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Goliath : le livre choc sur la manière dont les citoyens occidentaux ont organisé la dangereuse impuissance des démocraties (et la surpuissance des géants du web)
©DAMIEN MEYER / AFP

Fiche de lecture

Dans son livre Goliath, l'intellectuel Matt Stoller tente de démontrer la manière dont les citoyens occidentaux (en se basant sur les États-Unis) ont organisé l'impuissance des démocraties au profit des géants du web et autres grands groupes capitalistes.

Yves Michaud

Yves Michaud

Yves Michaud est philosophe. Reconnu pour ses travaux sur la philosophie politique (il est spécialiste de Hume et de Locke) et sur l’art (il a signé de nombreux ouvrages d’esthétique et a dirigé l’École des beaux-arts), il donne des conférences dans le monde entier… quand il n’est pas à Ibiza. Depuis trente ans, il passe en effet plusieurs mois par an sur cette île où il a écrit la totalité de ses livres. Il est l'auteur de La violence, PUF, coll. Que sais-je. La 8ème édition mise à jour vient tout juste de sortir.

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Dans son livre Goliath, l'intellectuel Matt Stoller tente de décrire la façon dont la concentration du pouvoir financier et le consumérisme ont transformé la politique américaine, entraînant l'émergence du populisme et de l'autoritarisme, ainsi que la chute du Parti démocrate - tout en fournissant les étapes nécessaires à la création d'une nouvelle démocratie. Matt Stoller explique que le mouvement anti monopole américain notamment était déjà à l'époque responsable de l'ascension de grands groupes industriels en politique.

Atlantico : En 2020, les démocraties occidentales sont-elles obligées de cohabiter avec les GAFAM afin d'assurer leur sûreté ? Sommes-nous revenus au "night watchman state" énoncé par Adam Smith dont le rôle de l’État ne consiste plus qu'à défendre ses citoyens et assurer leur protection ?

Yves Michaud : Commençons par nuancer : « les démocraties occidentales » sont très différentes les unes des autres et surtout très différentes de la démocratie  américaine.

Je ne suis pas d’accord avec la thèse de Stoller (mais il est jeune et avoue n’avoir découvert l’Histoire que tardivement) : il y a eu dès la fin du XIXème siècle aux USA des campagnes anti-trust, dénonçant les collusions entre politiques et grands groupes économiques. Ces campagnes ont eu des hauts et des bas mais pas plus loin que 1982, le géant AT&T devait se diviser en compagnies régionales Bell, les Baby Bells.

Par ailleurs la démocratie américaine a toujours été en fait oligarchique, ne serait-ce qu’en raison des budgets publicitaires indispensables pour faire campagne.

Dans le cas des USA, il faut ajouter une chose capitale : il s’agit d’une nation impériale et impérialiste, avec un budget militaire qui dépasse l‘imagination et qui est lui-même moteur de recherche scientifique. Et ça le peuple américain l’accepte sans broncher.

J’ai pour ma part tendance à penser que les grandes concentrations industrielles ont pour origine les développements techniques et la propriété de brevets de grande importance. Elles sont donc tendanciellement inévitables. Ne serait-ce qu’à travers les rachats de start-up.

Les citoyens dans un premier temps ne sont pas contre car ils veulent profiter des avancées techniques, par exemple dans le domaine automobile (autrefois) et dans celui des communications numériques (aujourd’hui).

Derrière cela il y a aussi l’idée que la taille permet de rationaliser, de produire moins cher et donc de permettre à tous de  profiter des améliorations techniques. Poussée à la limite, cette idée implique la demande de collectivisation, qui est une tradition européenne forte. Il y a eu dans les années 1920-1930 de nombreux essais comparant et rapprochant le système industriel américain et le système soviétique, par exemple ceux d’un auteur aussi visionnaire que Georges Friedmann, inventeur de la sociologie du travail, puis des loisirs et enfin des médias.

Le problème demeure de réguler les effets de monopole, les développements à grande ambition souvent d’ailleurs mal calculées (le Concorde, par exemple). Le « peuple » se rend assez bien compte des points où « ça cloche », mais la grande difficulté est alors celle du personnel politique disponible. Devrais-je me répéter, je considère qu’on a de plus en plus affaire à des oligarchies de pouvoir incestuelles et consanguines, allant des affaires à la politique et de l’administration aux affaires (le pantouflage) ou à l a politique. Contrairement à Stoller, je ne critiquerai certainement pas la notion d’élite de pouvoir de C.W. Mills : elle décrit bien le phénomène et ne va certainement pas dans le sens de la résignation face aux trusts mais comment structurer la demande populaire ?

A lire aussi, l'entretien de l'auteur : Matt Stoller : « Nombre d’institutions mondiales, à commencer par l’Union européenne, sont dominées par des gens qui n’aiment pas la démocratie »

Les citoyens occidentaux sont-ils responsables de cette impuissance de la démocratie ? Si oui, de quelles façons ?

Je pense que les citoyens sont en partie responsables. Aujourd’hui plus que jamais par leur goût pour une société du confort, de la facilité et du plaisir. Tout le monde est contre Google mais tout le monde s’en sert. Tout le monde est contre Airbnb mais tout le monde cherche si ce n’est pas moins cher que l’hôtel. Tout le monde est contre Amazon mais quand vous ne trouvez pas quelque chose, vous allez voir sur Amazon. Tout le monde plaint les livreurs Deliveroo mais commande une pizza ou je ne sais quoi chez le restaurateur du coin.

En revanche, s’agissant de la régulation, sa défaillance n’incombe pas au peuple mais aux élites politiques et aussi aux mille-feuilles bureaucratiques de l’État de droit surtout quand il prend une extension européenne. Le pouvoir réglementaire et anti-réglementaire, il est chez les avocats, les fiscalistes, les ingénieurs financiers et fiscaux, les juges, les supra-juges, les supra-supra-juges. S’il y a une dérive des super-groupes vers le gigantisme, il y a aussi une dérive des institutions vers le gigantisme, la complication et du coup l’irresponsabilité.

Qu'en est-il en France ?  Que peuvent faire les États face à ce dévoiement de la démocratie ?

Pour le moment rien : plus on régule, plus on complique, moins c’est utile et moins le citoyen s’y retrouve. Je me souviens avoir proposé à Benoît Hamon, au moment de « sa » loi sur la consommation une mesure simple : que toute démarche d’adhésion, d’achat, de souscription sur internet qui se fait en un clic puisse se défaire en un clic. Si A peut s’abonner en un clic à B,  il doit pouvoir se désabonner de même. Il est quand même fou que vous deviez envoyer la sacro-sainte lettre recommandée AR pour vous défaire d’un truc que vous avez souscrit d’un geste ! Hamon a semblé trouvé ça exorbitant, à moins qu’il n’ait rien compris. Voyez aussi combien de temps il a fallu pour mettre fin au racket des frais de roaming téléphonique entre pays européens.

L’avenir viendra de la capacité du populisme à s’organiser et à se structurer et ça dépendra de l’émergence de politiciens neufs et astucieux. Je trouve que Boris Johnson est en train de donner un exemple intéressant. Pour cela il faut renverser pas mal de catégories et secouer le cocotier où sont accrochés les oligarques. Je me suis amusé pour ma part à suggérer l’idée d’une politique qui ne dégoulinerait pas de la confiture de la bienveillance universelle et qui remettrait à l’honneur l’idée de loyauté. Il y a plein d’autres idées choquantes à remettre en circulation.

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