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Les ambassadeurs : ces témoins-clés pour juger des conséquences et de l'impact du terrorisme pour la France et son image
©Reuters

Bonnes feuilles

Jean-Christophe Notin publie "Français, le monde vous regarde" aux éditions Tallandier. Dans ce livre, 32 ambassadeurs, de tous les continents, livrent leur point de vue sur la France qui les accueille. Extrait 1/2.

Jean-Christophe Notin

Jean-Christophe Notin

Jean-Christophe Notin est l’auteur de nombreux ouvrages tant sur la Seconde Guerre mondiale (La Campagne d’Italie, 2002 ; Leclerc, 2005), que sur les conflits récents (La Guerre de l’ombre des Français en Afghanistan, 2011 ; La Guerre de la France au Mali

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Quand l’opération Serval fut lancée, le 11 janvier 2013, un des arguments du pouvoir politique fut le danger de laisser se créer un califat qui aurait hébergé et formé les auteurs de futurs attentats en France et en Europe. Les faits ont démontré, à partir du 7 janvier 2015 et du carnage dans les locaux de Charlie Hebdo, que la Syrie et l’Irak avaient supplanté le Sahel pour servir de cadre à cette macabre université du terrorisme. Les attaques du 13 novembre suivant ont souvent été assimilées au « 9 septembre 2001 français » tant les pertes furent nombreuses et l’émotion paroxysmique. Les ambassadeurs ont été aux premières loges pour juger des conséquences sur la vie du pays…

Alexandre Orlov (RUS) : Je me souviens très bien de l’attentat contre Charlie Hebdo. Ce jour-là, j’avais un déjeuner avec Rachida Dati à la Résidence. Un coup de téléphone l’a prévenue de l’attentat. Elle s’est excusée et est partie. J’étais presque en direct de cet attentat, c’était affreux ! 

Nikolaus Meyer-Landrut (ALL) : La journée qui m’a le plus marqué fut le 13 novembre. C’était un match France-Allemagne…

JCN : Vous étiez au stade ? 

Nikolaus Meyer-Landrut (ALL) : Oui. Avec le ministre des Affaires étrangères allemand et le président de la République française. J’étais à une place de monsieur Hollande. On a entendu les « boum », on s’est regardés, on n’a pas compris. On pensait que c’était peut-être un pétard… Je me rappelle que j’ai regardé dans le stade et j’ai vu qu’il n’y avait aucune fumée. Donc, j’ai dit à mon ministre Steinmeier : « Ce n’est pas normal, il se passe quelque chose… » Dès qu’il a eu des renseignements, le président Hollande nous a informés. Donc, probablement nous avons été parmi les premiers à l’être. J’avais à peu près 200 personnes de l’ambassade, collaborateurs et familles, dans le stade… Il y avait aussi 1 000 volontaires qui avaient aidé dans le crash de l’avion allemand dans le sud des Alpes (Crash du vol 9525 de ligne de la German Wings, le 24 mars 2015).

JCN : Vous étiez donc aux premières loges… 

Nikolaus Meyer-Landrut (ALL) : On a parlé avec le président Hollande pendant la pause. Il nous a demandé de rester. J’ai compris pourquoi, lui, il est parti. C’est peut-être le match de foot dont je me rappelle le moins… On était assis, on essayait d’en savoir plus, mais les portables ne marchaient pas bien, car sans doute les Français les ont brouillés un peu… Et on est partis cinq ou dix minutes avant la fin. Je voulais raccompagner mon ministre à l’aéroport pour qu’il parte, car on n’avait aucune idée de ce qui allait se passer…

JCN : Il est parti le soir même ? 

Nikolaus Meyer-Landrut (ALL) : Oui, il a pris l’avion comme prévu après le match. Ce fut certainement la journée qui m’a le plus marqué… 

Ehab Ahmed Badawy (ÉGY) : Je l’ai très mal vécue. Un choc. Après, on m’annonce le décès de deux citoyens égyptiens. Monsieur Salah Emad El Gebaly et une jeune femme franco-égyptienne, Lamia Mondeguer. Au Stade de France, un passeport égyptien a été retrouvé qui, selon les médias, appartenait au terroriste. J’ai dû intervenir pour signifier qu’il appartenait à l’une des victimes et non au terroriste qui avait fait exploser la bombe. Or il se trouve que la mère du détenteur du passeport, qui avait perdu son mari il y a une vingtaine d’années et se consacrait à l’éducation de ses deux enfants, était venue à Paris pour faire soigner l’un de ses fils atteint d’un cancer. Son frère avait décidé de se rendre au Stade de France pour voir le match… Malheureusement, il a été très grièvement blessé, et depuis cette date, sévèrement handicapé, il est en rééducation en France et subit de nombreux et douloureux traitements. Durant cet épisode dramatique, le jeune garçon atteint du cancer est décédé… Un drame qui m’a profondément bouleversé…

JCN : Une terrible fatalité… 

Ehab Ahmed Badawy (ÉGY) : Des jeunes hommes de 24 à 26 ans… La fatalité… 

Nikolaus Meyer-Landrut (ALL) : Nous, on a eu deux morts.

JCN : Vous l’avez su dans la soirée ? 

Nikolaus Meyer-Landrut (ALL) : Non, c’est toujours très compliqué. Il faut l’identification et l’information officielles des autorités françaises. 

Qëndrim R. Gashi (KOS) : Moi, j’étais ici en 2016, le 14 juillet, quand il y a eu l’attaque à Nice. C’était, au niveau émotionnel, peut-être un des jours les plus difficiles de ma vie depuis la guerre au Kosovo. Car vous voyez ce qui se passe, et vous n’avez pas la force de le stopper.

JCN : Comment avez-vous jugé la réaction des autorités françaises ? 

Nikolaus Meyer-Landrut (ALL) : L’ensemble de l’État a réagi de manière très efficace… L’action le soir même au Bataclan nous a impressionnés, je pense, à juste titre. C’était quand même une situation extrêmement compliquée. Et là aussi, on voit l’efficacité d’un État centralisé. 

Petr Drulák (TCH) : En Tchéquie, on suivait les attentats en France à la télé en continu avec sidération et solidarité…

Zhai Jun (CHIN) : Les attentats qui ont frappé la France depuis 2015 ont eu une résonance mondiale. Y compris en Chine. Nous avons compati au sort tragique qui a frappé les victimes innocentes. 

Anguel Tcholakov (BUL) : La chose qui m’a le plus impressionné, c’est qu’à aucun moment, pendant, et après les attaques terroristes, on n’a senti une augmentation de la xénophobie, de l’intolérance. Je crois qu’en termes métaphoriques, même dans un contexte d’émotions et d’épreuves extrêmes, finalement, les gens ont gardé un côté très humain. 

Oleg Shamshur (UKR) : Le comportement des Français était digne et normal, sans panique, j’ai beaucoup apprécié. 

Jean Galiev (KAZ) : Le monde entier a vu que la France n’avait pas peur et n’allait pas être soumise aux pressions des criminels. C’est ainsi et pas autrement qu’il faut agir. Je tiens à exprimer mon admiration pour le courage, l’unité et la solidarité des Français et mon profond respect à tous ceux qui ont protégé la population et assuré la sécurité au prix de leurs vies. 

Paulo Cesar de Oliveira Campos (BRÉ) : Personnellement, je me souviens que les deux, trois jours après les attentats du Bataclan, les rues étaient vides à Paris, les gens avaient peur, on ne savait pas comment réagir à ça. Est-ce que c’était terminé ou est-ce qu’il y en aurait encore ? Et pendant une semaine, ici, à l’ambassade, il y avait la police tout le temps, des bruits partout dans la ville… Il y avait un changement de société, la peur était très présente. 

Qëndrim R. Gashi (KOS) : Quand il y a eu l’attentat de Charlie Hebdo, j’ai assisté à Pristina, avec beaucoup de citoyens kosovars, à une manifestation de solidarité. Même les journaux kosovars avaient publié les caricatures de Charlie. J’essaie de comprendre cette discussion sur « Je suis Charlie » ou « Je ne suis pas Charlie ». Pour moi, c’est toujours clair. Quand j’ai dit « Je suis Charlie », c’était pour exprimer la solidarité avec le droit d’exprimer des pensées, parce que, moi, avant, je ne savais même pas ce qu’était Charlie Hebdo […]. L’Europe doit faire plus pour défendre le droit de critiquer. Autrement, un jour, on aura des problèmes… et nous en avons déjà ! Quand je dis « nous », ce n’est pas le Kosovo, mais tout le monde. 

Vanessa Lamothe Matignon (HAÏ) : Ce qui m’a marquée, c’est cette marche à Paris de tous les présidents et des dirigeants qui se sont retrouvés dans ce mouvement d’union presque international. J’y étais aussi et j’ai trouvé que c’était une image très forte, et que peut-être le monde gagnerait à être comme ça de façon plus régulière. 

Rolf Einar Fife (NOR) : Les deux attentats en Norvège, le 22 juillet 2011, notamment contre les jeunes sur l’île d’Utøya, nous ont marqués à jamais et ont contribué aussi à un très fort sentiment de solidarité avec les Français lors des attentats de 2015. Après les attentats du Bataclan et de Nice en particulier, le trottoir devant l’ambassade de France à Oslo a plus ou moins été submergé par les fleurs. Tout le monde est passé se recueillir. Ce fut très puissant.

JCN : Quelle lecture votre pays a-t-il-fait de ces attentats ? 

Nguyen Thiep (VIE) : Les Vietnamiens ont eu de la solidarité pour les Français. Mais, comment dire, au Vietnam, il n’y a pas vraiment de menace liée à l’Islam. C’est la question : parmi les terroristes, il y en a pas mal qui sont nés, qui ont vécu, qui ont grandi en France, dans les écoles françaises… 

Oleg Shamshur (UKR) : C’est plutôt un problème de politique interne. 

Petr Drulák (TCH) : Ces attentats donnent beaucoup d’arguments à ceux qui critiquent l’ouverture à l’immigration. Parce qu’on dit : voilà, regardez ce qui s’est passé en France, ce sont souvent les gens qui sont nés et qui ont grandi en France qui ont commis des attentats ! Et si la France a des problèmes avec l’intégration, elle qui a une expérience assez profonde des autres cultures, à quoi peut-on s’attendre chez nous ? Donc, l’expérience des attentats en France est quelque chose qui a durci en Tchéquie la position envers les migrations. 

Filip Vučak (CRO) : L’attitude de l’opinion publique croate envers les réfugiés et les migrants en 2015 était plutôt positive, mais après ce qui s’est passé en France et en Allemagne, on a eu peur. Il faut mentionner que pendant cette grande vague de migrants arrivés par la « route balkanique », environ 600 000 sont passés par la Croatie ! 

Juan Manuel Gómez-Robledo (MEX) : Je pense que les attentats de 2015 et ceux qui ont suivi en 2016 et 2017 représentent un tournant pour la société française. Les Français se sentaient très à l’abri et ils ont découvert malheureusement qu’ils pouvaient être la cible de l’extrémisme et d’une certaine forme d’islamisme radical. Ces faits ont beaucoup nui, hélas, à la manière dont la communauté musulmane est perçue en France et au traitement des dossiers très complexes des flux migratoires. 

Chem Widhya (CAM) : Le fondamentalisme cause un grand problème de cohabitation, accentué par la présence accrue de ceux qui y croient en France. Quand j’étais petit, les différentes croyances vivaient ensemble en harmonie, sans aucun problème. Je vous le dis en connaissance de cause car j’ai habité deux ans au Caire et il y a une communauté très importante de coptes qui ne dérangeait personne. C’étaient des frères et des sœurs. Ce n’est plus le cas. La mentalité des gens a beaucoup changé et c’est ça qui est inquiétant… 

Isabelle Hudon (CAN) : Nous n’avons pas réagi en cherchant des causes nationales à ces drames. Nul pays n’est à l’écart. C’est un phénomène mondial. Cela nous rappelle cependant chaque fois l’extrême fragilité du monde dans lequel on vit. En tout cas, je n’ai jamais entendu au Canada qu’on cherchait à expliquer les attentats dont souffre la France en raison de telle ou telle cause nationale… 

Pieter de Gooijer (PB) : ça fait peur aux Pays-Bas aussi. Nous n’avons pas d’histoire avec la Syrie comme la France. Mais nous y avons quand même des djihadistes, nous avons le problème du retour avec les enfants. Donc, [les attentats], ce n’est pas la conséquence de la politique de la France. Les Russes, les Américains, nous, les Européens, on a tous une mesure de responsabilité pour ce qui arrive là-bas… 

Anguel Tcholakov (BUL) : Je crois que c’est dû à votre engagement à l’étranger d’abord. Ensuite, à la valeur symbolique de la France et de la ville de Paris sur la carte du monde. C’est ce qui en fait une cible privilégiée. 

Hanna Simon (ÉRY) : La politique française est de plus en plus rejetée. Cela ne veut pas forcément dire que je soutienne ce point de vue.

Extrait du livre de Jean-Christophe Notin, "Français, le monde vous regarde", publié aux éditions Tallandier

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