjamin Netanyahu
©- / AFP

Un accord de paix

Si le plan présenté par le président américain a été rejeté par les Palestiniens comme trop en faveur d’Israël, il est pour l’essentiel une mise en forme du statu quo inscrit dans la réalité.

Roland Lombardi

Roland Lombardi

Roland Lombardi est consultant et Directeur général du CEMO – Centre des Études du Moyen-Orient. Docteur en Histoire, géopolitologue, il est spécialiste du Moyen-Orient, des relations internationales et des questions de sécurité et de défense.

Il est chargé de cours au DEMO – Département des Études du Moyen-Orient – d’Aix Marseille Université et enseigne la géopolitique à la Business School de La Rochelle.

Il est le rédacteur en chef du webmedia Le Dialogue. Il est régulièrement sollicité par les médias du Moyen-Orient. Il est également chroniqueur international pour Al Ain.

Il est l’auteur de nombreux articles académiques de référence notamment :

« Israël et la nouvelle donne géopolitique au Moyen-Orient : quelles nouvelles menaces et quelles perspectives ? » in Enjeux géostratégiques au Moyen-Orient, Études Internationales, HEI - Université de Laval (Canada), VOLUME XLVII, Nos 2-3, Avril 2017, « Crise du Qatar : et si les véritables raisons étaient ailleurs ? », Les Cahiers de l'Orient, vol. 128, no. 4, 2017, « L'Égypte de Sissi : recul ou reconquête régionale ? » (p.158), in La Méditerranée stratégique – Laboratoire de la mondialisation, Revue de la Défense Nationale, Été 2019, n°822 sous la direction de Pascal Ausseur et Pierre Razoux, « Ambitions égyptiennes et israéliennes en Méditerranée orientale », Revue Conflits, N° 31, janvier-février 2021 et « Les errances de la politique de la France en Libye », Confluences Méditerranée, vol. 118, no. 3, 2021, pp. 89-104.

Il est l'auteur d'Israël au secours de l'Algérie française, l'État hébreu et la guerre d'Algérie : 1954-1962 (Éditions Prolégomènes, 2009, réédité en 2015, 146 p.).

Co-auteur de La guerre d'Algérie revisitée. Nouvelles générations, nouveaux regards. Sous la direction d'Aïssa Kadri, Moula Bouaziz et Tramor Quemeneur, aux éditions Karthala, Février 2015, Gaz naturel, la nouvelle donne, Frédéric Encel (dir.), Paris, PUF, Février 2016, Grands reporters, au cœur des conflits, avec Emmanuel Razavi, Bold, 2021 et La géopolitique au défi de l’islamisme, Éric Denécé et Alexandre Del Valle (dir.), Ellipses, Février 2022.

Il a dirigé, pour la revue Orients Stratégiques, l’ouvrage collectif : Le Golfe persique, Nœud gordien d’une zone en conflictualité permanente, aux éditions L’Harmattan, janvier 2020. 

Ses derniers ouvrages : Les Trente Honteuses, la fin de l'influence française dans le monde arabo-musulman (VA Éditions, Janvier 2020) - Préface d'Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement et de sécurité de la DGSE, Poutine d’Arabie (VA Éditions, 2020), Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2021), Abdel Fattah al-Sissi, le Bonaparte égyptien ? (VA Éditions, 2023)

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Donald Trump annonçait ce mardi son plan de paix au Proche-Orient en compagnie de Benyamin Netanyahou. Un plan -porté par son gendre Jared Kushner- qui faisait suite à deux ans de préparation.

Atlantico : Le plan porté par Trump ne satisfait pas la droite israélienne. Pourquoi ? Alors que Jérusalem reste l'unique capitale d'Israël, quels sont les points de désaccords entre Trump, son allié objectif Netanyahou et les opposants à cet accord ? 

Roland Lombardi : Trump vient effectivement de dévoiler son "accord du siècle" : Entre autres et rapidement, solution à deux États avec donc, un État palestinien et l'éventualité d'une reconnaissance officielle de Jérusalem-est comme capitale, investissement de 50 milliards de dollars pour cet État, échange de territoires...
Je tiens tout d’abord à souligner que beaucoup de "spécialistes" affirmaient pourtant que la solution à deux États était morte et enterrée, et que les Israéliens ne l'accepteraient jamais, ou que ce plan de Trump n'était que du vent voire même qu'il n'existait pas... et nombre d'autres sornettes ! Aujourd’hui, même si ce plan est loin d’être parfait pour les deux parties, il a au moins le mérite d’exister. Il ressemble d’ailleurs beaucoup à ce que j’annonçais en mai 2018 dans vos colonnes : " Benyamin Netanyahou finira par céder à la pression américaine en dépit de ses résistances personnelles, politiciennes ou électorales… Ce qui est certain, c’est qu’au plus les gestes et les gages donnés par le Président américain à l’État hébreu (déménagement de l’ambassade américaine à Jérusalem, retrait de l’accord sur le nucléaire iranien…) seront grands, les concessions israéliennes seront surprenantes… Rien n’est gratuit en politique. Trump veut ardemment son « deal du siècle ». Nous ne savons pas encore quelle forme prendra ce traité. A n’en pas douter, il sera basé sur un accord sur deux États (défi démographique oblige pour l’État hébreu), fortement inspiré de l’initiative de paix saoudienne de 2002, réajusté, réactualisé et modernisé, avec peut-être, chose qui peut paraître encore impensable aujourd’hui, des échanges de territoires voire même un statut particulier de Jérusalem. (...)
En définitive, tout cela peut sembler bien irréaliste… pour l’instant. Certes, je ne me fais pas d’illusions. Le chemin sera certainement encore long et difficile. Pour autant, l’Histoire et même l’actualité récente, avec la réconciliation des deux Corées, nous rappellent que ce qui est inimaginable à un moment donné, peut très bien devenir réalité un jour ". 
Mais pour revenir à l’annonce du président américain, il ne faut pas s’enflammer. Ce n’est qu’un plan, une base pour les négociations qui vont dès lors commencer. Or, c’est loin d’être gagné. Ces négociations vont être très compliquées et si je puis me permettre, cela risque d’être assez « folklo » ! Car, dès hier soir après la présentation de Trump, l’Autorité palestinienne et le Hamas ont rejeté catégoriquement ce plan. En Israël, une partie de la droite refusera également l’éventualité d’un Etat palestinien et d’autant plus avec Jérusalem-Est comme capitale !

Atlantico : L'autorité Palestinienne était la grande absente lors de la présentation du plan. Pourtant, il promet de faire de Jerusalem-Est la capitale d'un pays palestinien, si et seulement si ses ressortissants renoncent au terrorisme. Cette proposition ne semble pas plus déraisonnable que celles qui lui ont précédé, ainsi pourquoi un tel refus palestinien ? 

Roland Lombardi : Concernant le Hamas, à Gaza, son refus du plan est logique. L’organisation islamiste palestinienne veut la disparition pure et simple d’Israël ! Quant à Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne, il a clairement et officiellement annoncé son rejet du « deal du siècle » de Trump. Il a relevé, à juste titre d’ailleurs, une petite incohérence dans le discours de mardi soir du président américain : « « Jérusalem, capitale indivisible d’Israël » et « une capitale palestinienne à Jérusalem-Est » ! Abbas ne peut pas non plus accepter la souveraineté d’Israël sur la vallée du Jourdain (terres les plus fertiles de la zone) prévue dans le plan. Toutefois, à moins de surestimer le président palestinien, je pense que ce dernier ne recherche qu’à faire monter les enchères. Ou alors à jouer la montre en misant sur la victoire de Benny Gantz  en mars prochain (paradoxalement l’ancien général de Tsahal sera plus à l’aise que Bibi pour négocier avec les Palestiniens). A moins, qu’Abbas espère la défaite de Trump aux prochaines élections. Mais dans ce cas, je pense que ce serait une erreur. Car si Trump n’était plus là après novembre 2020, ce serait un retour au statut quo et pire, il n’aurait alors plus de meilleure occasion pour un nouvel accord à l’avenir. Paradoxalement, et on vient d’en avoir la confirmation hier soir, pour l’instant, seul Trump est capable d’imposer des concessions aux Israéliens. Honnêtement, et même si encore une fois ce plan est loin d’être parfait, lorsqu’on écoute bien le discours du président américain et surtout, lorsqu’on lit l’intégralité et avec attention le projet de 80 pages, comme je l’ai fait cette nuit (je précise car comme toujours beaucoup d’« experts » commenteront sans l’avoir lu !), force est de reconnaître qu’il est sérieux et « faisable ». D’autant plus qu’il y a encore des points que les Palestiniens peuvent encore négocier et sur lesquels Américains et même Israéliens seraient susceptibles de faire des concessions supplémentaires. Enfin, lorsqu’on regarde attentivement la carte de cet éventuel accord, au niveau des territoires, en guise de dédommagement par rapport à l’annexion de la vallée du Jourdain, les Palestiniens recevraient des terres d'une surface équivalente dans la partie du désert du Néguev qui jouxte Gaza. En outre, Israël s'engagerait à établir un corridor routier (un tunnel), entre Gaza et la Cisjordanie, placé sous sa souveraineté, mais sans point de contrôle. Un peu ce qu’avait proposé Olmert en 2008. Le problème c’est que ce plan Olmert avait déjà été refusé par les Palestiniens alors qu’il était beaucoup plus avantageux pour eux que le projet de Trump, notamment en Cisjordanie... Vous savez le dicton populaire le dit très bien : « on sait ce que l’on a, mais on ne sait jamais ce que l’on va avoir » !

Atlantico : Les négociations vont à présent s'ouvrir. S'imagine-t-on voir les palestiniens rejoindre la table des négociations ? Ont-ils encore la possibilité de le refuser ?

Roland Lombardi : Vous savez, comme on dit souvent dans la région, les Palestiniens ne ratent jamais une occasion de manquer une occasion ! Comme je l’ai dit justement plus haut avec le plan Olmert. Or, je vois mal Abbas ne pas revenir, à terme, à la table des négociations. Pour la bonne et simple raison qu’il est plus que jamais isolé. Tant sur le plan intérieur qu’extérieur. Son rapprochement de circonstance avec le Hamas suite à l’annonce du plan Trump ne durera pas. Le président américain a coupé les aides financières. Les deux grands parrains de l’Autorité palestinienne, l’Egypte de Sissi et l’Arabie saoudite de MBS ont fait partie des négociations secrètes durant ces deux dernières années. A n’en pas douter, les pressions de Riyad et du Caire sur Abbas se feront de plus en plus fortes. Le roi de Jordanie, « coincé » par sa population (composée à 70 % de Palestiniens) qui est très sensible sur cette question israélo-palestinienne, finira lui aussi par accepter ce plan. Il a trop besoin des Etats-Unis !
Et puis ne soyons pas dupes, je ne peux pas en dire plus, mais au-delà des intermédiaires saoudiens ou égyptiens, certains diplomates palestiniens n’ont jamais rompu totalement les pourparlers avec les Américains voire même avec les Israéliens !
Quant aux Russes, comme cela a été déjà le cas, ils conseilleront discrètement à Abbas de revenir négocier directement avec les Israéliens. N’oublions pas que Poutine a intérêt que Trump soit réélu...

Atlantico : Si ces négociations s'avéraient concluantes, ne serait-ce pas là un argument de taille pour le candidat Trump lors des élections prochaines ? 

Roland Lombardi : Nous n’en sommes pas encore là. Comme je l’ai dit plus haut, c’est loin d’être gagné. Les négociations seront longues et difficiles. Cela dépendra fortement de l’élection de mars en Israël et la présidentielle américaine de novembre 2020. J’ai déjà expliqué plus haut, qu’en cas de défaite de Trump, les chances d’un accord s’éloigneront inexorablement. En Israël, si Netanyahou est réélu, hormis ses problèmes judiciaires, il aura du mal à négocier car sa coalition de droite sera très fragile. Par contre si Benny Gantz est vainqueur, nous pouvons être optimistes. En effet, l’ancien chef d’état-major de Tsahal est un pragmatique, très au fait de la réalité des rapports de forces. Il peut être l’homme idoine pour négocier un véritable accord gagnant-gagnant. Il est vrai que l’histoire, et particulièrement celle d’Israël, le prouve : ce sont souvent les faucons (Begin) ou les anciens généraux (Rabin et Sharon), qui, connaissant le prix du sang, font la paix ! Effectivement, auréolé de sa crédibilité militaire acquise sur les champs de bataille, Gantz serait plus enclin à faire la paix avec les Palestiniens et les Arabes en général. A l’inverse de ce que beaucoup croient, les militaires israéliens (à l’image de Gantz et de tous les officiers généraux qui le suivent) sont peut-être les seuls, avec Trump (qui veut entrer dans l’Histoire et être réélu !) et bien sûr la majorité des peuples israélien et palestinien, à vouloir réellement la paix. Il suffit de discuter avec des officiers israéliens comme ceux du Shabak, le Service de sécurité intérieure, pour comprendre qu’une paix signée diminuerait, sans pour autant bien sûr les faire disparaître, les risques d’une nouvelle Intifada ou des attentats. Au moins, elle aurait le mérite de faire redescendre la pression sécuritaire quotidienne…
Le problème c’est que les gens qui n’ont pas intérêt à la paix entre Israéliens et Arabes sont encore à la manœuvre ! Il suffit d’écouter les réactions dans les médias depuis hier soir... D’abord, nombreux sont ceux qui souhaitent que Trump se casse la figure et feront tout ce qui est possible pour faire capoter son projet (son establishment, tous les anti-Trump primaires et hystériques, les démocrates, les néocons et j’en passe...). En Europe, certains aimeraient bien que les tensions demeurent. C’est cynique mais en cas de paix, ils n’auraient tout simplement plus de griefs envers Israël ! Regardez comme le traité de paix entre l’Egypte et Israël de 1979 fut critiqué, notamment par la France. D’ailleurs, à coup sûr, Paris et le Quai d’Orsay pourfendront également le plan de Trump ! Au niveau régional, comme je l’ai souvent dit, un tel accord, même s’il sera toujours condamné, couperait tout de même beaucoup d’herbes sous les pieds du radicalisme palestinien (mais aussi israélien) et de tous les extrémistes du monde arabe (Frères musulmans, salafistes et jihadistes) mais aussi de la République islamique d’Iran (et donc du Hezbollah), dont la lutte contre l’Etat « sioniste », fut, est et sera toujours, sa principale « carte de visite » dans le monde sunnite. Pour certains politiciens israéliens comme pour les responsables du Hamas et certains du Fatah, le conflit israélo-palestinien est un fond de commerce très rentable, et pas que sur le plan politique... 
D’ailleurs, pas sûr que les cadres du Hamas comme certains de l’Autorité palestinienne, puissent aussi facilement se servir, comme ils le font allègrement avec les aides européennes par exemple, dans les 50 milliards de dollars que promet le locataire de la Maison-Blanche...
Sans parler de certains leaders arabes qui, grâce au formidable « dérivatif » que représente la « cause palestinienne », occultent ainsi les difficultés socio-économiques de leurs pays, et leur impéritie à les régler, à leur propre population...
C’est tout le drame de cette région. Encore trop d’acteurs ne veulent pas la paix. Et c’est malheureusement toujours les peuples qui en paieront le prix !

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