Atlantici Litterati
François Baroin : la voix et le chemin
François Baroin publie "Une histoire sentimentale : notre République par les villages et les villes" aux éditions Albin Michel. Annick Geille revient sur cet ouvrage.
Annick Geille
Annick GEILLE est écrivain, critique littéraire et journaliste. Auteure de onze romans, dont "Un amour de Sagan" -publié jusqu’en Chine- autofiction qui relate sa vie entre Françoise Sagan et Bernard Frank, elle publia un essai sur les métamorphoses des hommes après le féminisme : « Le Nouvel Homme » (Lattès). Sélectionnée Goncourt et distinguée par le prix du Premier Roman pour « Portrait d’un amour coupable » (Grasset), elle obtint ensuite le "Prix Alfred Née" de l'Académie française pour « Une femme amoureuse » (Grasset/Le Livre de Poche).
Elle fonda et dirigea vingt années durant divers hebdomadaires et mensuels pour le groupe « Hachette- Filipacchi- Media » - tels le mensuel Playboy-France, l’hebdomadaire Pariscope et « F Magazine, »- mensuel féministe racheté au groupe Servan-Schreiber, qu’Annick Geille reformula et dirigea cinq ans, aux côtés de Robert Doisneau, qui réalisait toutes les photos. Après avoir travaillé trois ans au Figaro- Littéraire aux côtés d’Angelo Rinaldi, de l’Académie Française, elle dirigea "La Sélection des meilleurs livres de la période" pour le « Magazine des Livres », qui devint Le Salon Littéraire en ligne-, tout en rédigeant chaque mois une critique littéraire pour le mensuel -papier "Service Littéraire".
Annick Geille remet depuis quelques années à Atlantico -premier quotidien en ligne de France-une chronique vouée à la littérature et à ceux qui la font : « Litterati ».
François Baroin aime la littérature. Après « Journal de crise » (Lattès 2012 ) - la catastrophe des subprimes, par le patron de Bercy qu’était alors l’auteur ; puis, « Un chemin français » ( Lattès, 2017), entre autres essais, le maire de Troyes (réélu dès le premier tour depuis 1995), président de l’Association des maires de France publie aujourd'hui « Une histoire sentimentale » ( Albin-Michel) . Une déclaration d’amour à la France des territoires, des villes et régions fières d’être ce qu’elle sont, en leurs signes particuliers. En parcourant les bourgades de nos pères, François Baroin construit l’histoire et la géographie de la République, non pas à partir de ces ors et palais, mais par le terroir. « Ce n'est pas l'État qui a créé nos symboles, mais chacun d’entre nous », affirme l’auteur ; « venus de tous ces horizons qui les ont forgés, ces Français ordinaires donnent chaque jour du sens à notre République ». Alors que s’aggrave partout la fracture territoriale, et que la centralisation parvient en France à son paroxisme, François Baroin ne croit qu’en ces élus « qui composent notre humanité républicaine ». Il dresse le bilan de ces initiatives locales, qui « font non seulement progresser les territoires concernés, mais notre pays tout entier ». Un essai fervent, aimant, brillant, rédigé sans « nègre » mais avec cette générosité qui, d’après Camus, est toujours l’apanage de l’intelligence.
François Baroin voit dans la France d’aujourd’hui la patrie de tous ces lieux « pétris de beauté et d’harmonie ». La terre à nulle autre pareille des villages de nos pères. Nos racines, nos usages, en somme. La République s’incarne à la Mairie, par le buste de Marianne. Or, constate l’auteur, dès ses premières pages : « notre pays connaît une déchirure terrible entre la nation et ses territoires »… Pour François Baroin, ex benjamin du politique parvenu à imposer, avec une subtilité et une efficacité redoutables cette figure assez spectaculaire - de l’homme providentiel, la patrie, c’est l’espoir jailli de cette terre qui forme notre terroir ; ces villages et villes de province forment dans nos inconscients collectifs cette France du paysage et des coutumes de jadis et naguère, celle de toujours, en somme car François Baroin est un conservateur extrêmement adroit.« Nous savons ce que nous sommes, mais ne savons pas ce que nous pouvons être », rappelle Shakespeare dans « Hamlet » (1603). Sauf si nous sommes animés par une nécessité intérieure, qui lorsqu’elle advient, laisse entrevoir à celui -ou celle- qui a cette chance, un pouvoir de transformation. Chez quelqu’un comme François Baroin, par exemple, l’on ne comprendrait rien à ce Prince qu’il est aujourd’hui- sa clairvoyance, l’astuce, la connivence avec les siens - si l’on oubliait l’omniprésence, fondamentale chez François Baroin, de la figure du père. Homme d’honneur, d’affaires et de devoir, patron du Grand Orient de France, gentilhomme franco-français lecteur de Montaigne et, entre autres, du Cardinal de Retz ( « la fausse gloire et la fausse modestie sont les deux écueils que la plupart de ceux qui ont écrit leur propre vie n’ont pu éviter »), écrivain lui -même, Michel Baroin incarne le surmoi de François Baroin. La mort accidentelle de ce père tant aimé aurait pu tuer dans l’œuf chez le fils prodige- qui lui ressemblait tant - toute évolution vers la grâce et la révélation de soi-même, si Jacques Chirac n’avait pris l’orphelin sous son aile ; évitant ainsi à François Baroin de devenir le veuf de tout, tel que le peint José- Maria de Heredia : (« Je suis le ténébreux, le veuf, l’inconsolé, le Prince d’Aquitaine à la tour abolie, ma seule étoile est morte et mon luth constellé porte le soleil noir »… etc.. ») Jacques Chirac sauva le désir d’avenir de son protégé, et le sauva tout court, lui montrant le chemin. Ce fut la chance de François Baroin de pouvoir continuer d’écouter son désir, et de désirer un destin.
Ce n’est pas un hasard si la voix de François Baroin- à nouveau privé de la figure du Père avec la mort de Chirac, mais qui n’a plus besoin de tuteur- témoigne de sa victoire sur le sort et sur la mort des siens ( sa sœur périt sous ses yeux d’ un accident)… La voix de François Baroin est son signe particulier, sa chance. »Une voix dans le fracas du monde », dirait -encore- Camus. Dès qu’on entend Baroin, on se met à écouter. Il y a dans ce vibrato singulier, cette tessiture distinguée mais sans chichis, des accents de vérité, de bonté vraie, pas mal de second degré, et surtout, via ces victoires sur le sort que je viens d’évoquer, une vérité. Un supplément d’âme ; cette voix particulière, un peu voilée -si bien que l’entendant sur n’importe quelle radio, sur n’importe quel plateau, nous l’attribuons immédiatement à son propriétaire-, est devenue une sorte de signature. Les Français la reconnaissent aussitôt. En littérature, c’est la même chose : sans voix, point de salut. Il y a des milliers d’auteurs ( biographes, essayistes, etc..) et peu d’écrivains. En politique, il est des milliers élus, mais peu d’aimés. Ce pourquoi , pour François Baroin, le timbre précède le sens mais l’appelle, car le maire de Troyes, avec une telle voix, est forcément un homme d’honneur donc de cœur. En règle générale, la voix est un marqueur. Le rire aussi. Chez François Baroin, ce timbre indique le succès, l’on ne sait quand ni comment, mais le succès. Baroin aujourd’hui ? Le chemin et la voix.
Les pires ennemies d’un auteur à succès sont parfois ses attachées de presse ( « les détachées de presse », selon un ami). Jamais je n’ai pu obtenir auprès du service de presse de François Baroin le moindre exemplaire d’ « Une histoire sentimentale ». Ces « détachées de presse », avaient-elles un jour ouvert Atlantico, pour découvrir -peut- être ?- un article pas assez enthousiaste à leurs yeux ? Pensaient-elles alors, que tous les articles consacrés à François Baroin dans Atlantico seraient toujours un peu tièdes ? Les détachées de presse, en général ignorent tout des journaux et de ceux qui les font. Quoi qu’il en fût, personne ne rappelait, j’étais tricarde et le temps commençait à me manquer : je devais rendre mon papier. Je décidais donc de partir dans Paris à la recherche d’un exemplaire d’une « Histoire sentimentale ». Grelottant dans la nuit de novembre, je me rendis dans toutes les librairies ouvertes jusqu’à minuit. Las ! Partout, j’étais refoulée. L’ouvrage de François Baroin était partout épuisé. Voilà qui devrait amuser mon voisin de colonnes, Benoît Rayski, que je lis toujours avec délectation.
Le lendemain, chez Cagliardini, rue de Rivoli -tout près du salon de thé Angelina, devant lequel la file d’attente semblait plus étirée et patiente que jamais -je pus -enfin me procurer « Une histoire sentimentale » : il s’agissait du dernier exemplaire. (avis aux –excellents- commerciaux d’Albin-Michel).
Je commençai ma lecture dans le taxi du retour. L’auteur avait gagné. Grand charme, phrases bien rythmées. La première page de François Baroin était consacrée à… Michel Baroin (+). « J’avais quitté Paris pour le Morvan. Cela faisait des années que je n’étais pas retourné voir le village de mon père. Le Morvan et son entrelacs de petites routes qui se cachent si bien entre les haies des champs encre préservées et les forets lui donnait cette fraicheur en été. » Baroin est comme son père, un écrivain. » C’est ce jour-là qu’une évidence m’a frappé. Cette culture diffuse : chacun d’entre nous connaît son terroir et sait en parler ». Le conducteur me demanda ce que je lisais avec tant de passion, puis déclara que « Baroin était un type bien ». En couverture de l’ouvrage que se disputaient les parisiens, et qui résume le propos de François Baroin : un détail de « La Liberté guidant le peuple » (cf. Delacroix), plus un aperçu de l’un des plus beaux villages de France :Candes-Saint-Martin. Bien vu, en effet.
Le titre conforte l’impression flatteuse de l’ensemble. Cette histoire « sentimentale », c’est l’amour qui lie Baroin à sa patrie, vue non pas d’en haut et de loin, mais au ras des champs, des chemins, des oliviers centenaires et autres villages et hameaux. La France de tous et de chacun. Belle idée que cette sentimentalité qui s’affiche alors que les sentiments sont jugés dégoûtants, obscènes, ce qu’avait prévu Roland Barthes. « Il faut recoudre le lien entre la République et les territoires », me disait l’auteur à l’oreille, pendant que je réglai la course, ravie, cette fois encore, d’aller travailler.
"Une histoire sentimentale, notre République par les villages et les villes" par François Baroin, Albin-Michel, 270 pages, 19,90 euros
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