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Villes fermées et quarantaine : ce qui pourrait (ou pas) se passer en France en cas de pandémie aigüe
©CHEN CHI-CHUAN / AFP

Impact

Alors que les autorités chinoises ont pris des mesures strictes afin de lutter contre le coronavirus qui touche notamment la ville de Wuhan, quels pourraient être les recours sur le plan juridique pour protéger les citoyens si l'épidémie avait lieu en France ?

Natalie Maroun

Natalie Maroun

Natalie Maroun est directrice-conseil et analyste chez Heiderich Consultants, spécialisée dans la gestion et la communication de crise. Elle travaille également pour l'Observatoire international des crises (OIC). 

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Christophe Lèguevaques

Christophe Lèguevaques

Christophe Lèguevaques est avocat au barreau de Paris, docteur en droit. Christophe Lèguevaques est également membre-fondateur de METIS-AVOCATS AARPII - Association d'Avocats à Responsabilité Professionnelle Individuelle Inter-Barreaux. 

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Atlantico.fr : La Chine, et plus particulièrement la ville de Wuhan, sont touchées de plein fouet depuis quelques semaines par un coronavirus dont les autorités ignorent encore la provenance. Il semblerait qu'une touriste chinoise - se plaignant de toux et de fièvre (symptômes du coronavirus) - en provenance de Wuhan a aujourd'hui réussi à passer les douanes françaises.

Si l'épidémie avait lieu en France, qu'est-ce que l'on pourrait faire juridiquement pour protéger les citoyens de ce virus ? 

Christophe Lèguevaques : Face à une pandémie mondiale, la France n’est pas seule. Elle doit agir de manière coordonner avec les autres pays. C’est pour cela que l’Organisation mondial de la santé (OMS) a mis en place un système de surveillance et d’alerte.

Depuis la crise du virus H5N1 en 2008-2009, le système de sécurité sanitaire français a été revu de fonds en comble. En effet, il était complexe et reposait sur trois organismes :

  • l’institut de veille sanitaire (InVS), chargé de la surveillance et de l’observation permanentes de l’état de santé de la population, de la veille et de la vigilance sanitaire, et de la participation au système d’alerte sanitaire.
  • l’INSTITUT NATIONAL DE PRÉVENTION ET D’ÉDUCATION POUR LA SANTÉ (INPES), qui était notamment en charge de la mise en œuvre des politiques de prévention et d’éducation pour la santé, ainsi que d’une fonction d’expertise et de conseil en matière de prévention et de promotion de la santé.
  • l’ÉTABLISSEMENT DE PRÉPARATION ET DE RÉPONSE AUX URGENCES SANITAIRES (EPRUS). Né en 2007 à la suite de l’épidémie de chikungunya en outre-mer, cet établissement était chargé notamment de la gestion des stocks pharmaceutiques stratégiques, et de près de 2000 réservistes sanitaires pouvant être très rapidement mobilisés en cas de crise sanitaire, en France ou à l’étranger.

Dans un souci d’efficacité et de partage d’information, ces trois organismes ont été fusionnés en 2016 pour créer l’Agence nationale de Santé publique (ANSP).

Un rapport parlementaire souligne que cette ANSP vise « à améliorer la cohérence globale du système de vigilance sanitaire, et à dégager des marges de manœuvre – notamment financières – pour renforcer certaines missions jusqu’alors mal couvertes, telles que la conception et l’évaluation des interventions sanitaires ».

Par ailleurs, il existe tout un arsenal législatif qui permet au gouvernement de mobiliser des moyens importants.

On peut notamment citer l’article L. 3131-1 du Code de santé publique qui dispose que « En cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d'urgence, notamment en cas de menace d'épidémie, le ministre chargé de la santé peut (…) prescrire dans l'intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population ».

La généralité des termes de cet article permet au Ministre de la santé de prendre « toute mesure » de la vaccination obligatoire à la mise en quarantaine, à la surveillance de certaines populations, en passant par la réquisition de produits pharmaceutiques ou de professionnels de santé.

Mais le texte ouvre également la porte à un contrôle par le juge administratif car la mesure doit être « proportionnée aux risques cours et appropriée aux circonstances ».

Natalie Maroun : La France comme tous les pays du monde répond au Règlement Sanitaire International (RSI) et par conséquent s'engage vis-à-vis de l'OMS, de sa population et des autres pays à limiter la propagation des maladies infectieuses. Pour cela, la France peut s'appuyer sur un arsenal juridique qui lui permet de réquisitionner des lieux, de fermer certains lieux aux publics, de limiter les mouvements dans un ou plusieurs quartiers, de mobiliser le corps médical, de renforcer les contrôles aux frontières (notamment aéroportuaires) voire d'arrêter de desservir certaines zones à risques comme cela a été le cas lors de l'épidémie d'Ebola en Afrique de l'Ouest. Ces règlementations s'appliquent également aux entreprises qui se doivent de suivre les consignes, de s'organiser et d'informer leur propre personnel. Au-delà de l'arsenal juridique, protéger les citoyens passe également par une communication soutenue avec les professionnels de santé et l'ensemble de la population.

La Chine a notamment mis en place la quarantaine dans certaines villes. Dans une démocratie, concrètement, quelles mesures peuvent être prises ? Demander à l'armée d'intervenir ? La quarantaine de certaines villes également?

Christophe Lèguevaques : La mise en quarantaine d’une ville est une mesure complexe et difficile à mettre en œuvre. Il suffit de constater que la ville de Wuhan comprend plus de 11 millions d’habitants, soit autant que toute la population de l’Ile de France.

Plutôt que de mise en quarantaine, il convient de parler de confinement ou de limitation des échanges de population entre différents territoires.

Une telle mesure est tout à faire envisageable en France : fermeture des aéroports ou des gares, limitation des transports en commun, et pourquoi pas rationnement de l’essence pour limiter les échanges individuels.

Sans aller jusqu’à imaginer l’intervention de l’armée (que l’on ne peut pas exclure), il existe en France un corps de réserviste de santé qui permet de faire face à une crise sanitaire majeure en proposant notamment un renfort hospitalier, une médicalisation exceptionnelle de dispositifs sociaux, une campagne de vaccination exceptionnelle, une expertise et appui des autorités chargées d’organiser la réponse face à une épidémie, etc.

Si l’épidémie est vraiment exceptionnelle (du type grippe espagnole 1919), on peut imaginer que l’application de l’article 16 de la Constitution. On se souvient que le Général de Gaulle a souhaité introduire un texte qui permet au Président de la République de se conduire comme un « dictateur romain », « lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la Nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux sont menacés d'une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu ».

Ainsi, le Président de la République peut prendre toutes « les mesures exigées par les circonstances », le cas échéant, au mépris du principe de la séparation des pouvoirs. Il peut ainsi prendre des mesures qui relèvement normalement de la compétence du Parlement ou exercer le pouvoir réglementaire sans solliciter le contreseing du Premier ministre et des ministres.

Mais il faut raison garder, si l’épidémie de grippe espagnole a été particulièrement mortelle (50 à 100 millions de morts dans le monde), c’est certes parce que le virus H1N1 était puissant mais c’est surtout parce que les populations étaient épuisées par 4 années de guerre.

Natalie Maroun : En France, une organisation exceptionnelle avait été prévue en prévision de la grippe A. Ce plan prévoyait déjà la possibilité de mise en quarantaine de personnes ou de lieux, la fermeture de lieux publics, l'arrêt des transports en communs (social distancing), l'interdiction de certaines manifestations rassemblant des personnes. Cela a pour objectif de protéger la population mais également les propriétés pour éviter que la situation ne dégénère. En revanche, dans un pays démocratique, une attention particulière est donnée aux droits fondamentaux et des commissions d'enquête menées à postériori pourront garantir qu'il n'y a pas eu de discrimination dans les mesures prises et que la gestion était à la hauteur de la crise et dans le respect des droits des citoyens (secret des données médicales, protection des données personnelles, entrave à la liberté de circuler)

Quels effets ces mesures peuvent-elles avoir sur la population ? Peuvent-elles se heurter à des enjeux extérieurs à la santé publique ?

Christophe Lèguevaques : Ces mesures peuvent être extrêmement coercitives ou intrusives. Dès lors, elles peuvent être mal comprises par la population. Dans un monde plein de folles rumeurs, où la parole des experts peut être mise en doute par le moindre influenceur sur les réseaux sociaux, les pouvoirs publics ont intérêt à jouer la carte de la transparence et de la pédagogie.

Trop souvent et on l’a vu au moment de la crise du LEVOTHYROX en 2017, la ministre de la santé n’écoute pas les plaintes des malades ou les remontées des professionnels de santé. Une gestion technocratique ou cybernétique aggraverait la crise.

Il faut créer un lien de confiance et ne pas donner l’impression que ce sont les intérêts financiers des industriels de la pharmacie qui dictent sa politique au gouvernement.

Une épidémie peut être l’occasion d’affirmer la suprématie du pouvoir politique sur le pouvoir économique. Ce peut être également l’occasion d’illustrer la nouvelle séparation des pouvoirs particulièrement nécessaires à notre temps.

Au XVIIIème siècle, Montesquieu a démontré qu’une démocratie n’était possible que si les pouvoirs politiques (exécutif, législatif, judiciaire) étaient séparés. Aujourd’hui, on peut considérer que la démocratie ne survivra aux crises qui viennent que si la séparation entre le pouvoir politique et le pouvoir économique est assurée.

Malheureusement, le doute s’est insinué avec le gouvernement Macron-Philippe qui est un gouvernement de millionnaires au service de milliardaires.

D’un autre côté, les citoyens doivent cesser de se comporter en consommateurs égoïstes, « en particules élémentaires ». Face à une épidémie, l’individu doit agir de manière coordonnée et mettre en avant le principe de solidarité.

Revendiquer sa liberté pour refuser de participer à l’effort collectif est purement suicidaire. Dans ce genre de situation, il faut méditer et faire vivre plus que jamais l’article 4 de la déclaration des droits de l’homme qui peut se résumer ainsi : la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres.

Comment lutter efficacement contre ce virus ? Est-on en train de vivre le début d'un phénomène semblable au SRAS ou à l'ebola ?

Christophe Lèguevaques : Je n’ai pas de compétence médicale suffisante pour répondre à cette question. Pour le moment, l’OMS considère que la pandémie est contenue.

Natalie Maroun : Les récentes épidémies nous démontrent que ce n'est pas au seul pays concerné par un nouveau virus de répondre mais que la réponse est mondiale comme l'a rappelé l'OMS. Espérons que les leçons de la précédente épidémie de SRAS permettent d'arrêter la contamination sans atteindre des chiffres élèves. Même s'il y a des points communs dans toute réponse aux épidémies, le coronavirus n'est pas ebola. Rappelons que le virus de la grippe saisonnière fait plusieurs milliers de décès en France chaque année alors qu'un vaccin existe

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