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« Reprendre » la dette des hôpitaux, après celle de la SNCF, par l’État : c’est pour la faire… reprendre de plus belle ?
©GUILLAUME SOUVANT / AFP

Mauvaise idée ?

Si la loi sur la réforme des hôpitaux obtient le vote favorable des députés, 10 milliards de dettes des hôpitaux seraient alors « repris » dans la dette publique.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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10 milliards de dettes des hôpitaux seraient « repris » dans la dette publique, si la loi sur leur réforme est votée par nos « gentils députés », nous dit-on. Ce serait donc encore mieux qu’un « prêté pour un rendu » : ce sera « la prise en charge d’un prêté, pour un rendu qui ne l’est pas encore, loin s’en faut » ! Déjà, ces mêmes « gentils députés » avaient voté une « reprise » de 35 milliards de la dette de la SNCF, 20 pour 2020 et 15 pour 2022. De fait, les événements les plus récents ont assez bien montré que ceci n’a pas été perçu comme un cadeau !

« Reprendre » la dette des hôpitaux ou de la SNCF n’a aucun sens technique, sauf une sorte d’engagement politique assez naïf, qui peut conduire à son contraire : augmenter la dette des deux ! En effet, la SNCF, comme les hôpitaux, sont des APU : des Administrations Publiques, dont la dette est déjà intégrée dans la dette publique. Donc l’État peut toujours « reprendre » directement à son compte une dette, mais comme elle est déjà « reprise » dans le total, ceci ne change comptablement rien à l’ensemble ! Pourtant, les raisons avancées sont toujours techniques, pour ne pas dire : technocratiques, mais jamais managériales, alors qu’elles feraient, seules, la différence. 

Pour les hôpitaux, cette « reprise » de la dette (10 milliards sur trois ans, 3,3 par an) permettrait ainsi d’investir plus. « Un programme massif et ultrarapide de plus de 3,3 milliards d’euros par an pour restaurer l’équilibre financier des établissements. Cela permettra aux hôpitaux de réduire leur déficit et de retrouver rapidement les moyens d’investir et de se moderniser », explique-t-on à Matignon. Et Bercy complète : « cela va permettre d’assainir la situation financière des hôpitaux et d’utiliser une partie de ces marges de manœuvre pour investir dans le quotidien ». Et de préciser : « On fait face à des urgences, on ne pouvait pas rester sourd aux revendications. La reprise de dette constitue un levier pour restructurer l’hôpital public. On ne fait pas que dépenser, on réforme. » Que cela est bien dit !

En réalité, cette « reprise » n’a de sens qu’avec des restructurations d’organisation, donc un management efficace. Ce seront les « maisons de soin » et les hôpitaux de proximité par différence aux grands hôpitaux, plus à même de mener les opérations les plus délicates : nul ne peut avoir des « Salpêtrière » à proximité ! Mais le risque est que cette « reprise » soit un allègement permissif, faute de management suffisamment efficace et fort. Nous payons aujourd’hui, avec retard, avec les hôpitaux présentés comme à bout de souffle et un personnel exténué, les 35 heures de 1981 sans augmentation suffisante des effectifs en compensation, plus des RTT dont on ne comprend pas comment ils seront payés, plus ces urgences où l’on vous envoie, pour s’assurer ! C’est bien ce qui explique les taux d’absentéisme, que les hôpitaux se refusent à rendre publics !

En fait, sans changements puissants et management fort, le risque de cette « reprise de la dette des hôpitaux par l’État » est qu’elle conduise à une nouvelle hausse de la dette. En effet, les gestionnaires des hôpitaux sont aujourd’hui inquiets de la dette qui pèse sur eux, dette qu’ils ne parviennent pas à endiguer faute de système qui leur en donne l’autorité, pour la bonne raison que ce sont les banques qui les financent qui sont inquiètes ! Toute la question est de savoir si, désormais, une part de leur créance devenant officiellement d’État et non implicitement garantie par lui, changera leur comportement, des banques donc en bonne part le leur. Pour l’heure, rien ne permet de le penser.

Pour la SNCF, la première reprise (de 25 milliards) a été techniquement obligatoire pour faire passer la loi transformant la SNCF en société anonyme : autrement, elle n’était pas viable. Pour que cette « reprise » ait été possible, donc le changement de statut accepté, il a fallu aussi que le gouvernement écrive dans la loi que les 100% détenus par l’État sont incessibles (et les œuvre sociales préservées). Resteront 10 milliards à « reprendre », sachant que le gouvernement s’est aussi engagé à augmenter les financements publics de 200 millions d'euros par an, soit à 3,8 milliards par an. Et n’oublions pas les conditions de transfert de personnel de la SNCF aux concurrents qui auront gagné des marchés de dessertes de lignes : priorité au volontariat, et sans changement de domicile ! On voit qu’il ne suffit pas de « reprendre » des milliards de dettes pour mener le rail vers la rentabilité ! « La priorité, c’est transformer la SNCF, la rendre plus compétitive, dégager des bénéfices et au bout du compte, à la fin de cette transformation, nous pourrons envisager que l’Etat reprenne la dette de la SNCF », déclarait fin février 2018 le ministre de l’économie, Bruno Le Maire. On a « repris » bien avant : c’est toujours pareil !

C’est que la question du management est centrale, à la SNCF comme dans les hôpitaux, pour décider, animer, gérer les formations, permettre les changements, ici comme partout ailleurs. Mais on ne parle jamais de « patrons », mais d’« investir pour l’hôpital », avec des hausses de salaires et, enfin, des primes décidées et distribuées dans les hôpitaux. Mais comment décider ? Où sont les patrons ? Un mot qu’on cherchera vainement. Il s’agit toujours de  « restaurer l’attractivité de l’hôpital » et de « récompenser l’engagement des personnels » !

Soyons sérieux ! Tout dépend, ici comme ailleurs, dans les hôpitaux ou les gares, de l’animation qu’auront fait naître les responsables, avec les équipes qu’ils auront su constituer et animer. Un État propriétaire de tout, décisionnaire de beaucoup et responsable de rien n’est pas ce qui aide pour être plus efficace et rentable, et laisser ainsi moins de dette à « reprendre ». Reprenons-nous !

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