Brexit : l'écrasante victoire de Boris Johnson, quel avenir possible pour le pays ?<!-- --> | Atlantico.fr
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©Tolga AKMEN / AFP

Bilan 2019

Atlantico a demandé à ses contributeurs les plus fidèles de dresser un bilan de l'année. Christophe de Voogd, historien et professeur à Sciences Po, revient sur la victoire de Boris Johnson.

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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La victoire écrasante de Boris Johnson aux dernières élections générales britanniques constitue sans aucun doute l’un des faits majeurs de l’année écoulée, qu’elle a clôturée de façon retentissante.

Evidemment, c’est la perspective, désormais certaine, du Brexit qui a le plus retenu l’attention des commentateurs en Europe. Car, même si les inconsolables du referendum de 2016 veulent encore croire à un ultime rebondissement, Brexit il y aura. Désormais en position de force à la suite de son triomphe électoral, Le Premier ministre britannique va engager de rudes négociations avec l’Union, qui connaîtront soyons en sûrs, des moments de crise, de bras de fer, voire des impasses, mais qui déboucheront sur un accord de divorce, sans doute plus favorable au Royaume-Uni que les trois dernières années, passées en atermoiements, ne le laissaient escompter. 
Il serait pour autant prématuré d’en tirer des conclusions quant aux effets finaux du Brexit, tant sur l’Union que sur la Grande-Bretagne. Les chiffres actuels de l’économie britannique démentent assurément les pronostics catastrophistes du camp du Remain ; ils ne donnent pas pour autant l’assurance d’une prospérité durable et prescrivent encore moins la voie à suivre pour d’autres pays européens, en particulier ceux de la zone euro, dont l’attachement à la monnaie unique ne fait que croître.

Sur ce sujet, en effet, le wishful thinking tient trop souvent lieu d’analyse, et ce de part et d’autre : chez les eurosceptiques comme chez les europhiles. 

Il en va de même pour la compréhension, en termes de politique intérieure britannique et de leçon électorale pour la droite et la gauche européennes, des résultats du 12 décembre dernier.  On oubliera par charité les pronostics de certains « experts », qui, contre l’évidence répétée des sondages et des enquêtes qualitatives, annonçaient un parlement sans majorité (hung Parliament), voire une victoire du Labour… 

Mieux inspiré, et malgré sa ligne éditoriale de gauche, le Guardian a reconnu - il est vrai après les élections- que la victoire de Johnson reposait sur des fondamentaux de l’histoire politique britannique, dominée depuis le 19ème siècle par les Conservateurs. Les Tories ont gouverné le pays bien plus longtemps que leurs rivaux, libéraux d’abord, travaillistes ensuite. Domination qu’ils doivent, toujours selon le Guardian à la combinaison de trois facteurs : leur sens de l’histoire, qui leur a fait changer de logiciel aux moments décisifs pour « surfer » sur les grandes mutations du pays, de la révolution industrielle à la mondialisation actuelle ; un patriotisme intransigeant, qui, de l’aventure impériale à la guerre des Falklands en passant par l’épopée churchillienne, résonne profondément dans l’âme d’une des plus vieilles nations d’Europe ; enfin une culture politique marquée par le sens de l’humour et de la convivialité de ce jolly party (« parti joyeux »), incarné au plus haut point par Churchill, figure tutélaire de Johnson : un style assurément plus attirant que la sècheresse dogmatique dans lequel le Labour de Corbyn s’est à nouveau enfermé. 

Mais la victoire de Boris Johnson est aussi, et peut-être d’abord, une victoire rhétorique et devrait être méditée par tous les aspirants à l’élection, tant elle constitue un exemple lumineux de ce que parler veut dire en politique. Avec, en prime, le contre-exemple simultané du discours de Corbyn qui constituait tout ce qu’il ne faut justement PAS faire en la matière.

Nul doute que Johnson, ancien élève d’Eton et d’Oxford, grand connaisseur des humanités grecques et latines (même si la haine contre lui a conduit certains à se ridiculiser en niant contre l’évidence, sa connaissance d’Homère) a bien retenu les enseignements d’Aristote et de Cicéron. Clarté de la thèse (le Royaume Uni est empêtré depuis 3 ans dans une impasse sur le Brexit) et évidence du message (“Let’s get Brexit done”!). Et un message en deux parties et en deux temps, ce qui n’a guère été relevé sur le continent : car s’il faut mettre le Brexit derrière soi, c’est pour passer vite au vrai défi du pays, objet de l’agenda central de Johnson: la relance de l’économie et des services publics, par une politique combinant de fortes politiques de l’offre et de la demande. D’où la hausse du salaire minimum, les milliards consacrés au service public de santé (NHS) et aux infrastructures routières et ferroviaires, avec simultanément des baisses d’impôt.   

Toujours aveuglés par leurs préjugés, nos esprits chagrins, pour qui Johnson ne saurait être qu’un “clown populiste à l’agenda ultra-libéral”, n’ont pas perçu la pertinence et le pragmatisme de ce programme autorisé par la très bonne situation financière du Royaume-Uni. Comme ils n’ont pas vu que Johnson, en maître des codes, a su s’adresser à tous les électorats par des mots simples et directs, voire familiers (folks !), appliquant à la lettre la recommandation d’Aristote de savoir s’adresser au peuple et d’éviter “les raisonnements trop compliqués”.

De même, la pensée politiquement correcte n’a pas su voir qu’en adoptant un tel programme de relance des services publics, Johnson poussait Corbyn encore plus vers la “gauche de la gauche” (où il avait déjà tendance à aller de lui-même) et à tomber dans une surenchère (nationalisations coûteuses, délire dépensier et matraquage fiscal), irrecevable même par l’électorat du Labour. Le tout en s’empêtrant dans un message incompréhensible sur le Brexit, avec un nouveau referendum pour lequel il refusait de donner une consigne de vote.

Les enjeux sociétaux ont fait le reste : prônant une politique d’immigration restrictive et une priorité à la sécurité publique, conformes aux vœux d’un large électorat, notamment dans les circonscriptions “blanches” populaires, Johnson a mis en porte à faux un Labour s’identifiant de plus en plus avec les minorités ethniques, et clairement islamo-gauchiste dans ses choix intérieurs et extérieurs. L’attentat du London Bridge, en pleine campagne électorale, commis par un islamiste un peu trop tôt sorti de prison, a fini d’enfoncer le clou dans le cercueil travailliste.

Autant de leçons applicables sur le continent et notamment en France? En partie oui : l’enfermement actuel de la gauche française sur des positions proches de celle de Corbyn est à l’évidence une impasse, que ses résultats électoraux sanctionnent depuis 2017 et que confirme l’effondrement en cours de la France Insoumise. Nul doute que notre gauche, si elle veut avoir le moindre espoir de renaître, devra opérer une révision déchirante de son logiciel, comme ont su le faire les sociaux-démocrates danois et, en partie, leurs homologues néerlandais et espagnols.

A droite, le choix d’un agenda économique, non pas “libéral”, vu la regrettable répulsion de ce mot dans notre culture politique, mais pragmatique, s’impose ; tout comme l’intransigeance sur le régalien et la laïcité, et une profonde refonte de la politique d’immigration en faveur d’une immigration d’études et de travail et d’un droit d’asile non dévoyé. Nous en sommes très loin, et le retour au chiraquisme mou des LR ne laisse présager aucune résurrection rapide de ce côté-là.

Enfin, pour tous nos leaders politiques, le triomphe de Johnson doit inviter à retrouver une rhétorique simple, qui cesse de vouloir ménager “en même temps” la chèvre et le chou, qui appelle un chat un chat (et non un tueur islamiste, un “déséquilibré”…) ; qui réponde aux préoccupations massives de la population et non du petit monde médiatico-intellectuel ; et qui allie pédagogie et empathie, en lieu et place de la “com” et de la suffisance technocratique. 

Encore une fois, rien ne permet de présager le succès de Boris Johnson dans l’exercice du pouvoir, mais, pour reprendre la célèbre distinction de Léon Blum (déjà présente chez Machiavel), en matière de conquête du pouvoir, son triomphe électoral devrait inviter l’ensemble de nos acteurs politiques, aussi bien à droite qu’à gauche (ou en Macronie), à méditer les recettes d’un pareil succès. 

Il est vrai que la situation financière de notre pays et l’hystérie du débat public ne nous donnent pas les marges de manœuvre de nos amis britanniques : il nous faudra passer d’abord par une profonde remise en ordre, tant économique que psychologique, qui a précisément déjà eu lieu, et depuis longtemps, en Grande-Bretagne. Soit, à droite, avec une Margaret Thatcher à la française ; soit à gauche avec un équivalent de Tony Blair. Dans les deux cas, cela signifie l’urgence d’un retour impératif à ce “bon sens” qui semble avoir totalement déserté la patrie de Descartes.

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