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OTAN, l’alliance militaire qui (contrairement aux apparences) allait mieux que l’Occident
©Reuters

Sommet des 70 ans

Le sommet de l'OTAN de Londres 2019 s'ouvre aujourd'hui, 3 décembre. Alors que l'OTAN fête son soixante-dixième anniversaire, l'Organisation semble ne jamais avoir été aussi bousculée.

Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Atlantico : Emmanuel Macron a évoqué début novembre la "mort cérébrale" de l'OTAN. Dans les faits cependant, est-ce que certains membres de l'OTAN semblent prêts à prendre le risque de la dissolution effective de l'OTAN ? Assiste-t-on à une crise de plus ou à un moment décisif qui pose la question de la survie de l'atlantisme ? 

Cyrille Bret :L’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) est régulièrement annoncée comme moribonde depuis 1991. En effet, créée en 1949 par les Etats-Unis et les démocraties occidentales pour contrer l’expansion du communisme en Europe, l’OTAN a vécu une grave crise au moment de la disparition de l’URSS et de l’alliance militaire menée par celle-ci, le Pacte de Varsovie. Durant les années 1990, l’OTAN a réussi à survivre à la fin de son ennemi mais au prix d’une révision complète de sa vocation stratégique. Elle est intervenue en Bosnie en 1995 pour veiller sur les accords de Dayton. Et elle est intervenue au Kosovo contre le gouvernement serbe d’alors. Les années 2000 n’ont pas remédié à cette crise de vocation : l’OTAN s’est déployée en Afghanistan contre le terrorisme international en 2003, en 2008 au large de la Somalie contre la piraterie et en 2011 en Libye contre le régime Kadhafi. Ce n’est que depuis 2014 que l’Alliance a repris une vocation stratégique historique pour contrer la reconstruction des forces armées russes.

Aujourd’hui, l’OTAN est sous le feu roulant des critiques : dépassée et trop onéreuse pour le président américain, elle ne répond plus aux défis stratégiques actuels pour le président français. Pourtant, plusieurs facteurs concourent à la maintenir en vie. Le premier d’entre eux est l’attachement des anciennes démocraties populaires (Pologne, Roumanie) à l’Alliance : celle-ci constitue leur assurance-vie face à la Russie en Europe. Le deuxième facteur est la faiblesse militaire de l’Union européenne qui n’est pas encore dotée de capacités d’interventions aussi rassurantes pour ces Etats que l’OTAN. Enfin et surtout, les Etats-Unis ont beau souligner les limite de l’OTAN, ils y sont attachés car il s’agit d’un instrument de structuration essentiel pour leur action extérieure. La crise actuelle de l’OTAN est comme les précédentes : elle paraît menacer sa survie alors que l’Alliance est encore vigoureuse.

Si l'organisation n'existait plus, quelles seraient les conséquences pour la sécurité de ses membres, notamment européens, en l'absence d'Europe commune de la défense ? Comment se réorganiseraient, au regard de ce qui existe aujourd'hui, les puissances et les "leaderships" ?

La disparition de l’OTAN résulterait tout à la fois d’un retrait américain de l’Organisation et d’une désaffection des Européens pour elle. Comme tous les bouleversements géopolitiques, la fin de l’OTAN créerait des risques mais également des opportunités. Le système de sécurité collective de l’Europe occidentale serait déséquilibré car les Etats-Unis sont le premier contributeur au budget et aux effectifs de l’OTAN. Ils sont également essentiels à plusieurs capacités clés dans le domaine des drones, des satellites et des transports de troupe. A court terme, les Etats d’Europe occidentale seraient affaiblis par le retrait américain et la disparition des structures militaires permanentes. Cela pourrait ouvrir un espace pour la Russie qui chercherait assurément à peser davantage en Europe, en Méditerranée orientale et au Moyen-Orient. Toutefois, à plus long terme, la disparition de l’OTAN pourrait également constituer une opportunité pour les Européens. Laissés à eux-mêmes face aux risques géopolitiques des espaces baltiques, méditerranéens, centre-asiatiques, ils pourraient développer une conscience et des outils stratégiques bien plus développés qu’aujourd’hui. La disparition de l’OTAN pourrait révéler la nécessité d’une organisation militaire proprement européenne forte.

Toutefois, cette prise de conscience ne serait pas automatique et la fin de l’OTAN ne signifierait pas que les Européens prendraient nécessairement en main leur propre défense. D’une part, les Américains pourraient être tentés de renforcer leurs liens bilatéraux avec plusieurs pays clés, comme la Pologne, la Roumanie et les Etats baltes. Ceux-ci ne pourraient pas trouver intérêt au développement de la défense européenne. D’autre part, plusieurs pays européens pourraient être tentés de composer avec la Russie en l’absence d’OTAN. Ainsi, la Hongrie, la Bulgarie ou la Turquie, en l’absence d’OTAN pourraient s’engager dans une voie de compromis avec la Russie qui ne conduiraient pas à une Europe de la défense. Enfin, il conviendrait que les opinions publiques, les électeurs et les contribuables européens soient prêts à assumer le coût financier, politique et humain d’un renforcement de leurs capacités de défense. Aujourd’hui, l’OTAN n’a pas de remplaçant évident en Europe. Mais c’est la présence de l’OTAN qui, paradoxalement, restreint les chances de développer une puissance militaire européenne.

Qu'est-ce qui fait encore tenir l'OTAN ? Est-ce l'existence d'un destin occidental commun, le sentiment d'un devoir historique ou un simple calcul stratégique réaliste ?

Contrairement à ce qu’on entend à l’est et à l’ouest de l’Europe, nous ne vivons pas une « nouvelle guerre froide ». Les affrontements en Europe sont moins idéologiques que dans les années 1940-1991 où l’OTAN assumait sa vocation historique. Ce que je veux dire, c’est que l’OTAN n’est plus soudée par une communauté de valeurs opposées à celles du communisme. Les deux blocs ont disparu et, avec eux, les visions du monde qui les soudaient. Du point de vue des valeurs, l’OTAN d’aujourd’hui, à 29 membres, est bien plus hétérogènes. Elle comprend bien sûr les démocraties occidentales. Mais elle comprend également la Turquie, dont la trajectoire est aujourd’hui divergente de celle des pays d’Europe occidentale. De même, l’OTAN comprend le Canada qui n’a pas de communauté de destin avec l’Europe même s’il partage un héritage culturel avec elle. 

La résurgence apparente de la mission de l’OTAN en 2014 avec la manifestation de la puissance russe en Crimée et en 2015 en Syrie n’a pas remédié à la crise de vocation de l’OTAN. En l’absence d’ennemi clairement identifié, l’OTAN réunit ses membres sur des bases plus floues qu’un destin commun. Par exemple, l’OTAN n’est plus la meilleure enceinte pour l’influence américaine. L’administration Trump préfère largement le dialogue bilatéral pour construire un réseau en Europe : l’attachement des pouvoirs publics polonais à la relation bilatérale est plus profond encore que l’attachement à l’OTAN. 

Aujourd’hui comme depuis 1991, l’OTAN est dans une situation paradoxale : elle est en crise car la solidarité entre les 29 alliés n’a plus de socle idéologique indiscuté. Mais elle est vivace car aucune solution de remplacement n’est encore prête.

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