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L’immigration, remède nécessaire pour l’équilibre des retraites et le rebond de notre économie ?
©Giovanni ISOLINO / AFP

Pensée magique

Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire aux retraites, estime qu'il faudra accueillir 50 millions d’étrangers pour équilibrer le système de retraites au niveau européen.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Arnaud Lachaize

Arnaud Lachaize

Arnaud Lachaize est universitaire, juriste et historien. 

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Atlantico : Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire aux retraites, a répondu aux questions 80 jeunes vendredi à Créteil. Selon certains observateurs sur les réseaux sociaux, il aurait notamment déclaré : "On aura besoin de 50 millions d’étrangers pour équilibrer le système au niveau européen." D'un point de vue purement démographique, cet argumentaire se tient-il ?

Arnaud Lachaize : Cette déclaration renvoie à l’idée selon laquelle l’immigration peut être une réponse au déficit démographique de l’Europe, au vieillissement de la population et qu’elle est nécessaire à la survie des systèmes de retraites des Européens. Un rapport de la division des populations de l’ONU, intitulé « Replacement migrations », publié le 20 mars 2000, estimait que l’Europe continentale, en incluant la Russie, devrait accueillir 2,1 milliards de migrants en cinquante ans pour permettre de maintenir à très long terme un ratio populations actives/inactives, compatible avec le maintien du niveau des pensions de retraite. Puis leurs auteurs s’étaient ravisés et avaient déclaré que par ce rapport, ils voulaient monter l’absurdité de compter sur l’immigration pour financer les retraites des Européens.

De fait, l’idée a pourtant fait son chemin, pas seulement sur les retraites, mais sur les besoins en population active. Le chiffre de 50 millions d’étrangers dont l’Europe aurait besoin correspond à ceux qui sont avancés par le patronat allemand. Il découle du déclin démographique de l’Allemagne où le taux de fécondité de 1,5 enfant par femme, depuis des décennies, entraîne une chute naturelle des populations. Le rayonnement industriel de l’Allemagne conjugué à son déclin démographique, pousse le patronat de ce pays à réclamer avec insistance à son gouvernement une large ouverture aux migrations.

Philippe Crevel : Les retraites sont financées par les cotisations sociales ou par les revenus via les impôts. Le ratio cotisants / retraités est essentiel pour l’équilibre des régimes de retraite. Ce ratio se rapproche de 1,4 cotisants pour 1 retraité au sein de nombreux pays. Les pays européens sont entrés dans un processus de vieillissement rapide de leur population. La proportion des plus de 65 ans par rapport à la population âgée de 15/64 ans passera de 30 à 50 % de 2018 à 2050. La population active est en baisse pour la zone euro depuis 2017. Pour endiguer ce mouvement, il faudrait une forte arrivée de population immigrée.

La France malgré un taux de fécondité supérieure à la moyenne européenne est également confrontée au problème du vieillissement de sa population. Notre pays comptait au 1er janvier 2019 66,9 millions de personnes dont 6,2 millions d’immigrés. La population active française s’élève à 29 millions et le nombre de retraités est de plus de 16 millions contre moins de 5 millions en 1970. D’ici 2070, il y aura 25 millions de retraités quand la population active atteindra 31 millions. Dans les années 60, le rapport de cotisants par rapport aux retraités était de 4 pour 1 quand aujourd’hui il est de 1,7, il sera de 1,4 d’ici 2050.

 Pour retrouver la situation des années 80, il faudrait augmenter que la population active atteigne d’ici 2070 46 millions de personnes ce qui signifierait un apport de près de 16 millions de personnes. A défaut d’un rebond sans précédent de la fécondité dans les prochaines années, l’apport de l’immigration constitue l’autre solution. A titre de comparaison, l’Allemagne, depuis le début des années 2010, a enregistré l’arrivée de 4 millions d’immigrés pour une population totale de 82,7 millions d’habitants.

Pourquoi est-ce oublier que, plus qu'une pure question démographique, la question est aussi celle du nombre d'actifs ? De ce point de vue là, y a-t-il un chômage plus important chez les populations immigrées ? Quel est l'effet de l'arrivée d'une population étrangère sur le chômage national par ailleurs ? 

Arnaud Lachaize : Le taux de chômage des populations immigrées extra-européennes est en effet nettement plus élevé que la moyenne, autour de 20% selon les statistiques de l’INSEE, particulièrement en France mais aussi dans une moindre mesure dans le reste de l’Europe y compris en Allemagne. Les raisons sont multiples : les problèmes linguistiques et l’absence ou l’insuffisance des qualifications ou de l’employabilité d’une partie des nouveaux arrivants.

En situation de plein emploi, les choses se présentent sûrement différemment.  La France est dans une situation différente de l’Allemagne. Son taux de fécondité est meilleur (1,9) partiellement en raison de la fécondité des populations issues de l’immigration. Son industrie est en fort déclin (1 million d’emplois détruits en 10 ans), son niveau de chômage reste massif avec 3 à 5 millions de sans emplois. Ce qui est peut-être vrai pour l’Allemagne, le besoin de recruter à l’étranger, ne l’est pas du tout pour la France. Le raisonnement à l’échelle de l’Europe n’a aucun sens compte tenu des disparités entre Etats.

On peut aussi parler de la montée de la pauvreté en France, avec 9,2 millions de personnes sous le seuil de pauvreté selon l’INSEE. Comment dans ces conditions, alors que la France ne parvient pas à offrir un travail et des conditions dignes pour ses habitants, pourrait-elle assurer correctement l’accueil des nouveaux arrivants ?

Nicolas Goetzmann : Selon une approche basique, il suffit de considérer que l’arrivée d’une population sur le territoire apporte une source potentielle de travail supplémentaire. L’offre de travail augmente, ce qui constitue en l’espèce un "choc de l’offre". Théoriquement, une telle hausse de l’offre de travail permet au pays d’accueil d’accroître son potentiel de croissance, comme tout accroissement démographique. Plus de travail, plus de consommation, l’effet est naturellement positif sur le PIB du pays d’accueil. Mais pour la population "native", cette augmentation de l’offre de travail peut s’apparenter à une plus forte concurrence sur le marché de l’emploi. Pourtant, la pratique est plus complexe, et celle-ci dépend notamment du niveau de qualification des nouveaux arrivants. 

En septembre 2014, le Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII) publiait une lettre intitulée "L’immigration en France, quelles réactions des salaires et de l'emploi ?", écrite par les économistes Anthony Edo et Farid Toubal. Ainsi, et pour la France, tout d’abord, le constat : "Les données de l’INSEE indiquent que la part des immigrés dans la population active est passée en France de 7 % en 1990 à 10 % en 2010. Cette augmentation cache de fortes disparités selon le niveau d’éducation. En vingt ans, la part des très qualifiés parmi les actifs immigrés a pratiquement triplé, de 10 % en 1990 à 28 % en 2010, tandis que celle des faiblement qualifiés a fortement reculé, de 67 % à 39 %"

Si selon les auteurs, l’immigration intra-européenne n’a que peu d’effets sur le marché de l’emploi, la situation des immigrés extra-européens est différente : "Immigrés et natifs d’un même niveau de qualification peuvent se distinguer en termes d’attentes vis-à-vis du marché du travail. En effet, si la référence des immigrés en matière de salaire et de conditions de travail est celle de leur pays d’origine (où les conditions d’emploi sont généralement moins bonnes), ils peuvent être, dans leur pays d’accueil, plus enclins que les natifs à accepter des salaires faibles et des conditions de travail difficiles. De plus, les immigrés peuvent être tenus à une forme d’"hypercorrection sociale" qui réduit leur propension à revendiquer une amélioration de leur condition"

Or, et étant donné que les salaires français sont en prise avec une forte rigidité, l’effet de cette augmentation de l’offre de travail ne va pas voir de véritables effets sur ces mêmes salaires, mais plus directement sur le taux d’emploi des natifs : "Lorsque les salaires sont rigides, l’ajustement porte sur le taux d’emploi. Nos résultats indiquent qu'une hausse de 10 % de la part des immigrés dans une classe de compétence dégrade d'environ 3 % le taux d'emploi des natifs ayant des caractéristiques individuelles similaires : âge, formation, expérience sur le marché du travail." "Les entreprises ont tendance à substituer aux natifs des immigrés lorsque ces derniers sont amenés à accepter de moins bonnes conditions d’emploi."

Cependant, de tels effets négatifs, sur les salaires ou sur l’emploi, ne sont pas une fatalité. Il appartient donc aux pays d’accueil d’adapter leur politique économique à la situation. Et c’est là que la situation particulière de l’Europe d’aujourd’hui intervient. 

Au sein même de l’Union européenne, et plus particulièrement de la zone euro, les contextes divergent. Alors que l’Allemagne est confrontée à une baisse de sa démographie, voyant ainsi sa population active diminuer dans le temps, et donc son offre de travail, l’immigration peut permettre de compenser la situation. De plus, étant donné que le pays est en situation de plein emploi, l’intégration des nouveaux arrivants sur le marché de l’emploi est largement facilitée. La situation est inversée en France. Le déséquilibre y existe déjà, et une nouvelle augmentation de l’offre, sans soutien de la demande, ne peut conduire qu’à une pression supplémentaire sur le marché de l’emploi. Bien que l’absorption d’une population étrangère, représentant quelques centièmes de la population totale, ne semble pas être en mesure de modifier la situation économique du pays, les tensions sociales pouvant naître d’une telle situation de concurrence sur le marché de l’emploi sont autrement plus problématiques. La nécessité d’une baisse du taux de chômage en est le passage obligé. Ainsi, la réponse à donner à cette situation en termes économiques est opposée entre les deux pays.

Philippe Crevel : Au sein des pays de l’OCDE, en 2018, leur taux d'emploi des immigrés est de 68,3 %, se rapprochant de celui des personnes nées dans le pays, Leur taux de chômage est passé de 9,4 % à 8,7 % entre 2017 et 2018 et assez proche de celui de l’ensemble de la population active. En France, en revanche, le taux de chômage des immigrés est de 14,6 %, soit plus de 5 points supérieurs à celui de l’ensemble de la population.

Le taux de chômage est encore plus élevé pour les enfants d’immigrés témoignant des problèmes d’insertion.

De manière générale, n'est-ce pas oublier aussi que l'intégration des populations immigrées présente un surcoût ? Et surtout que l'intégration est un défi culturel ?

Arnaud Lachaize : Maurice Allais, prix Nobel français d’économie estimait que le coût initial de l’intégration d’un immigré équivaut à quatre années de son salaire une fois employable. Les échecs de l’intégration s’expliquaient selon lui, par l’absence d’une politique ambitieuse de financement de l’accueil des populations migrantes. De fait, cette hypothèse n’a pas été sérieusement démontrée et d’ailleurs, nul n’est en mesure d’avancer des chiffres qui fassent autorité sur le coût réel de l’intégration qui varie sûrement en fonction de la personnalité des nouveaux arrivants et de leur niveau d’employabilité.

A vrai dire, le question n’est pas principalement économique, elle est d’ordre politique, culturel, identitaire. Jusqu’où une nation est-elle prête à faire une large place à des populations nouvelles qui ne partagent pas nécessairement les mêmes modes de vie, valeurs et croyances, ou conceptions de la religion ? En Allemagne, par exemple, 38% des enfants de moins de 5 ans, en 2016, avait au moins un parent immigré (rapport SOPEMI). A l’inverse, dans quelle mesure les populations migrantes ,globalement, sont-elles déterminées à s’adapter à la culture du pays d’accueil ? Une étude réalisée en 2016 par la fondation Concorde établissait que 24% des Musulmans vivant en France ne se reconnaissaient pas dans les valeurs de ce pays. Derrière l’objectif du « vivre ensemble », les différences de culture sur lesquelles viennent se greffer les phénomènes de fragmentation urbaine – les cités ghettos – l’échec scolaire, le chômage massif, une violence endémique qui ronge ces quartiers à forte densité de populations issues de l’immigration. Ces phénomènes risquent de se traduire, sur le long terme, par une poussée massive du vote anti-immigration dans toute l’Europe, y compris en Allemagne. M. Delevoye se trompe lourdement. Il faut traiter cette question autrement que par le seul biais de l’économie. 

Philippe Crevel : De nombreuses études soulignent que l’apport de revenus générés par les immigrés par leur travail est supérieur aux coûts. Le travail des immigrés donne lieu à cotisations sociales et à impôt. Certes, les prestations sociales représentent une part non négligeable des revenus des immigrés, autour de 25 % mais ce poids est la conséquence des faibles revenus. Il est identique pour les résidents français ayant des revenus équivalents.

La France connait un déficit d’actifs dans certains secteurs, services de proximité, restauration, hôtellerie, informatique. Dans la restauration et l’hôtellerie, l’économie française est confrontée à de nombreux emplois vacants. Les professionnels de ces secteurs recourent fortement à l’emploi immigré ou aux travailleurs détachés. Pour l‘informatique, la question de la formation est fondamentale. Au-delà de l’adéquation entre offre et demande de travail, la problématique de l’insertion et de l’acceptabilité des immigrés se pose en France comme ailleurs.

Chaque vague d’immigrés a généré, en France, des tensions. Des pogroms à l’encontre d’Italiens ont eu lieu en France à plusieurs reprises avant la Première Guerre mondiale (notamment massacre des Italiens d'Aigues-Mortes est une suite d'événements survenus les 16 et 17 août 1893, à Aigues-Mortes). La vague actuelle est rapide et concerne des personnes ayant des cultures plus éloignées qu’auparavant de la culture nationale.

Le système éducatif français qui visait à former une élite a été ébranlé par la massification de l’enseignement. Censé être la clef de voute du creuset républicain, il est à la peine face à des enfants aux références diverses. La disparition des corps intermédiaires traditionnels et les difficultés rencontrées par les forces de l’ordre d’assurer le respect des lois au sein des banlieues contribuent à la communautarisation et à la marginalisation d’une partie de la population.

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