Retraites : mais au fait, à quoi ressemblera la France de 2040 ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Retraites : mais au fait, à quoi ressemblera la France de 2040 ?
©Reuters

Génération 1975

Le gouvernement semble envisager de décaler l’application de la réforme à la génération née en 1975. Les premiers Français concernés prendraient donc leur retraite à partir de 2035/ 2040. Mais savons-nous réellement à quoi ressemblera alors le pays ?

Laurent  Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant. Membre du think tank European Centre for International Affairs.

Voir la bio »
Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

Voir la bio »

Atlantico : Alors que l'ensemble de la réforme des retraites doit être dévoilé aujourd'hui, Jean-Paul Delevoye a de son côté esquissé lundi 9 décembre un scénario d'application de la loi. La première génération à la retraite qui serait concernée serait celle née en 1975. La situation économique et démographique de la France dans les années 2040 devient donc un élément majeur pour la compréhension des effets de la réforme.

Atlantico : Qu'est-ce qui pourrait changer en termes démographiques entre aujourd'hui et 2040 ? Quelle variable d'ajustement (au-delà des paramètres du système des retraites) peut être utilisée pour que l'équilibre des retraites soit assuré jusqu'à cette date ? 

Laurent Chalard : Concernant le ratio de dépendance, c’est-à-dire le rapport entre le nombre d’actifs et de personnes retraitées, qui concentre l’inquiétude des économistes et de nos dirigeants, sa détérioration est inéluctable d’ici 2040. En effet, les générations qui vont arriver à la retraite dans les prochaines années, correspondant au baby-boom des années 1945-1975, sont beaucoup plus nombreuses que les générations précédentes, nées dans les années 1930, et elles devraient bénéficier d’une poursuite de la hausse de l’espérance de vie, quelle que soit son ampleur, d’où la considérable augmentation annoncée de leurs effectifs. Parallèlement, la population active ne progresserait que très faiblement, du fait de la réduction de la fécondité, passée sous le seuil de remplacement des générations (2,1 enfants par femme) depuis 1975, ne permettant donc guère d’atténuer le processus. 

 Il s’ensuit que la seule variable d’ajustement, sur laquelle nos dirigeants peuvent éventuellement agir, à la marge cependant, est le niveau de l’immigration, puisqu’une hypothétique remontée de la natalité n’aurait pas d’effet avant 2040, les nouveaux nés de 2020 n’entrant pas sur le marché du travail avant cette première date. Il s’agirait donc d’élever le niveau de l’immigration pour accroître plus fortement le volume de la population active. Cependant, cette mesure ne serait efficace que si les immigrés sont effectivement employés et de manière légale. S’ils sont au chômage ou s’ils travaillent au noir, l’immigration s’avérerait contre-productive par rapport aux objectifs affichés. En effet, il faut retenir que ce n’est pas tant le ratio actifs/retraités qui compte, que le ratio actifs cotisants/retraités. Un actif ne cotisant pas ne présente aucun intérêt pour résoudre le problème !

Au-delà de 2040, quels sont les points d'incertitude sur la démographie française ? Les prévisions du COR sont-elles solides ?

Laurent Chalard : Par définition, plus on s’éloigne dans le temps, plus l’incertitude augmente, ce qui est aussi valable en démographie. En conséquence, au-delà de 2040, la situation peut évoluer plus ou moins favorablement, en fonction des ruptures dans l’évolution de la population française. 

Concernant la natalité, les prévisions du COR, qui reposent sur les dernières projections démographiques de l’Insee disponibles, celles de 2016, prenaient comme base une fécondité moyenne (1,95 enfant par femme) plus importante que celle qui s’est réellement constatée depuis, c’est-à-dire qu’elles n’avaient pas anticipé l’ampleur de la baisse. Il s’ensuit que le scénario central de ces projections, à l’heure actuelle, paraît moins réaliste que le scénario bas, qui considérait que la fécondité serait de 1,8 enfant par femme (elle est de 1,84 enfant par femme en 2018). Si la tendance devait se poursuivre, la population active serait donc moins nombreuse que prévue après 2040, contribuant à la dégradation du ratio de dépendance actifs/retraités.

Concernant l’espérance de vie, susceptible de jouer sur le volume de personnes âgées après 2040, les projections de l’Insee font le pari qu’elle devrait continuer de progresser régulièrement au même rythme que les dernières années. Cependant, ce choix est contestable car son évolution sera dépendante des évolutions sanitaires et scientifiques, qui peuvent aussi bien agir, au moins temporairement, à la baisse, comme le montre la crise actuelle des opioïdes aux Etats-Unis, qu’à la hausse, si l’on finissait par guérir la majorité des cancers ou les maladies neurodégénératives (Alzheimer, Parkinson…). Dans ce domaine, il est impossible de savoir quelle tendance l’emportera à long terme. Le volume de personnes âgées après 2040 pourrait donc continuer d’augmenter sensiblement, ou, au contraire, finir par légèrement diminuer selon le scénario qui se dessinera.

Enfin, concernant l’immigration, le niveau retenu par les projections démographiques de l’Insee de 2016 était un solde migratoire de + 70 000 personnes par an, avec une variable haute de + 120 000 personnes. Si ces soldes sont tout à fait envisageables, cependant, comme nous l’avions déjà montré à différentes reprises dans plusieurs articles, le flou sur les statistiques migratoires de la France rend cette projection très hasardeuse. Entre, d’un côté, le développement d’une émigration de jeunes diplômés vers d’autres pays occidentaux offrant de meilleures opportunités, et, de l’autre, un afflux de réfugiés des pays pauvres, il est difficile de faire quelque projection que ce soit à long terme.    

En termes économiques, quelles sont les données prévisionnelles pour 2040 qui semblent plutôt fiables (croissance, emploi, etc.) ? A quoi pourrait ressembler selon vous l'économie française des années 2040 ?

Michel Ruimy : Sacré défi que de se lancer dans des prévisions économiques pour 2040 tant le contexte est complexe et les possibles nombreux. 

Tout d’abord, il faut considérer que l’évolution de la population active est un élément central pour connaître le dynamisme d’une économie. Elle permet, d’une part, de déterminer le niveau de la croissance potentielle et donc d’évaluer les tensions inflationnistes relatives aux contraintes d’offre, qui sont indispensables à la conduite de la politique monétaire. D’autre part, le ratio de dépendance (inactifs/actifs) qui en découle permet de chiffrer les transferts nécessaires à l’équilibre des régimes sociaux, en particulier de celui des retraites. 

Or, avec la montée en puissance des pays émergents, la France connaîtra un ralentissement à long terme de la croissance dû notamment à la chute globale du taux de fécondité dans le monde qui touchera notre pays. Selon la Banque Mondiale, celui-ci est passé, en moyenne, d’environ 5 enfants par femme en 1964 à 2,4 en 2014. Ceci va impacter la croissance de la population active et pose la question de l’opportunité économique de l’immigration se pose.

Certes, la France est « championne d’Europe » de la fécondité. Mais, avec un peu plus de 2 enfants par femme, on ne fait que retarder le vieillissement de la population... Si nous ne changeons rien, la part des plus de 65 ans dans notre population va passer de près de 15% actuellement à plus de 25% en 2050... En pratique, cela veut dire que notre structure de population est moins jeune, on va moins produire et surtout nos dépenses sociales vont s’envoler... Selon certains experts, 10 millions d’immigrés d’ici à 2040 sont nécessaires pour régénérer la population, pour préserver notre capacité d’innovation et surtout pour pérenniser notre protection sociale...

Compte tenu de ce qui avait été prévu en 2000 de la situation économique en 2020, ne doit-on pas être plutôt prudent sur ce qui va advenir de l'économie française, notamment en raison des changements technologiques et de l’incertitude sur les crises financières ? 

Michel Ruimy : Bien sûr, mais pas uniquement la France. Les décideurs politiques du monde entier devront faire face à un certain nombre de défis s’ils désirent générer une croissance économique durable à long terme. Des évolutions structurelles, comme le vieillissement de la population et le changement climatique, nécessitent d’appliquer des politiques d’anticipation afin de donner les moyens aux travailleurs de contribuer à la société, y compris à un âge plus avancé, et de promouvoir les technologies décarbonées.

Pour réaliser tout leur potentiel, les économies doivent engager déjà des investissements soutenus et tangibles dans le domaine de l’éducation, des infrastructures et des technologies. L’enjeu sous-jacent pour ces pays est de créer des incitations à l’innovation et à l’entrepreneuriat en développant leurs institutions politiques, économiques, juridiques et sociales.

Les incertitudes concernant l’état de l'économie dans les années 2040 n’empêchent-elles pas d’évaluer précisément les effets de cette réforme ? 

Michel Ruimy : Outre le volume de la population active, il existe un certain nombre d’incertitudes sur l’évolution future des taux d’activité. En effet, il est difficile d’évaluer l’effet de la réforme des retraites qui devrait impacter la tendance du taux d’activité des 55-64 ans car un grand nombre de variables peuvent influer sur les comportements d’activité des individus : indice conjoncturel de fécondité, part des services dans l’économie, revenu moyen des ménages, développement d’infrastructures permettant à certaines femmes de concilier une vie familiale et un travail, possibilité pour certains jeunes de cumuler un emploi et une formation…

Par ailleurs, le coût du travail peut augmenter si, à partir d’un certain âge, le salaire individuel, évoluant avec l’ancienneté du travailleur, croît plus vite que sa productivité. Les travailleurs vieillissants ne pourraient plus rester en activité parce que trop coûteux. Un recul de l’âge du départ à la retraite ne se traduirait donc pas par un allongement effectif de la vie professionnelle. 

Ensuite, il convient aussi de considérer le taux d’épargne de l’économie, la politique budgétaire et le vieillissement de la population nationale et mondiale. Or, leurs évolutions dépendent fortement de la vitesse du rattrapage économique des zones les moins développées. Ainsi, dans le modèle de cycle de vie, le taux d’épargne diminue avec l’âge. À taux d’intérêt constant, le vieillissement devrait amener une baisse de l’épargne des pays européens. Cependant, si le rattrapage des zones est rapide, la demande de capitaux peut être forte et induire une augmentation du taux d’intérêt mondial. L’épargne mieux rémunérée devient alors plus attractive. Ces deux effets, qui agissent de façon opposée sur l’épargne, laissent planer le doute quant à l’évolution future du taux d’épargne en Europe.

Nous sommes ainsi à la frontière entre prédictions et prévisions !

Quel est l'intérêt politique (en lien avec la démographie) de s'appuyer sur cette cohorte de 1975 pour que la réforme passe ?

Laurent Chalard : Etant donné la masse démographique de la génération du baby-boom, née entre 1945 et 1975, dans le corps électoral, nos dirigeants essaient d’atténuer la contestation en reportant le gros de la réforme sur les générations d’actifs les plus jeunes, qui ne constituent qu’une minorité du corps électoral, d’autant que le taux d’abstention chez les moins de 30 ans est sensiblement plus élevé. D’une certaine manière, LREM « copie » Les Républicains, confirmant, de nouveau, le virage à droite d’Emmanuel Macron, suite à la crise des gilets jaunes, et son ambition de séduire un électorat âgé, avec le risque de « se filloniser », c’est-à-dire de se couper du soutien de la jeunesse. Si l’on peut comprendre la stratégie menée sur le plan politique, par contre, sur le plan économique, il convient de rappeler qu’elle est totalement illogique puisque la dénatalité est liée à la génération du baby boom, qui n’a pas fait assez d’enfants. Pour résumer, cette génération, qui a bénéficié lorsqu’elle était active d’un financement limité de la retraite de ses aînés, car ils étaient peu nombreux, fait payer à ses enfants son train de vie dispendieux et son manque d’anticipation du futur. Après eux, le déluge !

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !