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Pourquoi l’Union européenne a sérieusement besoin de se préparer à la prochaine vague d’arrivée de migrants
©Valerie GACHE / AFP

Défi

Entre janvier et novembre 2019, 44.000 migrants sont entrés sur le territoire européen via la Grèce. C'est plus que durant l'ensemble de 2018. Et du côté de l'Union européenne, il n'y a toujours pas l'ombre d'une politique migratoire coordonnée...

Laurent  Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant. Membre du think tank European Centre for International Affairs.

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Atlantico : Un article de Foreign Policy souligne qu'entre janvier et novembre 2019, 44.000 migrants sont entrés sur le territoire européen via la Grèce. Un chiffre en augmentation par rapport à la totalité de l'année 2018 durant laquelle ils avaient été 32.500 à arriver en Europe par la Grèce. Si ces chiffres n'ont rien à voir avec ceux de 2015 ou 2016, cette augmentation d'environ 30% du nombre d'arrivées de réfugiés via la Grèce est-elle le signe d'une nouvelle crise migratoire à venir ?

Laurent Chalard : Il faut faire très attention lorsque l’on analyse des données statistiques sur les migrants à ne pas tirer de conclusions hâtives d’évolutions en pourcentage à court terme sans tenir compte des chiffres des années précédentes. En effet, le chiffre de 44 000 migrants entrés sur le territoire européen via la Grèce courant 2019 demeure très faible par rapport à ce qui a pu se constater les années précédentes, où les flux entrants ont atteint jusqu’au million de personnes. Nous avons donc plus affaire à des flux structurels, qui varient d’une année sur l’autre, que des flux conjoncturels liés à une crise d’ordre géopolitique comme en 2015/2016, avec l’arrivée massive de réfugiés syriens dans un contexte d’appel d’air déclenché par les propos d’ouverture des frontières de la chancelière allemande Angela Merkel. Dans un contexte à cette époque de guerre civile en Syrie (et aussi en Irak) s’éternisant sans qu’aucun camp belligérant ne semblasse l’emporter, de nombreux syriens (et irakiens) firent le choix de l’exil vers l’Europe, dans l’optique d’avoir une vie meilleure, auxquels se sont combinés des ressortissants d’autres pays d’Asie ou d’Afrique, qui ont profité de l’aubaine pour passer clandestinement en Europe. Or, aujourd’hui, la situation en Syrie s’est stabilisée, le régime de Bachar el Assad ayant repris le contrôle de la majorité du territoire. Il s’ensuit qu’il n’y a aucune raison de voir un nouvel afflux massif de migrants provenant de ce pays. Le seul élément qui pourrait éventuellement entraîner une brusque accentuation de l’immigration arrivant par la route des Balkans serait que le régime turc d’Erdogan expulse, plus ou moins de force, une partie des migrants syriens vers l’Europe pour « punir » les européens de leur manque de soutien. Cependant, il prendrait le risque géopolitique de se couper définitivement de l’occident et donc de l’OTAN, dont la puissante armée turque est totalement dépendante technologiquement.

Lors de la précédente grave crise migratoire de 2015, la majorité des migrants venaient en Europe car ils fuyaient les conflits syrien, irakiens... Aujourd'hui si les guerres ont globalement pris fin dans ces deux pays, quels conflits ou crises actuelles pourraient provoquer une nouvelle vague d'arrivées massives en Europe ? S'attend-ton à l'arrivée massive de réfugiés climatiques à court terme ?

A l’heure actuelle, à l’exception du Yémen, pays lointain et dont la population émigre traditionnellement préférentiellement vers les opulents émirats du Golfe voisins, qui ont besoin d’une main d’œuvre bon marché pour assurer le fonctionnement de leur économie, et de l’Afghanistan, qui alimente un flux structurel vers l’Europe de quelques dizaines de milliers de migrants bon an mal an, les crises actives se situent plutôt sur le continent africain qu’en Asie. Que ce soit en Libye, au Sud-Soudan et plus globalement dans la zone sahélienne, la situation géopolitique est particulièrement instable, d’où des flux structurels relativement importants. Cependant, il n’y a, à l’heure actuelle, aucune crise équivalente à celle syrienne, pouvant entraîner un afflux conjoncturel aussi massif. Seule la déstabilisation complète d’un pays relativement proche géographiquement de l’Europe est susceptible d’être à l’origine de flux de cette ampleur.

Concernant les soi-disant « réfugiés climatiques », qui ont toujours existé (à chaque grande sécheresse touchant les zones rurales dans les pays africains correspond un afflux massif de population dans les grandes villes), les flux massifs intercontinentaux relèvent, jusqu’ici, plus du fantasme que de la réalité. En effet, traditionnellement lorsque la situation climatique se détériore sur un territoire, la population migre vers d’autres régions proches où la situation est meilleure ainsi que vers les grandes villes. Ce sont donc essentiellement des migrations de proximité.

Si l'Union Européenne a l'expérience d'une première crise migratoire, elle ne semble pas être parvenue à implanter une politique commune face à l'immigration. Dans l'éventualité d'une nouvelle crise, serait-elle armée pour y répondre ? Comment -notamment parce que l'on sait que tôt ou tard se posera le problème des réfugiés climatiques-peut-elle s'y préparer ? 

Etant donné les dysfonctionnements permanents de l’Union Européenne, on peut être dubitatif sur les capacités de cette dernière à faire face à une nouvelle crise migratoire de l’ampleur de l’été 2015. Au contraire, une éventuelle nouvelle crise risquerait plutôt de constituer le chant du cygne de l’Europe, les mésententes internes sur l’accueil des migrants finissant par faire définitivement exploser l’institution, chaque pays jouant sa propre partition. Le Brexit a été un sérieux avertissement lancé aux élites européennes face à leur impéritie à contrôler leurs frontières et il est probable que les électeurs ne leur pardonneraient pas une nouvelle gestion catastrophiste, avec à la clé le risque qu’ils se tournent définitivement vers des candidats populistes autoritaires.

 Dans la situation actuelle, il n’est guère possible pour les dirigeants européens de se préparer face à quelque chose qu’une large partie d’entre eux ainsi que de leurs électeurs ne souhaitent pas. Il s’ensuit donc que la meilleure préparation serait tout simplement d’éviter l’émergence de nouvelles crises géopolitiques d’ampleur, provoquant des mouvements de populations massifs non souhaités. Cela relève donc plus de la politique internationale que de la politique migratoire. Dans ce cadre, il est nécessaire de désamorcer l’arc des crises qui s’étend du Maghreb à l’Asie Centrale et d’aider les Etats faillis, comme la Libye, à reprendre en main le contrôle de leur territoire et donc aussi des populations qui y transitent. Parallèlement, il convient d’amorcer une réflexion concernant la gestion du flux structurel.

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