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70 ans de la mort d’Orwell : pourquoi l’auteur de 1984 aurait été horrifié de nous voir nous inscrire sur des sites de rencontre (sans parler du reste de notre vie en ligne…)
©Reuters

Données personnelles

L'ONG norvégienne Norwegian Consumer Council basée à Oslo a, dans un rapport, alerté des dangers liés aux applications de rencontre (Tinder, Grindr, OKCupid). Selon le rapport, ces applications revendraient les données (âge, sexe, localisation etc.) de leurs utilisateurs à des entreprises publicitaires.

Yves Michaud

Yves Michaud

Yves Michaud est philosophe. Reconnu pour ses travaux sur la philosophie politique (il est spécialiste de Hume et de Locke) et sur l’art (il a signé de nombreux ouvrages d’esthétique et a dirigé l’École des beaux-arts), il donne des conférences dans le monde entier… quand il n’est pas à Ibiza. Depuis trente ans, il passe en effet plusieurs mois par an sur cette île où il a écrit la totalité de ses livres. Il est l'auteur de La violence, PUF, coll. Que sais-je. La 8ème édition mise à jour vient tout juste de sortir.

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Atlantico.fr : Alors que nous avons fêté le 21 Janvier dernier les 70 ans de la mort du génial George Orwell, pensez-vous que ses prophéties (syndrome Big Brother par exemple) s'installent de plus en plus dans notre société ? Si oui, de quelles façons ?

Yves Michaud : Dans 1984, les individus sont sous l’œil du télécran qui capte tous leurs comportements.

Nous avons nous aussi des télécrans – ce sont les caméras de surveillance disposées un peu partout dans les espaces publics, mais aussi celles des radars routiers et de tous les sites publics et commerciaux « sous surveillance vidéo ».

Nous avons encore nos moyens de télé-surveillance à nous : bornages de nos téléphones, cookies informatiques que nous acceptons pour naviguer sur les sites, GPS téléphoniques et embarqués et maintenant électro-ménager connecté. Nous avons enfin les photos et vidéos dont nous nous servons pour nous exhiber et, en quelque sorte, nous « auto-espionner » sur facebook, instagram, et qui deviennent la propriété des sites. Il y a même des idiots qui postent sur snapchat ou whatsap les viols et agressions qui les « auto-incriminent ».

Quant aux quantités de big data que nous laissons sur nos traces internet, elles sont gigantesques et les collecteurs et destinataires finaux sont loin d’être toujours connus. La SNCF sait énormément de choses sur moi à travers mes habitudes de déplacement. Et je me demande quelle est la politique du Trésor public en matière de collecte des traces informatiques, car je suis sûr que nos bureaucrates enregistrent même (et surtout) nos hésitations, nos erreurs et nos corrections…

Beaucoup de scandales ont éclaté au grand jour concernant le vol et la revente de données personnelles sur Internet, pourtant rien ne semble inquiéter les utilisateurs. Existe-t-il une responsabilité des utilisateurs dans le vol de leurs propres données ? Avons-nous à ce point intégré ces risques qu'ils en sont devenus banals, routiniers ?

Yves Michaud : Bien sûr que nous sommes les premiers responsables !

Il nous faut en quelque sorte payer en données personnelles les péages pour naviguer sur internet. Si vous utilisez le navigateur Tor qui vous rend en principe intraçable et le moteur de recherche DuckDuckGo vous serez anonyme mais vous aurez du mal à accéder aux sites qui vous intéressent, pour ne rien dire de payer vos impôts, d’acheter un billet d’avion ou de draguer sur Tinder… En revanche vous pourrez aller sur le Darknet….

Nous n’intégrons pas les risques : nous les acceptons comme contrepartie des services dont nous voulons bénéficier.

Et comme nous sommes pressés et fascinés par la magie du réseau et de ce qu’il offre (rencontres, visibilité, pornographie, jeux, argent, achats et le tout en one-click), nous commettons en plus des imprudences. Il est très difficile d’éduquer les gens, adultes comme enfants, à la prudence.

Afin de palier à ce phénomène, les États-Unis ont récemment voté une loi afin de mieux protéger les utilisateurs de ces applications et l'Union Européenne interdit tout vol de données. Est-il possible de réprimander les entreprises publicitaires alors que les utilisateurs consentent à partager leurs données ? Comment se fait-il que les utilisateurs consentent à cela ?

Yves Michaud : Je crois peu aux lois en ce domaine car la réglementation a toujours du retard sur les changements techniques. Le règlement e-Privacy, qui devrait encadrer les communications électroniques et plus particulièrement la protection de la vie privée lors de ces communications, n’a toujours pas été voté à ce jour par le Parlement et le Conseil européens.

Et nous-même aidons les offreurs à tourner la loi. Voyez à quelle vitesse nous validons sans y regarder de trop près les conditions d’utilisation des cookies que chaque site propose conformément au Règlement général sur la protection des données (RGPD).

Je crois plus à l’éducation de l’usager par son expérience, y compris par ses déboires (piratages, chantages, escroqueries, etc).

Le fond de ma pensée est en fait pessimiste-optimiste : il faut être conscient que de toute manière tout finit par se savoir pour peu qu’on le cherche – et même sans le chercher. Notre personne est entièrement sur le net dès lors que nous utilisons ces technologies et ce sera de pire en pire. C’est non pas l’évènement de Big Brother mais le retour du Dieu qui voit tout, entend tout et sait tout. Nous serons de plus en plus tout nus sous le regard de ce Dieu. Sauf à n’utiliser aucune des technologies contemporaines – mais ce seul fait nous rend suspect. C’est déjà le cas pour la traque des terroristes qui n’utilisent pas… leur mobile : ils augmentent significativement leur « chance » d’être victime d’un assassinat ciblé...

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