



Les Misérables : et si Emmanuel Macron permettait enfin aux banlieues d’être libérales
Atlantico : Qu’est ce que cela dit du gouvernement Macron?
Eric Verhaeghe : La réaction que l'on prête à Emmanuel Macron à l'issue de la projection privée des Misérables en dit long sur sa rupture avec le réel des Français, avec la réalité que la communauté nationale partage. On peine d'ailleurs à croire à un tel décrochage. On se demande si le confidentiel publié par le Journal du Dimanche n'est pas l'œuvre d'un conseiller zélé qui s'est pris les pieds dans le tapis. Telle qu'elle est présentée, l'histoire laisse entendre que le gouvernement était réuni au grand complet lors de cette projection, comme le Roi et sa Cour pouvait se réunir pour entendre un prêche. A l'issue de ce moment, le Président aurait demandé aux ministres d'améliorer le sort des Français. Mais on sort d'un plan pour la Seine-Saint-Denis, et le Président a enterré l'an dernier le plan Borloo pour les banlieues. On a l'impression que Macron a renoncé ici à la politique et ne pense plus la question des banlieues qu'en termes de bons sentiments et de charité.
C'est évidemment hallucinant. D'abord parce qu'on en ressort avec la conviction qu'aucun décideur public ne quitte les beaux quartiers et ne sait réellement ce qu'est la vie des Français les plus déshérités ou les plus exposés à l'insécurité. Les élites vivent dans une sorte d'apartheid et snobent ce qui se passe dans les ghettos. Ensuite, parce qu'on comprend que ces élites mondialisées qui nous dirigent n'ont aucune vision politique. Elles agissent au petit bonheur la chance dès lors qu'il s'agit de penser les biens communs. En réalité, elles ne roulent que pour elles-mêmes et pour leur propre prospérité, sans se préoccuper d'embarquer tous les Français dans le même projet.
Faut-il libéraliser les banlieues? Faire marcher les services publics?
De mon point de vue, il y a une urgence, dans les banlieues, qui est de rétablir l'égalité des chances. Chaque petit banlieusard, quelle que soit sa couleur, doit avoir un bâton de maréchal ou de milliardaire dans son cartable. Il est essentiel que les petits gars de banlieue se disent que, en faisant des efforts, en travaillant, en persévérant, ils auront un meilleur sort qu'en dealant ou en attendant des prestations sociales. Pour y parvenir, il faut un choc systémique sur la façon dont nous pensons l'action publique dans ces quartiers.
D'une part, il faut y déployer un véritable effort d'éducation et d'instruction. L'école publique, avec son incapacité à adapter ses vieux schémas aux besoins de la société, est disqualifiée pour assumer cette mission. La banlieue devrait être l'espace d'expérimentation des chèques scolaires. Il faut verser à chaque famille un chèque annuel équivalent à la subvention moyenne accordée à un enfant parisien des beaux quartiers parisiens dans les écoles publiques. Ce chèque ne doit pouvoir être utilisé que pour payer l'école que chaque famille pourra choisir librement. Si les parents des quartiers difficiles veulent continuer à envoyer leurs enfants dans des écoles publiques, ils doivent pouvoir le faire. Mais le chèque scolaire doit leur permettre d'envoyer leurs enfants dans des écoles privées hors contrat qui donne une chance à leurs enfants, notamment dans des écoles privées hors contrat. Ces écoles doivent être encadrées par une régulation vérifiant qu'elles ne dispensent pas d'enseignement islamiste.
Ensuite, il faut que l'Etat, dans ces quartiers, garantisse effectivement le fonctionnement du marché… en commençant par faire respecter l'ordre et en démantelant sans état d'âme et sans atermoiement les mafias qui s'y constituent.
Les banlieues veulent-elles être libéralisées? Le Président français adopte-t-il la bonne méthode présentement?
La particularité de la situation est que les banlieues, tout le monde en parle, mais personne ne leur donne jamais la parole. Il est donc difficile de savoir aujourd'hui ce que les banlieues veulent. En revanche, on peut penser que les banlieues constatent au jour le jour combien l'Etat est un mauvais tuteur. D'une part, l'Etat n'a jamais "équipé" les banlieues de services publics au même niveau que les autres quartiers. D'autre part, l'intervention publique dans les banlieues est souvent misérable. Les ascenseurs des logements sociaux tombent en panne. Les locaux sont mal entretenus, abandonnés aux gangs et aux bandes. Les associations supposées faire du lien social sont financées d'après leur degré de copinage avec les pouvoirs publics.
Il serait évidemment salutaire de laisser s'y développer une initiative privée qui ne serait pas sous contrôle permanent des pouvoirs publics "protecteurs" auto-proclamé des petites gens. Les banlieues regorgent de talent qui ne demandent qu'à s'exprimer. Encore faut-il abandonner le mythe de la protection et de l'infantilisation anthropologique du banlieusard. Les élites parlent des banlieues aujourd'hui comme elles parlaient des colonies il y a cent ans. Il faut sortir de cette condescendance et donner de l'air aux banlieues.