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Les Français : plus confiants et plus manifestants à la fois. Comment comprendre ?
©FRED TANNEAU / AFP

Contre-intuitif

Selon l’Insee, la confiance des ménages dans la situation économique augmente. Et pourtant, la mobilisation du 5 décembre s'annonce très suivie.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Le 5  décembre promet dans les rues. Mais, selon l’Insee, au cours du mois de novembre, la confiance des ménages dans la situation économique a augmenté à nouveau, après deux mois de stabilité. S’inscrivant à 106, l’indicateur qui la synthétise gagne en effet deux points, bien au-dessus de sa moyenne de longue période : 100. Alors, comment comprendre ce mélange de colères et de confiance ?

Enquête d’abord : celle de l’Insee indique une remontée de la confiance des ménages jusqu’au niveau atteint à la mi-2007, juste avant la chute due à la crise de 2008, ou encore à celui de 2017, juste avant la dégringolade due aux « gilets jaunes ». Depuis lors, la confiance des ménages a remonté, encore une fois, la pente. Le « niveau de vie passé » des Français s’est amélioré, leur « niveau futur » aussi. La crainte du chômage reflue un peu. L’inflation passée et future est aussi en baisse. Bref, cela va mieux dans les têtes, selon les enquêtes économiques.

Chiffres ensuite : cela va mieux, aussi, dans les données « dures ». Avec 0,3% de croissance au troisième trimestre, 1,3% sur l’année contre 0,5% pour l’Allemagne et 0,3% pour l’Italie, la France est la première des grandes économies de la zone euro. Son taux de chômage, à 8,6%, se réduit lentement, mais l’emploi privé augmente de 54 000 au troisième trimestre, de 263 000 sur un an. Le pourcentage des 15-64 ans en emploi monte : 64,2% en 2016, 64,7% en 2017, 65,4% en 2018. Bref « les choses » vont mieux, mais c’est chiffré, loin, abstrait.

En effet, sur la scène politique, la  cote d’Emmanuel Macron baisse. Elle passe en octobre à 33% d’opinions favorables contre 36% en septembre, tout comme celle du Premier ministre (de 34 à 33%). Selon Ipsos, ceci « s’explique peut-être en partie par un climat économique et social qui reste incertain et par les intentions gouvernementales perçues comme floues qui entourent la réforme des retraites à venir ». En revanche, les favoris des Français ne sont plus dans la politique (Nicolas Hulot avec 54% d’opinions favorables ou Jack Lang avec 42%). Les opposants de droite sont assez bien vus (Nicola Sarkozy avec 36%, puis Xavier Bertrand avec 32%), un peu mieux que ceux de gauche (Martine Aubry avec 29%, Jean Cazeneuve avec 27%). Seul, le membre du gouvernement Jean-Yves Le Drian tire son épingle du jeu, avec 36% d’opinions favorables.

Et pourtant, au début des discussions sur les retraites, les Français étaient majoritairement favorables à la démarche du gouvernement, quitte à pâtir de grèves. Ce devait être le prix à payer. Mais voilà qu’ils y sont aujourd’hui majoritairement défavorables ! Que s’est-il donc passé ces dernières semaines. Que s’est-il donc passé après tous ces mois d’études, de colloques, de réunions avec les populations et les syndicats ? Certes, les Français sont en large majorité d’accord sur le point de départ : tout euro cotisé doit donner droit à la même pension. On aura reconnu ici l’effet de nos grands principes, aussi égalitaires qu’abstraits. Mais la mise en pratique est peuplée de difficultés : quid des « trop petites retraites », des carrières courtes, des femmes, des travaux pénibles, des caisses de retraite de certaines professions bien gérées, et autres…  Alors les Français trouvent que c’est vraiment compliqué, confiscatoire, pas assez préparé, et se disent que ce n’est pas la peine de supporter des grèves de trains et de métro pour un projet aussi imprécis. Pour autant, les Français ne sont pas contents de la SNCF : « L’entreprise publique qui reprenait trimestre après trimestre du poil de la bête dans l’opinion voit son image de nouveau plonger violement de 18 points… Un Français sur deux déclare avoir une mauvaise image de la SNCF. L’entreprise publique est une nouvelle fois 30ème et dernière de notre classement » écrit Claude Posternak, dans le dernier baromètre Posternak-Ifop. Depuis, on ne compte plus les propositions de nouvelles structurations de notre système de retraite, entre grands principes, contraintes et « piliers », alors que le gouvernement discute et recule. La pire des choses.

L’économie française va donc mieux, en tout cas mieux qu’avant et mieux que celles des grands voisins, mais les mécontentements montent, les manifestants sont omniprésents et s’apprêtent à se réunir… contre quoi ? A qui la faute ? Au capitalisme, au réchauffement climatique, aux GAFA, à Trump et Xi, aux syndicats minoritaires et politisés qui veulent garder leurs avantages, aux médias, ou à Emmanuel Macron ?

Au chef. Bien sûr il n’est pas coupable, mais sans doute responsable d’avoir voulu trop faire, trop seul, en sous-estimant les oppositions et leurs capacités de nuisance et de conviction, avec des dossiers trop mal préparés. Pour réformer, il faut un travail impeccable dans le détail, au courant des oppositions et donc bien expliqué et déminé. Le détail fait tout : personne n’a oublié les 5 euros d’augmentation des loyers des étudiants, le prélèvement sur les retraites avec la hausse de la CSG ou les cinq centimes du litre d’essence qui ont fait naître les « gilets jaunes ». Personne n’a oublié non plus la réforme constitutionnelle embourbée. Mais tout le monde a oublié le succès de l’opération « prélèvement à la source » et le fait que l’amélioration de l’emploi a quelque chose à voir avec les récentes lois de flexibilité et d’apprentissage.

Pour les Français, seul l’échec compte, annonciateur d’une éventuelle série perdante. Tout le monde comptera donc les manifestants du 5 décembre, en attendant la suite : grèves, manifestations, baisses des sondages, tensions entre candidats En Marche pour les municipales qui viennent, histoire de freiner davantage les réformes et de brouiller les pistes politiques, avant la présidentielle. Par hasard, par chance, les marchés financiers ne s’inquiètent pas du déficit budgétaire qui monte dans une France en croissance, ni d’une France championne de la dette privée. Les taux d’intérêt sont toujours au plus bas et les dettes montent, ceci permettant de financer une France privée pour qu’elle continuer d’avancer et une France publique en retard et qui freine.

Alors : les Français, à la fois plus confiants et plus manifestants, comment comprendre ? Réponse : ce ne sont pas les mêmes parties du cerveau qui sont chez eux à l’œuvre : optimisme et confiance, ou bien peur et aigreur, selon que l’on explique bien ou mal les réformes et leurs enjeux. Mais elles devront bien se réunir pour payer en cas d’échec, et moins pour les manifestants bien sûr !

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