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Derrière la crispation sur les retraites, la génération la plus immature de l’histoire
©ALAIN JOCARD / AFP

Vieillesse

La mobilisation contre la réforme des retraites permet de s'interroger sur la question de la vieillesse. Quelle conception de la retraite et de la vieillesse domine dans notre société ?

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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José Polard

José Polard

José Polard est psychologue et psychanalyste. Il préside l'association "EHPAD de côté". Il dirige la collection "L'âge et la vie - Prendre soin des personnes âgées et des autres" aux éditions érès, avec Michel Billé, sociologue, et Christian Gallopin, médecin algologue.

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Atlantico.fr : La mobilisation autour de la réforme des retraites fait ressortir l'impensé de la question de la vieillesse. L'angle mort de toutes les postures politiques, favorables ou non à la réforme, c'est en effet le sens de cette nouvelle période de la vie, apparue progressivement depuis une cinquantaine d'années. 

Entre les méthodes pour vivre le plus longtemps possible, et l'idée d'une retraite qui serait synonyme de grandes vacances, quelle conception de la retraite et, plus fondamentalement, de la vieillesse, domine dans notre société ? 

Bertrand Vergely : Dans les civilisations dans lesquelles la vie tourne autour de la vie spirituelle, c’est-à-dire autour de la présence du souffle créateur présent en toute chose et en tout être, la vieillesse a comme sens de vivre le plus longtemps possible afin de célébrer ce souffle  pour le plus grand bien de tous, tant il est heureux et bénéfique que le plus possible d’hommes et de femmes vivent pour cette célébration. Dans notre monde qui est devenu totalement matérialiste, pragmatique et utilitariste, comme ce sens spirituel a disparu, la vieillesse au sens d’éternelle jeunesse spirituelle n’existe plus. Cette disparition s’est opérée en trois temps.

- La vieillesse a d’abord commencé par prendre une signification purement humaine et sociale comme garde des traditions et de la mémoire du passé. À défaut de vivre l’éternelle jeunesse spirituelle de la vie, elle est devenue ce qui conserve la jeunesse humaine du monde. D’où l’importance qu’ont eus les gérontes, ceux-ci étant considérés comme les détenteurs de la sagesse collective en vertu de leur expérience. 

- Dépourvue de signification spirituelle et de plus en plus concurrencée par la jeunesse existante, la vieillesse est passée d’une figure attractive à une figure répulsive, être vieux devenant ce que l’on ne veut surtout pas devenir. Le monde moderne  et post-moderne s’est alors coupé en deux avec d’un côté le manifeste et de l’autre le caché, le manifeste étant la jeunesse triomphante, glorieuse et célébrée et d’un autre côté  la vieillesse honteuse, rejetée et occultée.  « La vie est l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort », écrit Bichat. Pour notre monde, la vie est l’ensemble des fonctions qui résistent non seulement à la mort mais à la la vieillesse. 

- Comme la vie est dynamique et que les êtres humains sont extrêmement imaginatifs, cette coupure brutale entre jeunes et vieux n’est pas été sans effet. Qu’ont fait les vieux ? Se sont-ils cachés ? Nullement. Ils se sont adaptés en inventant un nouvel âge de la vie figuré par le jeune retraité. Du coup, ce n’est plus qui a été fracturée en  deux avec d’un côté les jeunes et de l’autre les vieux,  mais la vieillesse avec d’un côté le nouveau troisième âge et d’un autre le grand âge. 

Les gens meurent en moyenne à 63 ans et demi, disait récemment à la radio une femme politique opposée à la réforme des retraites. Est-ce vraiment le cas ? Les choses n’ont-elles pas bien changé ? Le temps où la retraite avait comme sens de donner un peu de repos aux hommes et aux femmes afin qu’ils ne meurent pas à soixante cinq ans  quelques mois après avoir pris leur retraite, n’est-il pas en train de s’éloigner ? Les régimes spéciaux n’avaient-ils pas leur sens quand un conducteur de locomotives avalant de la fumée dégagée par le charbon avait peu de chances de parvenir à soixante ans. Mais aujourd’hui, un conducteur de TGV est-il épuisé à cinquante deux ans ?  Pour une partie croissante  de la population, la vieillesse commence à quatre-vingt cinq ans en s’appelant non plus la vieillesse mais le grand âge. Avant, entre soixante-cinq ans et quatre vingt ans, on a affaire à une période de vie étrange où les vieux sont de nouveau jeunes. Souvent très en forme physiquement parce qu’ils mènent une vie saune en faisant du sport ils refont des études, divorcent et vivent une nouvelle lune de miel.  

Du fait de ce changement, on ne peut pas dire que la vieillesse n’existe plus. Elle existe bel et bien. Quand on a soixante-quinze ans on a soixante quinze ans. Seulement, la vieillesse est devenue humainement heureuse. Elle s’est révélée comme physiquement capable d’être jeune. Elle est devenue curieusement attractive. Si l’Amérique est le nouveau monde de notre monde, la nouvelle vieillesse est devenue le nouveau monde de notre temps. Elle est devenue  l’Amérique de la vie. D’où le problème qui est le nôtre. 

Il va falloir faire face à un monde vieillissant qui vit de plus en plus longtemps, entend-t-on. En disant cela on sous-entend que ce monde vieillissant coûte cher parce qu’il est de plus en plus malade. Oui et non. Ce à quoi il va falloir avoir affaire c’est à un monde d’inactifs retraités très actifs, de plus en plus en forme. Ironie du sort ! Ce qui coûte cher ce n’est pas la maladie,  mais  les prothèses de genoux et de hanches des jeunes retraités en forme qui comptent bien continuer à faire du vélo et de la randonnée.

On voulait que le monde soit jeune. Il l’est devenu. Et c’est bien là le problème, la question étant de savoir   comment nous allons faire pour financer non pas la vieillesse du monde mais sa jeunesse. 

Notre société est en train d’inventer un visage de la vie et de la vieillesse qui n’a jamais existé jusqu’à présent. Il y avait les vieux et les jeunes. Puis il y a eu les jeunes et les vieux. Aujourd’hui, un temps nouveau est arrivé avec un âge intermédiaire, un néo-âge, qui n’est no jeune ni vieux. Trop vieux pour être jeune mais trop jeune pour être vieux cet âge est en train de découvrir l’élixir de longue vie  que Faust rêvait de réaliser en vendant pour cela son âme au diable. 

José Polard : Actuellement, la retraite fait débat et la durée de travail se négocie durement, on légifère à propos de la place et l’emploi (problématique) des « seniors ». Pourtant, certains humains, en vieillissant, n’envisagent pas de cesser leur activité professionnelle mais bien au contraire désirent la poursuivre. En somme, les uns courent à la retraite et la limite à leur durée de travail, objet d’intenses négociations, est posée par les institutions. Les autres devront fixer leur propre limite, renoncer à ces satisfactions professionnelles, non sans certaines difficultés. 

Par ailleurs comment ne pas voir la dissonance entre d'un côté les injonctions d'un marketing social du bien-vieillir et de l'autre côté, l'incertitude économique autant qu'existentielle qui nourrit la mobilisation du 5 décembre contre la réforme des retraites; une incertitude qui est en écho à la peur de vieillir dont se défend notre société gérontophobe. Alors qu'il nous est possible de vivre plus longtemps, notre collectivité n'aime pas sa vieillesse!

En voyant la retraite comme un repos bien mérité, ne s'empêche-t-on pas de penser à la fois l'activité d'un adulte encore capable physiquement d'agir, et la période où la santé physique déclinante, la pensée d'un homme reste vive ? 

Bertrand Vergely : S’il n’existe plus de signification  de la vieillesse au sens spirituel du terme, il n’existe pas encore de signification spirituelle de la retraite non plus. Cela se voit dans la façon d’aborder celle-ci. On la pensée entre deux souffrances, celle du travail et celle du déclin. Après le travail perçu comme souffrance la retraite apparaît comme une anti-souffrance. Répit de courte durée, ce repos étant appelé à passer afin de faire face à la souffrance liée au grand âge.  De fait, qu’il s’agisse du travail ou qu’il s’agisse du temps et de la vie, nous sommes hantés par la souffrance. Nous sommes ainsi hantés par elle parce que nous avons des images traumatiques dont nous n’arrivons pas à nous délivrer et qui nous hantent. Celles du peuple souffrant au XIXème et au XXème siècle du fait de la dureté de l’industrialisation et de la modernisation du monde. Celle du délabrement lié au grand âge. Nous sommes aussi hantés par la souffrance parce que nous sommes demeurés terriblement infantiles dans notre vision de l’existence. Comme les enfants nous rêvons d’un pays de cocagne où tout serait heureux, gratuit et éternel. Non seulement il n’y aurait plus de travail mais il n’y aurait plus de temps, de vieillesse et de mort. Vision infantile parce faussement heureuse, la vie étant non pas pensée comme vie mais comme anti-travail, anti-vieillesse, anti-mort, anti-tout. Un enfant qui a peur se protège en fuyant dans l’utopie. Comme nous sommes sans foi, nous avons peur. Comme nous avons peur, nous nous protégeons en fuyant dans l’utopie. Nous ne pensons pas la vie. Nous pensons à nous rassurer à propos de la vie en rêvant d’utopies sociétales. Comme elles n’arrivent jamais, nous sommes amers et nous remuons des images traumatiques de souffrance liées au travail et au temps. Comme nous remuons des images traumatiques liées au travail et au temps, nous nous réfugions dans des utopies sociétales. 

Bien sûr, il y a des personnes pour qui la vie est dure. Bien sûr, il y a des fins de vie malheureusement dramatiques. Bien sûr, il reste encore beaucoup à faire pour mettre fin à cette dureté et à ces fins de vie malheureuses. Il n’empêche. Nous n’avons pas la joie. Nous n’avons plus la joie parce que l’on ne cesse de tuer celle-ci à travers le discours dominant qui est celui de la révolte  au nom de la dureté de la vie. La joie étant l’essence de la vie et la pensée étant l’essence de cette essence, penser la vie c’est penser la joie. Dans nos discours, dans nos pensées, dans nos discussions, dans notre art, dans nos mages, dans nos mots, où est la joie ? Où est la gratitude ? À quelle heure est-on heureux ? Quand dit-on merci ? Tan que notre monde n’aura pas compris que pour être juste et faire triompher la justice il importe d’être joyeux et non pas en colère, révolté voire haineux, le monde ne pourra pas changer ni la justice triompher. Pour être juste il faut être fort et pour être fort il faut être joyeux. Il faut aimer la vie. 

José Polard : Il y a beaucoup de projections idéalisées ou craintes sur la retraite, selon chacun. En réalité, il s'agit moins d'une phase de repos qu'une autre manière de vivre, d'aimer et d'être utile, à condition d'accepter des remaniements physiques et psychiques. L'allongement de la durée de la vie, modifiant la temporalité, offre l'occasion de projets et même pour certains de réinventer leur vie.

Bien sûr, la maladie et le handicap changent la donne confrontant le sujet âgé à la fragilité et à la nécessaire présence d'autrui. Reste sa voix pour qui veut l’entendre.

Comment adapter les conditions politiques et sociales à cette période de la vie, en étant le plus sincère avec ce qu'elle est aujourd'hui ?

Bertrand Vergely : La question majeure qui se pose à nous aujourd’hui n’est pas politique et sociale. Elle est métapolitique et méta-sociale. Il faut que nous retrouvions confiance en nous et pour cela il faut que nous retrouvions notre souffle spirituel. 

La France est un pays extraordinaire, doté d’un talent et d’un génie hors du commun. Le patrimoine culturel ainsi que  l’incroyable système de protection sociale dont elle dispose et dont nous avons la chance de pouvoir bénéficier grâce à l’extraordinaire héritage que nos prédécesseurs nous ont laissé,  en sont la preuve. Le problème est qu’elle n’a pas confiance en elle et qu’elle est trop divisée. Peu sûre d’elle, dominée par des luttes fratricides, elle vit une hémorragie de ses forces. 

Au vu de cette contradiction insupportable, l’urgence est de retrouver confiance en nous en prenant conscience de trois choses. 

- Il importe d’abord de redonner du sens à la vie dans son ensemble. La vie humaine est une aventure extraordinaire dont nous n’avons qu’une faible imagination. Songeons que nous ne connaissons que 4 % de la réalité. 96 % de celle-ci nous demeure totalement inconnue. Prenons conscience de ce simple fait. On ne peut que s’émerveiller de vivre et de participer à l’aventure humaine. Françoise Sagan a écrit dans les années 60 un roman intitulé « Bonjour tristesse ». Il importe aujourd’hui d’écrire un nouveau roman intitulé « Adieu tristesse ». 

- Dans cette aventure extraordinaire, l’homme est une aventure encore plus extraordinaire. Si 96%  de l’univers demeure inconnu, 96% de l’homme demeure encore inconnu, le potentiel de celui-ci étant phénoménal. 

- Enfin, dernier point. Aujourd’hui, nous tous en France, nous avons tous les moyens de faire face au tournant phénoménal que connaît notre monde. Nous avons les richesses matérielles, humaines et intellectuelles de pouvoir non seulement affronter mais réussir l’avenir. À une seule condition : que nous retrouvions confiance et gratitude dans les forces morales et spirituelles qui sont en nous.  Les plus grandes victoires sont des victoires sont les victoires intérieures. Nous avons une bataille intérieure décisive à mener contre nos démons. 

José Polard : Consommateur ou acteur de son vieillissement ainsi pourrions poser la question ? Dans la perspective industrielle de la Silver économie, c'est la question de notre solvabilité qui sera prédominante pour acheter les biens qui nous sont proposés. Dans une conception proche des territoires, éco-systémique, la capacité de tisser des liens, de l'entraide et de porter des projets devrait soutenir et inventer des manières de vieillir suffisamment bien.

Propos recueillis par Augustin Doutreluingne.

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