Début de la fin ?
Pourrissement sur les retraites : mais qui saura réparer la démocratie française ?
Influences diverses et variées, peuple pas toujours écouté, passage de textes de lois en force... La démocratie telle qu'elle se présente aujourd'hui en France n'est plus fonctionnelle.
Edouard Husson
Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli.
Atlantico : Ce constat est partagé par Emmanuel Macron et les courants populistes, mais chacun échoue à la faire revivre. Pourquoi, tout en multipliant les solutions hommes politiques et courants politiques diverses ont-ils échoué à donner un nouveau à la démocratie ?
Edouard Husson : Cela commence toujours de la même façon, quel que soit le pays. Le sentiment d’appartenance à l’élite l’emporte sur l’envie de débattre au sein des élites. Les milieux dirigeants, au fond, ne mènent plus que des débats factices. Progressivement, par réaction, il se crée un populisme qui est l’exact miroir de l’élitisme. La droite et la gauche disparaissent, au moins comme forces politiques organisées. En France, c’est l’adhésion à l’Europe qui a joué ce rôle-là. En 1978, Jacques Chirac s’oppose vigoureusement à l’Europe fédérale que Valéry Giscard d’Estaing a en tête. D’ailleurs, en 1981, Giscard perd, à la fois parce qu’il a voulu faire la politique de la gauche sur les questions de moeurs et parce qu’il s’est affirmé comme un président mondialiste, qui voulait abolir les débats politiques au profit d’un grand rassemblement au centre. Emmanuel Macron n’a rien inventé, il n’est que le dernier des giscardiens. Auparavant, nous avons assisté à l’abandon par François Mitterrand de son programme social-démocrate au profit de la doctrine monétariste de Giscard et Barre, qu’il avait combattue avant 1981. Perdant par deux fois sa majorité à l’assemblée, le président Mitterrand décide de cohabiter avec Jacques Chirac puis avec Edouard Balladur. Les droite et gauche dites de gouvernement sont progressivement sorties de l’affrontement entre elles. La montée du Front National qui se voulait « économiquement de droite, socialement de gauche et nationalement de France », selon l’expression de Jean-Marie Le Pen, est le miroir tendu à la droite et à la gauche, quand elles ne veulent plus débattre entre elles. Le système de non-débat au sein des élites s’aggrave sous Jacques Chirac et cela donne l’élection présidentielle de 2002, où Jacques Chirac, candidat des élites européistes et mondialistes affronte au deuxième tour Jean-Marie Le Pen, candidat populiste. Le cycle se reproduit de 2002 à 2017: Nicolas Sarkozy essaie de reconstruire la droite mais n’en prend pas complètement les moyens; François Hollande, pour l’affronter en 2012, offre une parodie du mitterrandisme de sa jeunesse en matière de fiscalité, de déclarations contre la finance etc... Et puis les deux présidents se remettent au centre et tout cela finit par un nouvel affrontement entre le candidat des élites et la candidate du peuple. Pour le plus grand profit des élites, qui arrivent toujours à disqualifier le populisme.
Emmanuel Macron pensait que donner davantage la parole aux citoyens résoudrait une partie du problème. L'échec est cuisant, pourquoi cette solution ne fonctionne-t-elle pas ?
A partir du moment où les élites ne savent plus débattre en leur sein, elles sont incapables, en général, d’organiser un débat public ! Le fameux « Grand débat » de Macron est une caricature: il a monologué pendant des dizaines d’heures devant des auditoires triés. Dommage que Castro soit mort: ils auraient pu jouer au jeu du plus long discours. On remarque d’ailleurs une tendance du président de la République à prononcer des discours de plus en plus longs. Cela reflète l’essence du macronisme: à force de ne plus débattre entre eux, les partis de gouvernement en finissent par souhaiter ne plus perdre de temps à des débats factices en leur sein et n’avoir plus qu’un seul parti ! Regardez la manière dont beaucoup de membres de LR n’aspirent qu’à une seule chose: trouver un accord électoral avec LREM. Les hésitations ne tiennent plus qu’à des conditions de tactique électorale ou d’opportunisme. La réforme des retraites a réveillé des discours d’opposants au sein de LR. C’est uniquement parce qu’Emmanuel Macron apparaît affaibli. Sur le fond, François Fillon voulait la même réforme des retraites qu’Emmanuel Macron. Elle aurait été sans doute mieux préparée, c’est tout. Ce n’est pas le seul sujet sur lequel Les Républicains sont à peine distinguables de la majorité présidentielle. Sur les sujets dits « sociétaux », il y aurait matère à une opposition radicale et systématique. Si la droite ne défend plus la famille, elle se prive d’un puissant moyen de défendre la liberté individuelle. Malgré cela, la droite, depuis Giscard, vote une réforme individualiste après l’autre.
Que faire pour raviver la démocratie ? Recréer du lien direct, est-ce la solution ?
La france n’est pas seule dans la situation que je viens de décrire, d’une incapacité des élites à débattre en leur sein. L’Allemagne d’Angela Merkel est atteinte du même mal: la Chancelière en a même fait son slogan: « Il n’y a pas d’alternative ». En retour, elle a dû assister à la montée d’un parti populiste, l’AfD, dont l’acronyme signifie précisément « Alternative pour l’Allemagne ». Le résultat, c’est une forte abstention, un effondrement des sociaux-démocrates, une Chancelière incapable de faire passer une réforme de fond jusqu’à la fin de son mandat en 2021. Ce qui vient de se passer en Grande-Bretagne nous montre à l’inverse la voie du renouveau démocratique. Les conservateurs de Boris Johnson ont assumé qu’il y ait un débat au sein des élites, sur le sujet par excellence, celui de l'appartenance du pays à l’Union Européenne. Au contraire, le Labour de Jeremy Corbyn a refusé d’assumer une position claire sur ce sujet: les travaillistes ont perdu une grande partie de leur électorat populaire au profit des conservateurs. Je ne crois donc pas que la question soit celle de la démocratie directe. Le référendum britannique de 2016 avait été on ne peut plus clair, pour souhaiter la sortie britannique de l’UE. Les trois ans qui ont suivi nous ont montré que le problème ce sont les élites quand elles refusent le débat en leur sein.
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