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Petite liste de ces réformes qui mériteraient beaucoup plus le titre de "mère de toutes les réformes" que celle des retraites
©KENZO TRIBOUILLARD / AFP

Usual Suspects

La réforme des retraites, défendue par le gouvernement face à la pression de la rue et des syndicats, est présentée comme la "mère de toutes les réformes". D'autres réformes seraient-elles plus urgentes et plus utiles pour la France ?

Les Arvernes

Les Arvernes

Les Arvernes sont un groupe de hauts fonctionnaires, de professeurs, d’essayistes et d’entrepreneurs. Ils ont vocation à intervenir régulièrement, désormais, dans le débat public.

Composé de personnalités préférant rester anonymes, ce groupe se veut l'équivalent de droite aux Gracques qui s'étaient lancés lors de la campagne présidentielle de 2007 en signant un appel à une alliance PS-UDF. Les Arvernes, eux, souhaitent agir contre le déni de réalité dans lequel s'enferment trop souvent les élites françaises.

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Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Atlantico.fr : La réforme des retraites est présentée comme la mère de de toutes les réformes par le gouvernement. Est-ce réaliste ? N'ya-t-il pas d'autres réformes qui seraient plus urgentes et utiles à la société française ?  

Philippe Crevel : La réforme des retraites est importante car elle concerne un des principaux piliers du pacte social du pays. La retraite, c’est le premier poste de dépenses de la protection sociale, 339 milliards d’euros en 2018. Plus de 16 millions de personnes dépendent des régimes de base et complémentaires. Le système de retraite est le miroir de notre histoire sociale et de la société. C’est pourquoi y toucher constitue toujours une épreuve. Peu de réformes concernent autant de personnes à la fois. Tous les actifs, tous les retraités peuvent être impactés. L’instauration d’un régime universel à points est un défi majeur que le pays n’avait pas rencontré depuis la Libération. Et encore, à l’époque, le fameux régime général n’avait pas réussi à intégrer les régimes de retraite déjà en vigueur avant la Seconde Guerre mondiale. Les syndicats s’y étaient opposés et avaient même obtenu la suppression de la loi prévoyant la convergence. Tenter de placer sous les mêmes règles l’ensemble de la population active est donc une véritable révolution. Depuis 1993, ce sujet hante le débat public. La droite libérale avait rêvé à un tel système, en particulier feu le parti UDF créé par Valéry Giscard d’Estaing. La CFDT en est l’avocate depuis des décennies au nom de la modernisation de notre protection sociale et au nom de l’équité.

Pour autant, la réforme de la retraite ne peut être l’alpha et l’oméga de la politique du Gouvernement. D’autres sujets, d’autres champs d’action publique, d’autres secteurs d’activité nécessitent également des ajustements, des adaptations, des évolutions majeures.

Pour payer des pensions de retraite, il est important d’avoir une économie dynamique, compétitive, prospère. Tout commence par l’éducation et la formation. Le récent classement PISA a souligné que sans être catastrophique le niveau des élèves étaient moyen et qu’il ne s’améliorait pas. La refonte de l’Education nationale a été abandonné de peur de créer un front de conflit avec les syndicats. L’accroissement de l’autonomie des établissements, un renforcement de l’autorité et de la sélection ne sont plus à l’ordre du jour. L’augmentation des rémunérations du personnel enseignant prévue dans le cadre de la réforme des retraites devrait s’accompagner de sa professionnalisation accrue. Face à la digitalisation, face à la nécessité d’améliorer le taux d’emploi des seniors, la formation constitue une priorité. Les actifs devraient avoir l’obligation des rendez-vous formation réguliers pour évaluer leurs capacités, leurs besoins.

La France, depuis 20 ans, une génération, vit avec les 35 heures. Aucun des grands pays occidentaux n’a pas ce choix. Le rapport au travail en a été changé. Les entreprises ont effectué une course à la productivité pour en limiter l’impact. Les 35 heures ont contribué également à la stagnation des salaires et à l’essor aux micro-entrepreneurs. Contrairement à quelques préjugés, le partage du travail ne crée pas des emplois. De même, les départs précoces à la retraite ne favorisent pas l’emploi des jeunes. Pour créer un choc de compétitivité, une remise en cause des 35 heures aurait un effet bien plus grand que la réforme des retraites sur la situation du pays.

Une économie compétitive passe par des dépenses publiques efficientes et des prélèvements obligatoires aussi neutres et légers que possibles. La France en se classant numéro un pour les dépenses et les recettes, en Europe, est dans une position défavorable. Le Gouvernement a renoncé à réduire les effectifs de la fonction publique, de réaliser un plan d’économies budgétaires massifs et de réformer les prélèvements.

La refonte des institutions et des collectivités publiques est un chantier à l’arrêt. La France reste un Etat centralisé, vertical, ce qui la handicape dans la compétition économique moderne. Le passage à un système fédéral donnant plus de pouvoirs aux régions, avec un Parlement composé d’une Assemblée nationale élue au scrutin majoritaire et un Sénat, élu à la proportionnelle, serait une source vivifiante. De même, le passage au régime présidentiel permettrait de clarifier les institutions qui depuis 2002 avec le passage au quinquennat et l’inversion du calendrier électoral.

Michel Ruimy : La réforme du régime des retraites est nécessaire voire inéluctable compte tenu de l’évolution de l’espérance de vie et aussi de la nécessité absolue d’avoir des régimes équilibrés. Le problème central du gouvernement réside dans le fait de faire comprendre l’importance d’une mesure de long terme. Il réussira s’il s’inspire des pays de l’Europe du nord où la classe politique a la confiance des citoyens. Ceci contraste grandement avec la situation actuelle française où tout le monde se sent menacé par les projets du gouvernement.

Mais, alors que l’attention de tout le monde se focalise sur cette réforme, il y en a une qu’il devrait mener rapidement à terme. Il s’agit de la réforme de l’Ecole Nationale d’Administration (ENA) dans sa forme actuelle. Pour répondre au manque de confiance dans les élites de la population, il faut faire table rase de l’existant et tout rebâtir. Car, dans l’opinion, les énarques sont aussi dévalués que les élus. Loin d’être perçus comme des serviteurs zélés de l’intérêt général, ils sont vus comme les représentants d’une oligarchie qui a perdu le sens des réalités.

En 1995, déjà, l’un de ses anciens élèves, Jacques Chirac, avait promis d’en finir avec l’ENA, y voyant le symbole « d’une élite qui a failli, d’une caste qui se coopte ». Il n’y était pas parvenu. Nicolas Sarkozy non plus, lui qui, douze ans plus tard, s’était montré choqué de constater qu’à 26 ans, un certain nombre de jeunes gens frais émoulus de cette institution, la tête bien faite, mais en manque flagrant de terrain, étaient assurés d’une carrière à vie dans les hautes sphères de l’Etat ou à la tête de grandes entreprises. Il leur suffisait, pour cela, d’être parmi les mieux classés du concours de sortie (« botte »), ce qui leur procurait un accès direct aux grands corps de l’Etat (Conseil d’Etat, Cour des comptes, Inspection des finances), une « rente » à vie...

Pourtant, vouloir créer une élite administrative, fondée sur la méritocratie, était une bonne idée au moment de sa création (1945). Il s’agissait alors de reconstruire le pays en luttant contre le népotisme qui avait régné, avant-guerre, dans les différents ministères et en fournissant à l’Etat ses meilleurs éléments. Mais, au fil du temps, l’ambition initiale s’est affadie. L’Etat a perdu en force et son lustre. L’enseignement s’est banalisé, le recrutement s’est rétréci. En dépit de voies d’entrée différentes et malgré un nombre important de boursiers (près de 25% des élèves), l’Ecole ne garantit plus la démocratisation de la haute fonction publique. Les enfants de cadres supérieurs y sont surreprésentés, les fils ou filles d’ouvriers quasiment absents. Il en résulte un risque d’endogamie renforcé par le classement de sortie, qui permet à une élite de fructifier dans l’entre-soi, avec, qui plus est, la certitude de durer bien plus longtemps que les ministres qu’elle est censée servir.

Cette réforme, si elle aboutit, doit donc permettre de renouer avec une méritocratie ouverte à tous. Ses axes doivent viser à diversifier le recrutement des hauts fonctionnaires, à faire évoluer leur formation et leur déroulé de carrière.

Concernant le recrutement, il convient de s’interroger sur la manière d’évaluer les candidats. Si le nombre de candidats au concours d’entrée doit augmenter du fait notamment de classes préparatoires intégrées ou d’un concours spécifique dédié aux classes populaires, le contenu de la formation doit être revu pour laisser plus de chances aux jeunes des milieux défavorisés de prouver leur mérite. À capacités, talents et vertus équivalents, les jeunes n’ont pas les mêmes chances d’accès aux concours. La question ne devrait donc pas être de savoir comment favoriser la diversité sans trop contrarier le principe d’égalité devant le concours mais de savoir comment faire en sorte que les modalités de sélection des concours permettent de compenser ces inégalités de fait pour rétablir la méritocratie. 

Pour ce qui concerne l’enseignement, il convient de privilégier les compétences. Un tournant par rapport aux enseignements d’aujourd’hui qui font encore la part belle aux cours théoriques (droit, économie, management public…) ! En effet, les admis ont de meilleures connaissances académiques et intellectuelles qu’autrefois. Il faut donc les rendre plus opérationnels. En d’autres termes, la réflexion en la matière doit répondre à la question de savoir ce qu’on attend d’un haut fonctionnaire puis, par la suite, construire la formation. Certes, l’Ecole enseigne déjà les compétences (60% du corpus) mais il s’agirait de la faire évoluer en faisant de cette approche encore plus, le socle de l’enseignement. Cette initiative s’inscrirait dans un mouvement de fond. De nombreuses autres écoles françaises se sont déjà orientées vers cette « révolution » et misent sur les compétences des étudiants dans la résolution des problèmes. Tandis que l’intelligence artificielle occupera vraisemblablement une place importante dans notre vie quotidienne future, nous garderons néanmoins l’avantage sur l’intelligence émotionnelle, la créativité… Il est donc nécessaire d’investir ces domaines.

Enfin, il convient de proposer un nouveau système de gestion des carrières qui donnera moins de place au classement à la sortie de l’ENA. Il s’agirait de supprimer le classement de sortie pour l’accès au premier emploi et favoriser la sélection par les recruteurs. Mais, il en demeure pas moins qu’en supprimant cette voie d’entrée en début de carrière, le risque est réel de transformer les juridictions financières en un corps de débouchés peu attractif auquel on accède uniquement en deuxième, voire en troisième partie de carrière, ou bien d’en faire une filière d’expertise pour des spécialistes seniors. 

Cette réforme devra être mise en œuvre dès que possible (septembre 2020 ?). Elle serait, dans une certaine mesure, la première pierre d’une réforme plus profonde, celle de l’Etat. Toutefois, il faut renouer avec l’« esprit de 1945 », celui d’une méritocratie ouverte à tous et réellement au service de l’Etat. Cette réforme est bel et bien urgente. Il n’en demeure pas moins que le plus dur reste à faire. En effet, outre la résistance des « grands corps », une crainte, réelle, est à lever : et si le service public était dans l’incapacité d’attirer les meilleurs ?

Mathieu Mucherie : Evidemment cette réponse appelle une part de subjectivité puisque chacun voit la mesure urgente à sa porte. Donc de mon point de vue, en tant qu'économiste qui essaye de cibler l'intérêt général, et pour la France, les retraites ne constituent pas la mère de toutes les batailles. Politiquement, on comprend bien que c'est une bataille importante ; mais c'est à un niveau partisan. L'avantage d'une réforme des retraites est qu'elle permet de continuer à capitaliser un électorat qui va de Bayrou à Fillon, qui aujourd'hui est l'électorat de Macron. Donc c'est une bataille politique, pour conserver la base des "marcheurs" tout en continuant à faire des triangulations dans la perspective de 2022. 

Mais la mère de toutes les batailles du point de vue économique ou même sociétal, ce n'est pas la réforme des retraites, qui d'ailleurs n'arriverait pas dans le top 10. Ce n'est pas particulièrement urgent - que ce soit au niveau comptable ou même économique et structurel. Puis, il y a beaucoup mieux à faire avec moins d'argent. Il y a des réformes qui pourraient être faites, et serviraient mieux l'intérêt général, sans être obliger de donner comme compensation "un pognon de dingue" - pour reprendre les termes macroniens. Je pense par exemple à une libéralisation foncière. Je pense encore à une remise des dettes. Je pense aussi à changer la politique de la BCE. Il y a des choses qui ne coûteraient pas beaucoup, voire qui parfois ne coûteraient rien et même rapporteraient assez vite. Le problème bien-sûr c'est que ces réformes n'ont pas la même visibilité politique : ce ne sont pas des marqueurs distinctifs. Or Macron est à la recherche d'une réforme qui lui permette d'arriver en 2022 avec une aura de réformateur ; et ça malheureusement ça ne rejoint pas forcément l'intérêt général. 

Vis-à-vis de la BCE, il serait urgent de militer pour une nouvelle cible de politique monétaire. On pourrait envisager une véritable politique de la chaise vide pour mettre fin à la déflation, puisque cela fait huit ans que l'on viole la cible d'inflation qui est à 2% annuel. Or cela nous entraîne vers une japonisation rampante... Cela peut aussi passer par le fait de militer pour un euro moins cher, pour un nouveau quantitative easing, voire même une politique de l'hélicoptère monétaire, ou pour une remise des dettes, ou des taux ultra négatifs. Il faudrait aussi que cela soit accompagné d'une refonte des règles du jeu : avec un renforcement de la transparence. Par exemple, Drahi a pu faire le nécessaire, mais avec une approche obscure et discrétionnaire. Or ce qu'on veut d'une politique monétaire, c'est qu'elle soit plus généreuse face aux pressions déflationnistes, mais aussi qu'elle soit plus prévisible. Pour cela, il faudrait une review des méthodes de la BCE qui se fasse de manière vraiment transparente, comme semble le promettre Christine Lagarde. Par exemple, on pourrait avoir des transcript de la BCE, un résumé écrit de leurs réunions rapidement avec aussi une capacité de connaître qui vote pour quoi à chaque réunion toutes les six semaines. Pour l'instant, nous n'avons pas cela en Europe, alors que la FED le fait ou encore la Banque d'Angleterre. Et cela ne coûte rien budgétaire ici, ou presque rien. 

L'approche monétaire propose une sortie par le haut ; alors que le problème de tout ce qui est budgétaire et fiscal, on déplace les problèmes par des transferts. Dans les réformes comme la réforme des retraites, nous sommes à cadre monétaire constant : il n'y a pas d'enrichissement, ni d'augmentation des perspectives nominales. Par conséquent, ces réformes peuvent être intéressante ; par exemple si nous avions une bonne réforme par points, chose que nous n'aurons sans doute pas, et qui en plus se soldera avec plusieurs compensations coûteuses. On fait tourner l'argent, les situations, les statuts, sans entraîner vers le haut l'intérêt général ou les plus défavorisés, il n'y a pas de sortie par le haut. La politique monétaire n'aura même pas à être expansive ; rien que revenir au niveau d'inflation prévu et que l'on viole depuis huit ans serait satisfaisant. S'en sortir par le haut, c'est aussi assumer que pour une politique budgétaire il faut de la monnaie nouvelle ; sinon on ne fait que prendre dans une poche pour remettre dans une autre poche. Ce qu'il faut regarder précisément c'est la demande agrégée, c'est-à-dire les perspectives d'activités nominales globales. En se contentant des réformes à espace monétaire constant, en réalité, on accepte de se limiter à des opérations comptables. Cela reste un jeu de Bonneteau. Cela ne changera rien ni à la croissance conjoncturelle, ni à la croissance potentielle ; ni en réel ni en nominal.

Les Arvernes : Cette réforme-là ne sera pas une grande réforme des retraites. Non seulement le Pouvoir va plier. Pire encore : les français n'ont toujours pas compris que s'ils vivent plus longtemps, ils doivent travailler plus longtemps, 

Quelle serait donc la grande réforme à mener en France ? 

Les Arvernes : Il n'est pas question de réforme en particulier. Le point essentiel c'est l'Etat. La réalité de la France, qu'on l'on a perdu de vue, c'est le rôle central de l'Etat, colonne vertébrale de la Nation. La construction européenne, la décentralisation, le développement d'un faux libéralisme économique qui sert les intérêts du capital, avec leurs cortèges de renoncements et de nouvelles féodalités, n'y changent rien : le rapport des français à la politique et au monde se fait d'abord et avant tout au travers de l'Etat.

Or, l'Etat, à la fois comme superstructure politique et comme organisation administrative, est défaillant. La raison en est simple : le principe de compétence, tel qu'il figure à l'article 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, n'est plus son principe cardinal. Le personnel politique est de plus en plus défaillant, médiocre. L'administration n'attire plus suffisamment de talents. La France n'enrayera son déclin que si l'Etat est restauré et capable, dans les champs régalien mais aussi non régalien, d'incarner la Nation et de protéger ses intérêts.

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