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Le taux du Livret A à 0,5% : une règle nouvelle sans « coup de pouce » ? Qu’aurait donné l’ancienne ?
©DENIS CHARLET / AFP

Baisse

Le taux du livret A passera de 0,75 à 0,5% le 1er février 2020, par application de sa nouvelle règle de calcul.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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0,5 % : c’est fait. Le taux du livret A passera de 0,75 à 0,5% le 1er février 2020, par application de sa nouvelle règle de calcul : moyenne semestrielle du taux d’inflation et des taux interbancaires à court terme, avec un taux plancher à 0,5%. La banque de France nous aide : la moyenne semestrielle du taux ressort à -0,42% de juillet à décembre 2019 et le glissement annuel moyen sur 6 mois de l’inflation (hors tabac) s’établit à 0,87%. La moyenne de ces deux indicateurs est ainsi : (0,87% - 0,42%)/2 = 0,23%. Donc le taux du Livret A doit passer à 0,25%, la moitié de ce qui a été retenu !

0,25 !!! On y serait sans « coup de pouce » ? Heureusement, la nouvelle règle n’est donc pas si « bête » que cela, puisqu’elle ajoute : « avec un taux plancher à 0,5% ». Or, on lit souvent dans les médias que le gouvernement a pris le risque de baisser le taux du « Livret A » en pleine période de manifestations sur les retraites, gilets jaunes et à 4 mois de élections municipales. Ce serait donc de sa part une incurie politique rare, sauf que la décision utilise le taux plancher. On imagine d’ici le tollé, avec un taux à 0,25% ! En fait, les autorités ont appliqué la règle, en prenant le risque politique d’obéir à une équation, plutôt que de politiser toute décision sur le Livret A, en rouvrant la question de son taux. «La mesure proposée permettra la construction de 17 000 logements de plus ou la rénovation de 52 000 autres » ajoute la Banque de France, pour prévenir autant que possible les critiques portant sur le risque de décollecte venant de responsables du financement social.

1,75% : c’est ce qu’aurait donné la règle précédente (2016) ! Selon elle, le taux du Livret A aurait été donné par le chiffre le plus élevé entre : l’inflation des douze derniers mois plus un quart de point (1,5 + 0,25 = 1,75%) et la moyenne arithmétique entre l’inflation des douze derniers mois (0,87%) et le taux bancaire à trois mois (-0,42%), soit 0,23% = (0,87 - 0,42)/2), donc 1,75%. Mais 1,75% aurait déclenché un cataclysme dans le logement social et les PME qui bénéficient de ces crédits ! C’est bien pourquoi la nouvelle règle voulait surtout « remédier au cas particulièrement exceptionnel d’une inflation très supérieure aux taux monétaires ». Exercice à moitié réussi : le saut des taux par indexation directe à l’inflation a été évité, mais pourquoi cette baisse ?

-0,42% pour les taux courts : voilà la grande nouveauté, attribuable à la politique monétaire de la Banque centrale européenne ! C’est elle qui a fait baisser les taux à 0% et le taux interbancaire à -0,42% pour faire repartir l’économie, puis l’inflation vers 2%. Mais voilà que l’inflation se réveille plus vite que la croissance. Cet effet de ciseaux entre inflation qui repart et taux interbancaires négatifs fait plonger les taux au-dessous du « plancher » ! Et ces taux très bas de la BCE devraient durer cette année, donc prolonger les taux du Livret A à 0,5%. Pourquoi ne pas l’avoir dit ? Le grand écart inflation-taux aurait été explicable. Est-ce pour protéger la BCE ou plutôt pour continuer à déterminer par des règles de calcul nos deux totems économiques : Livret A et SMIC ? Ne vaut-il pas mieux, en effet, que les politiques utilisent le capital économique qui leur reste à (bien ?) faire des réformes plutôt qu’à prendre des coups semestriels (Livret A) ou annuels (SMIC) ?

Donc personne n’est fou : il s’agit toujours de protéger de l’inflation, mais sa montée subite en France, après la chute des taux bancaires a créé un cas « anormal », souhaitons-le temporaire, à résoudre par plus de croissance.

Quelles leçons tirer de tout cela ?

Leçon 1 : les règles ne prévoient pas tout, mais c’est mieux que de tout politiser à leur place.

Leçon 2 : la Banque centrale européenne est entrée dans le Livret A.

Leçon 3 : il faut à peu près connaître les règles de calcul du Livret A et des autres taux réglementés pour agir plutôt que pour se plaindre. Comme le taux du Livret A vient pour moitié de la BCE, il restera bas.  Mais le taux du livret d’épargne populaire (LEP), c’est 1% (hors impôts et prélèvement sociaux) pour les ménages modestes (30 645 euro pour deux parts), soit potentiellement 40% des Français. C’est pour eux !

Leçon 4 : attention aux intox. Le Livret A ne « vole » pas 3 milliards d’euros l’an à ses détenteurs par écart entre son taux et l’inflation : il est défiscalisé, liquide, sans frais et sûr.

Leçon 5 : les détenteurs de Livret A se plaignent, mais restent. C’est leur « habitat préféré » pour une épargne liquide, « au cas où ». En 2014, face à la baisse des taux de l’époque, 51% des Français interrogés disaient qu’ils allaient continuer d’épargner, mais sur d’autres supports, 38% qu’ils ne changeraient pas, 10% qu’ils consommeraient plus. Aujourd’hui, les Livrets A n’ont jamais été aussi remplis !

Leçon 6 : les politiques se déchainent sans savoir. Ce n’est pas une « spoliation des ménages qui bossent » (Dupont Saint-Aignan). Ce n’est pas non plus seulement une baisse d’un euro par mois pour un dépôt moyen de 4800 euros (députée de la majorité Sophie Errante qui préside la commission de surveillance de la Caisse des Dépôts) : c’est un dépôt sciemment peu rémunéré, liquide et sûr, qui permet 250 milliards de financement social et 350 milliards de crédits aux PME. On ne peut monter le taux du Livret A et baisser les taux de ce qu’il finance !  

Leçon 7 : les défenseurs des consommateurs ont râlé sans plus. Aucun n’a voulu le rétablissement de la règle ancienne qui aurait fait basculer l’épargne vers le Livret A, au détriment des bons du trésor, fait s’effondrer le logement social et nombre de PME. Il s’agit d’un équilibre instable.

Leçon 8 : libre aux détenteurs de livrets d’aller aussi en bourse. Il y a autant en actions cotées qu’en Livret A ; 300 milliards. Mais la bourse qui est montée de 24% en 2019 et a beaucoup distribué de dividendes avait baissé de 11% en 2018. Elle bouge.

Leçon 9 : le Livret A n’est pas « populaire ». C’est le LEP, comme son nom l’indique qui l’est (Livret d’épargne populaire). Ce qu’on ne dit pas, c’est que 11% du nombre de Livrets (fin 2018) sont à plus de 19 125 euros, soit la moitié des encours. Leurs détenteurs doivent avoir leurs raisons.

Moralité : le Livret A est l’emprunt perpétuel français qui arrange tout le monde

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