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Condamnation à la baisse : ce que la justice française semble ne pas comprendre du tout du djihadisme
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Incompréhension

Mounir Diawara et Rodrigue Quenum sont deux jeunes toulousains partis en Syrie combattre durant l'été 2013. En 2018, ils avaient été condamnés à 15 ans de réclusion en partie sur les bases de photographies où ils posaient accompagnés d'armes et d'une tête coupée. On a appris le 6 décembre dernier que leurs peines ont été réduites à 10 ans de réclusion.

Jean-Charles Brisard

Jean-Charles Brisard

Jean-Charles Brisard est spécialiste du terrorisme et ancien enquêteur en chef pour les familles de victimes des attentats du 11 septembre 2001. Il est Président du Centre d'Analyse du Terrorisme (CAT) 

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Atlantico : Quels ont été les chefs d'accusations qui ont mené à la condamnation de Mounir Diawara et Rodrigue Quenum ? Quelles ont été les motivations de la Cour d'assises pour justifier la réduction des peines en appel ? 

Jean-Charles Brisard : Mounir Diawara et Rodrigue Quenum étaient poursuivis devant la Cour d’assises spécialement composée pour participation à une association de malfaiteurs terroriste ayant pour objet la préparation d’un ou plusieurs crimes d'atteintes volontaires aux personnes. Ils encouraient donc trente ans de réclusion criminelle. Ils ont séjourné en Syrie deux mois et demi, intégrant d’abord les rangs de Jabhat al-Nosra, puis de l’EIIL (Etat Islamique en Irak et au Levant, prédécesseur de l’Etat Islamique). Les prévenus ont reconnu avoir été formé au maniement des armes et avoir participé à des combats, comme en témoignent plusieurs photographies sur zone, où ils apparaissent en armes et en tenue de combat. Une photographie de Rodrigue Quenum le montre tenant par les cheveux une tête décapitée et sanguinolente. Cet élément, pour les juges d’instruction, démontrait « sa participation volontaire et consciente aux exactions d'un groupe terroriste ».

La Cour d’assises, bien que reconnaissant leur culpabilité, a estimé qu’il convenait de tenir compte de plusieurs circonstances atténuantes, parmi lesquelles « la durée assez courte » de leur séjour en Syrie. Cette circonstance paraît peu pertinente, certains prévenus dans d’autres affaires n’ayant séjourné que quelques semaines en Syrie et, comme l’a rappelé la Cour de cassation en 2016, le simple fait d’appartenir à un groupement ou une entente ayant pour objet la préparation de crimes suffit à constituer l’infraction. La Cour estime également que leur séjour est « antérieur à l'appel au jihad global et aux attentats de l'année 2015 ». C’est également inexact, car en réalité dès 2013, ces organisations terroristes et leurs membres appellent à la commission d’attentats sur le territoire français. Le premier message de ce type remonte au 23 janvier 2013, avant leur séjour sur zone, dans une vidéo où un djihadiste français en Syrie appelle à frapper sur le territoire national.

La Cour d’assises perpétue l’idée (qui s’est avérée erronée) d’organisations ayant des ambitions purement territoriales et régionales sans aucune velléités terroristes. Il n’en est rien, bien au contraire, le projet du djihad global est présent dès l’origine, il est intrinsèque à ces organisations. La cour a également tenu compte de l’âge des prévenus, pour l’un (Diawara) elle mentionne son « très jeune âge lors des faits » alors qu’il a déjà 19 ans, pour le second (Quenum), elle tient compte du fait qu’il était majeur depuis peu. Enfin, elle tient compte de plusieurs autres circonstances atténuantes, comme les regrets exprimés à l’audience ou le rejet des thèses djihadistes par les prévenus, au total pas moins de cinq circonstances atténuantes dans un cas, et dix dans l’autre.

Les juges n'ont-ils pas sous-estimé les responsabilités et les risques liés à ces deux individus ? 

Ce qui est troublant dans cette affaire, c’est que l’appréciation des juges s’inscrit aux antipodes de celle des juges d’instruction et du Parquet qui réclamait 20 ans de réclusion criminelle pour les deux prévenus. On peut légitimement se demander s’il n’y a pas une forme d’angélisme ou de naïveté à l’égard d’individus qui adoptent tous le même système de défense, mais qui ont néanmoins volontairement et consciemment adhéré aux thèses mortifères de ces organisations terroristes et ont été formés au maniement des armes et des explosifs.

Peut-on voir ici un symptôme de la difficulté des agents publics à comprendre l'islamisme et ses enjeux  ?

Notre doctrine antiterroriste repose depuis 1986 sur le principe de la neutralisation judiciaire des individus et des réseaux terroristes. Elle implique, pour y parvenir, une cohérence et une crédibilité de toute la chaîne pénale, jusqu’au stade du jugement. Or plusieurs affaires récentes traduisent encore un déficit d’expertise s’agissant du phénomène djihadiste, de ses fondements et de sa dynamique. Khassanbeck Tourchaev, le « snipper de l’EI », qui a admis avoir été l’émir d’un groupe de combattants, a été poursuivi pour association de malfaiteurs terroriste criminelle et condamné en novembre à 10 ans de réclusion criminelle avec deux-tiers de sûreté, alors même qu’il avait reconnu avec dirigé un groupe djihadiste, et qu’à ce titre il aurait pu être poursuivi pour direction d’un groupement ou d’une entente préparant des crimes, passible de la réclusion criminelle à perpétuité.

Autre exemple récent, celui de Mohamed Reda Ouharani, poursuivi en appel en novembre pour avoir rejoint l’EI en 2014 et projeté des attentats contre des cibles chiites au Liban puis en France sous la direction d’Abou Mohammed al-Adnani, à l’époque porte-parole de l’EI, qu’il a d’ailleurs rencontré personnellement. Il a été condamné en appel à 12 ans de réclusion criminelle sans période de sûreté, contre 10 ans en première instance

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