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GPA : la Cour de Cassation ouvre (encore) un peu plus la porte à une légalisation de facto en France
©LOIC VENANCE / AFP

Filiation

La Cour de Cassation a récemment entériné la retranscription intégrale à l'Etat Civil des actes de naissance de deux enfants issus d'une GPA à l'étranger. La Cour considère qu'"une GPA légalement faite à l'étranger ne fait pas, à elle seule, obstacle à la transcription de l'acte de naissance des enfants désignant le père biologique et le père d'intention".

Aude Mirkovic

Aude Mirkovic

Aude Mirkovic est maître de conférences en droit privé, porte-parole de l'association Juristes pour l'enfance et auteur de PMA, GPA, quel respect pour les droits de l’enfant ?, ed. Téqui, 2016. Son dernier livre "En rouge et noir" est paru aux éditions Scholæ en 2017.

"En rouge et noir" de Aude Mirkovic

 
 
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Atlantico.fr : La Cour de Cassation a récemment entériné la retranscription intégrale à l'Etat Civil des actes de naissance de deux enfants issus d'une GPA à l'étranger. La nouveauté réside dans la considération inédite de la cour qui considère qu':" une GPA légalement faite à l'étranger ne fait pas, à elle seule, obstacle à la transcription de l'acte de naissance des enfants désignant le père biologique et le père d'intention»"

Cela constitue-t-il une rupture fondamentale dans le droit de la filiation ? Et peut-on alors parler de reconnaissance de facto des GPA faites à l'étranger ? 

Aude Mirkovic : En effet : la Cour de cassation aborde l’affaire qui lui est soumise sans tenir compte de la GPA. Elle ne tire aucune conséquence du fait que ces deux hommes se sont servis d’une femme, qu’ils ont acheté à cette femme l’abandon d’un enfant qu’ils ont privé de mère pour réaliser leur propre désir. Si un étudiant avait traité ainsi le cas soumis, un professeur aurait pu écrire en rouge dans la marge : « et la GPA ? Relisez l’énoncé ! ». Cynisme suprême, c’est au nom de l’intérêt de l’enfant que la Cour prive d’efficacité la prohibition légale de la GPA, laquelle est là pour protéger les enfants contre ce contrat contraire à leur dignité et à leurs droits. 

Dans le cas précis, la Cour de cassation fait fi également du droit de la filiation : ce dernier est tout entier construit en référence à la réalité charnelle de la filiation, et une double filiation paternelle est incohérente au regard de cette réalité. Le moyen introduit par la loi Taubira de 2013 pour établir une double filiation paternelle ou maternelle est l’adoption : cela pose un grave problème car l’adoption vise à réparer la privation de père ou de mère par les aléas de la vie et non à fabriquer des enfants sans père ou sans mère pour les rendre adoptables. Mais, au moins, la filiation adoptive ne se présente pas comme la filiation d’origine de l’enfant mais comme une filiation de remplacement et la procédure d’adoption est sensée garantir que l’adoption est conforme à l’intérêt de l’enfant. Au contraire, ici, c’est l’acte de naissance d’origine de l’enfant qui indique les deux hommes comme parents : accepter la transcription de cet acte fragilise la filiation pour tous puisque l’intention, le contrat prévalent sur la réalité. La cour de cassation vise le père d’intention comme si c’était une réalité juridique, comme si l’intention d’un adulte pouvait lui donner des droits sur un enfant. Mais, si c’est l’intention qui fonde la filiation, au point de pouvoir évincer par le seul effet de la volonté la filiation charnelle (ici la mère), il faut en peser les conséquences : par exemple, comment imposer la paternité d’un enfant à un homme qui n’en veut pas sous prétexte qu’il l’a engendré ? Comment lui imposer une pension alimentaire alors qu’il n’a pas d’ « intention » d’être père ? Cela devient intenable quand l’intention est consacrée comme fondement de la filiation, que ce soit dans ces décisions ou dans le projet de loi de bioéthique en cours qui permet à deux femmes d’évincer la réalité charnelle de la filiation d’un enfant pour lui imposer leur intention. Ceci n’a rien de théorique, et la Cour de cassation a déjà été saisie trois fois d’une question prioritaire de constitutionalité présentée par des hommes se plaignant de cette action en recherche de paternité qui leur impose une paternité non voulue. Une décision comme celle que nous commentons leur donne raison. 

Le gouvernement avait annoncé son opposition de principe à la GPA qu'il dissociait de la PMA. Toutefois cette décision de la cour de cassation ne s'apparente t'elle pas à une porte ouverte vers la légalisation  de la GPA en France ? 

Le gouvernement tient un langage de façade, qui n’est suivi d’aucune volonté de lutter contre la GPA : il n’a pas fait appel lorsque la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France pour n’avoir pas transcrit les actes de naissance étrangers des enfants. L’ironie est que la Cour européenne s’est fondé sur l’importance du lien biologique existant entre le père et l’enfant pour condamner la France, alors que cela conduit à priver l’enfant de ce lien biologique dans l’autre branche, la branche maternelle qui est ici carrément rayée de la carte, effacée du passé de l’enfant. Notons que l’Italie, qui avait été condamnée elle aussi pour avoir retiré un enfant au couple l’ayant obtenu par GPA en Russie pour le confier à l’adoption, a fait appel et a obtenu gain de cause devant la grande chambre de la Cour européenne. Le gouvernement a préféré se laisser condamner à répétition, complice comme l’est ici la justice de ces commandes d’enfants par GPA : une intervention législative apparaît aujourd’hui comme le seul moyen de redonner quelque efficacité à la prohibition française de la GPA. 

Quelles pourraient être les conséquences juridiques et éthiques auxquelles nous devrions faire face, selon vous, si la GPA venait à être légalisée ?

Le contrat de GPA a pour objet l’utilisation d’une femme et la remise d’un enfant : la gestatrice ne touchera sa rémunération qu’avec la remise de l’enfant, car la « gestation » (quel mot plaisant pour désigner la grossesse d’une femme !) n’est pas l’objet ultime du contrat mais bien la remise de l’enfant. Par conséquent, aucun encadrement ne pourra changer ce qui est le principe même de la GPA : un acte de disposition d’un enfant. Les adultes conviennent entre eux, par contrat, qui aura l’enfant, moyennant quelles conditions et quel prix. La disposition, c’est la prérogative par excellence du propriétaire, et c’est pourquoi le corps humain est indisponible car personne n’est propriétaire d’autrui. Précisément, l’individu sur lequel s’exerce un des attributs du droit de propriété, c’est la définition de l’esclave donnée par le code pénal pour tenir compte des nouvelles formes de traite : pas plus qu’il ne peut exister d’esclavage éthique il ne peut y avoir de GPA éthique. Se procurer par contrat un être humain pour réaliser son désir, c’est une forme d’esclavage. Certes, ce n’est pas ici pour le faire travailler ou pour le sexe, au contraire c’est pour l’éduquer et lui donner de l’amour. Mais cela ne change pas la réalité de départ : commander et obtenir un être humain par contrat. La GPA n’a rien d’une pratique à encadrer, elle n’est une résurgence rétrograde à éradiquer. 

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