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Comment la momie de Ramsès II a bénéficié d'une "seconde jeunesse" grâce à une exposition organisée à Paris en 1976
©KHALED DESOUKI / AFP

Bonnes feuilles

Robert Solé publie "La grande aventure de l’Egyptologie" chez Perrin. De 1798 à 1801, les savants et artistes emmenés par Bonaparte passent la vallée du Nil au peigne fin. La publication de leur monumentale Description de l'Égypte relancera l'égyptomanie dans toute l'Europe. Extrait 2/2.

Robert Solé

Robert Solé

Né au Caire, longtemps journaliste au Monde, chroniqueur à l'hebdomadaire Le 1, Robert Solé a consacré de nombreux essais à son pays d'origine. Unanimement salué par la critique, son Sadate a reçu le prix de la biographie de la ville d'Hossegor. Robert Solé est également l'auteur de sept romans au Seuil, dont Le Tarbouche et Les Méandres du Nil.

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En 1976, une grande exposition doit être consacrée à Ramsès II à Paris. La momie du célèbre pharaon ne pourrait-elle pas en faire partie ? Avant de présenter une demande à l’État égyptien, Christiane Desroches Noblecourt, conservatrice en chef du département des Antiquités égyptiennes du Louvre, veut s’assurer de la faisabilité d’un tel projet. Car l’on sait, depuis les premières photographies réalisées en 1912 au musée du Caire, que le bouclier abdominal de la momie est fissuré en plusieurs endroits. 

Ramsès II ne repose plus dans le sarcophage où il avait été trouvé en 1881, mais dans un cercueil moderne en chêne clair, fermé d’un couvercle en verre. Son visage émerge des linceuls de lin qui le recouvrent. Les spécialistes français dépêchés au Caire, autorisés à examiner la momie, constatent que le squelette se tient bien : lorsque l’on soulève l’un des pieds du pharaon, sa tête bascule, et si l’on soulève légèrement celle-ci, la momie pivote sur les talons. Mais les fissures du bouclier résineux se sont accentuées au fil des décennies. Leur origine remonte probablement au transfert de la momie dans un sarcophage qui n’était pas le sien. Le second transfert, dans un cercueil de chêne, n’aurait fait qu’aggraver les choses, d’autant que Ramsès II est resté en position verticale pendant un certain temps. 

Il n’est pas question de l’exposer à Paris dans cet état. Des travaux de consolidation sont jugés aussi urgents que nécessaires. Il faudrait stabiliser la tête, réhydrater le cou, soutenir le thorax, renforcer l’épaule gauche par de la résine et faire des injections spéciales à l’épaule droite, car la clavicule s’est décrochée du sternum et l’humérus a percé l’épiderme. Les spécialistes recommandent aussi une reconstitution de la région stomacale en matière plastique, des piqûres de silicone pour durcir les jambes et des micropulvérisations de polymère pour renforcer les articulations des hanches… Mais le plus important n’est pas là : dès qu’on soulève le couvercle du cercueil, une odeur suspecte s’en dégage, comme celle d’un vieux sac de cuir qui aurait séjourné dans une cave humide. Cela signifie qu’une faune bactérienne est présente, et il faut l’enrayer au plus vite. 

L’Égypte ne disposant pas de tous les équipements nécessaires, les Français proposent de soigner Ramsès II à Paris. Une demande officielle est présentée par le président Valéry Giscard d’Estaing à son homologue Anouar al-Sadate. Paris doit ménager les susceptibilités égyptiennes, car la crise de Suez, survenue vingt ans plus tôt, a laissé des traces malgré le rétablissement des relations diplomatiques entre les deux pays. La France a payé très cher sa participation, aux côtés de la Grande-Bretagne et d’Israël, à cette désastreuse équipée militaire destinée à reprendre par la force la Compagnie universelle du canal de Suez nationalisée par Nasser. La plupart de ses ressortissants avaient été expulsés d’Égypte et ses lycées saisis ; même le prestigieux Institut français d’archéologie orientale avait été à deux doigts de devoir fermer ses portes… 

Sadate donne son accord à Giscard d’Estaing, malgré les réticences des responsables des Antiquités et du musée, auxquelles font écho les commentaires désobligeants de plusieurs journaux anglosaxons qui accusent la France d’avoir inventé une maladie diplomatique pour parvenir à ses fins. Un protocole des travaux est élaboré. Les chercheurs bénéficieront de l’assistance financière de la société Elf-Erap, très engagée dans des activités pétrolières en Égypte, ainsi que du concours gracieux de plusieurs entreprises privées comme Kodak-Pathé, L’Oréal et Rank Xerox.

Accueilli par la garde républicaine

Ramsès II, premier pharaon à prendre l’avion, est embarqué à bord d’un Transall de l’armée de l’air française, le 26 septembre 1976 2. Il est accueilli quelques heures plus tard à l’aéroport du Bourget par un détachement de la garde républicaine, comme un chef d’État en exercice. Puis il est conduit au musée de l’Homme, place du Trocadéro, où un laboratoire spécial a été aménagé à son intention. Petite fantaisie, un détour un organisé par la place de la Concorde pour permettre au pharaon de retrouver « son » obélisque, érigé en plein cœur de Paris. 

Quarante-cinq études multidisciplinaires, réunissant une centaine de chercheurs et techniciens, sont prévues, sous la direction de Lionel Balout, administrateur du musée de l’Homme, et sous la surveillance de Chawqi Nakhla, docteur en physique, délégué par le gouvernement égyptien. Le temps n’est plus aux techniques invasives : sur la momie, il faut se contenter de ponctions indispensables, en de très petits volumes. Les prélèvements – une quarantaine – sont scellés dans des sacs en plastique pour être livrés aux différents laboratoires. 

Nous sommes en 1976, et le scanner n’existe pas encore. On utilisera la radiographie, l’endoscopie (un tube optique muni d’un système d’éclairage), la xérographie (une technique d’observation qui accentue le contraste des détails) et la chromodensitographie (qui permet de révéler les variations de densité des structures). 

L’étude commence par le squelette. Elle se poursuivra par les parties molles de la momie, durcies par les produits d’embaumement dont elles sont souvent indissociables. Les organes génitaux externes sont manquants. Séthi Ier, le père de Ramsès II, avait également subi cette émasculation rituelle dont la signification n’est pas établie. Le pénis et les testicules ont dû être bandelettés à part et conservés dans une statuette d’Osiris. 

Un examen dentaire indique que le défunt avait aux alentours de 80 ans. Ramsès II ayant régné soixante-sept ans selon les documents dont on dispose, cela voudrait dire qu’il est monté très jeune sur le trône. Les chirurgiens-dentistes constatent que le pharaon avait de nombreuses caries, souvent compliquées de lésions osseuses. À la fin de sa vie, il souffrait d’une destruction progressive et irréversible de l’ensemble des éléments qui assuraient la fixation et le soutien de ses dents. Mais il n’y a aucune trace de prothèse ou de soins dentaires tels que nous les concevons aujourd’hui. 

Le pharaon était atteint d’autres maux, habituels chez une personne de cet âge : des troubles vasculaires, notamment une calcification des artères iliaques et fémorales, ainsi que des troubles articulaires. À la fin de sa vie, Ramsès II devait marcher difficilement et être courbé en avant : il ne pouvait redresser la tête pour regarder au loin. Ce constat amène les chercheurs à conclure qu’il était impossible d’étendre normalement le cadavre du pharaon sur la table de momification. Les embaumeurs avaient certainement fracturé post mortem des vertèbres cervicales. 

Les cils du défunt ont disparu, ses sourcils blancs se distinguent à peine. La chevelure, en revanche, est impressionnante, même si le front et le haut du crâne sont dégarnis : Ramsès II, qui avait atteint un stade avancé de calvitie, possédait à sa mort des mèches jaunâtres de 6 à 10 cm de longueur, faiblement ondulées. Les chercheurs n’ont pas le droit d’en couper une seule : pour leurs analyses, ils doivent se contenter de fragments tombés sur la pièce de lin où repose la tête du pharaon. 

Si les cheveux de Ramsès II sont fragiles, leur morphologie est intacte, et la kératine bien conservée. Dans le procès-verbal du 1er juin 1886, Gaston Maspero affirmait que les cheveux, « blancs au moment de la mort, ont été teints en jaune clair par les parfums ». Or, sous le microscope des limiers de l’Identité judiciaire, ils apparaissent de plusieurs couleurs : roux, blancs et jaunâtres. Auraient-ils été teints au henné à la fin de la momification ? 

L’hypothèse que Ramsès II était roux « semble la plus probable », estiment les chercheurs. Cette conclusion prudente enthousiasme Christiane Desroches Noblecourt : elle rappelle que dans l’Égypte ancienne, ceux qui avaient le malheur d’être roux passaient pour les compagnons diaboliques du dieu Seth. Ce qui pourrait expliquer, selon elle, « les choix et l’attitude provocante » de Ramsès II…

Un traitement aux rayons gamma

Le plus urgent est de déceler les causes de la dégradation biologique de la momie. Des insectes ou des acariens y sont-ils pour quelque chose ? Des fragments de tissu, des poussières et des débris placés en incubation pendant quatorze jours ne permettent de constater aucune trace d’arthropodes. 

La momie n’est pas victime de moisissures, mais de champignons, estime un jeune chercheur égyptien, Jean Mouchacca, qui prépare au Muséum d’histoire naturelle une thèse sur la flore mycologique de son pays. Associé aux travaux, il isole 400 souches, parmi lesquelles 397 moisissures et 3 champignons. Ce sont ces derniers qui apparaissent les plus destructeurs. L’attention du jeune chercheur se concentre sur l’un d’eux, d’un genre très particulier, dont la croissance a été nettement plus importante que celle des deux autres et qu’il a fini par supplanter. Ce champignon inédit en Égypte s’appelle Daedalea biennis. Extrêmement virulent, il est capable de dégrader les substances organiques de la momie, mais aussi de s’étendre à toutes les momies royales conservées au musée du Caire. 

Là-bas, en effet, toutes les conditions étaient réunies pour favoriser une vie microbienne. Une forte luminosité ainsi que des variations de température et d’humidité auraient provoqué une dissolution des sels et des substances colorantes utilisés lors de l’embaumement. Le phénomène aurait été suivi d’une concentration et d’une recristallisation des solutions, pour produire les taches – blanches, vertes ou noirâtres – qu’on remarque sur le corps du pharaon. Les champignons adorent la cellulose. L’un d’eux s’est sans doute attaqué aux bandelettes de lin. Il a pu ensuite se développer dans la cavité abdominale, avant de sortir à l’extérieur pour fabriquer son fruit. 

Ramsès II a bien été victime d’une « maladie de musée », estiment les chercheurs. Même si la momification ne s’était pas déroulée dans des conditions d’asepsie totale, l’emploi de la résine d’embaumement brûlante, ultérieurement solidifiée, était de nature à empêcher une activité microbienne. De plus, la momie a été protégée par sa présence en Haute-Égypte, dans un climat très sec, sans contact direct avec l’atmosphère. C’est par la suite, après son transfert au Caire, ses différents déplacements, et en raison de l’activité des insectes, qu’elle a dû être infectée. Déjà, du temps de Maspero, on aspergeait d’insecticide les pharaons du musée du Caire, qui semblaient être attaqués par des vrillettes ou des mites. Ces dernières avaient la réputation de détruire les momies comme les oiseaux empaillés… 

Pour guérir Ramsès II, trois traitements sont envisageables : par le froid, par le chaud ou par radiostérilisation. Le froid est utilisé depuis longtemps en Occident pour lutter contre les insectes. Un laboratoire américain a d’ailleurs proposé ses services au musée de l’Homme. Mais la momie supporterait-elle un tel traitement ? Ne risque-t-on pas d’altérer davantage son manteau résineux ? 

La chaleur pose d’autres problèmes. Le musée de l’Homme est bien équipé pour la désinfection au gaz, et il a été démontré que l’oxyde d’éthylène a un effet insecticide, bactéricide et fongicide sans endommager le papier, le parchemin ou les colorants. Mais, pour qu’il pénètre dans le matériau malade, un traitement sous vide s’imposerait, qui pourrait avoir des conséquences néfastes. Et la chaleur risquerait d’abîmer gravement certains composants de la momie, comme les résines. 

Reste la troisième solution : l’irradiation. Dès qu’il a été prononcé, le mot a fait frémir tout le monde. Sous l’effet d’un tel traitement, Ramsès II deviendrait-il radioactif ? 

Des ingénieurs du Commissariat à l’énergie atomique, qui a proposé sa collaboration au musée de l’Homme, expliquent aux égyptologues que les rayons gamma sont analogues à la lumière ou aux rayons X : ils ont un grand pouvoir de pénétration, sans induire pour autant de la radioactivité dans l’objet traité. Ne les utilise-t-on pas depuis un certain temps pour préserver des denrées alimentaires ou stériliser des appareils médicaux ? Ils permettent aussi de conserver ou de restaurer des objets anciens très dégradés : de la pierre et du bois, mais également des tissus, des cuirs ou des parchemins. Des bois antiques, gorgés d’eau, partent en poussière une fois séchés. On les imprègne d’une résine qui se solidifie sous l’effet des rayons gamma dans toute l’épaisseur de l’objet, et ils peuvent être travaillés comme du bois dur. La matière consolidée gagne du poids, mais son aspect extérieur est inchangé. Dans le cas de la momie, il ne s’agit pas de durcir, mais seulement de désinfecter, ce qui demanderait des rayons gamma moins intenses. Sachant que l’un des avantages de l’irradiation au cobalt 60 est de pouvoir se faire à travers un emballage, en évitant les manipulations. 

Mais jamais une momie n’a été traitée aux rayons gamma ! La chevelure de Ramsès II préoccupe particulièrement les responsables. Ils savent que l’irradiation peut modifier la couleur des pigments, mais aussi provoquer une dépilation temporaire ou définitive du cuir chevelu. Prendra-t-on le risque de renvoyer au Caire un Ramsès chauve ? S’il existe de nombreuses études sur l’irradiation de cheveux vivants, on n’en possède aucune sur celle d’un cadavre, et certainement pas sur un cadavre vieux de trente-trois siècles. 

On va s’assurer de l’efficacité du traitement et de son innocuité sur des fragments de la momie déjà recueillis (notamment des cheveux). Mais on testera également l’irradiation sur des éléments prélevés sur des cadavres récents : peau, foie, poumons, rein, rate, cœur, utérus, vertèbres cervicales… et sur trois momies de bien moindre importance qui se trouvent en France et qui serviront de cobayes. Toutes les expérimentations conduites par les différentes équipes aboutissent aux mêmes conclusions : les rayons gamma permettent de détruire complètement les champignons ; ils ne modifient en rien la structure ou l’aspect des éléments momifiés, pas plus qu’ils n’affectent les bandelettes de lin. 

La radiostérilisation est donc décidée. Mais, avant cette opération, il faut restaurer la momie et son sarcophage. On doit consolider la paroi abdominale, obturer les fissures du bouclier résineux, puis refaire le bandelettage. Parallèlement, le cercueil dans lequel la dépouille de Ramsès II avait été trouvée en 1881 sera restauré. Le sarcophage n’aura cependant pas son couvercle d’origine, mais une vitrine transparente en Altuglas. 

La stérilisation est réalisée le 9 mai 1977 au Commissariat à l’énergie atomique, à Saclay (Essonne). L’irradiation au cobalt 60 dure douze heures et quarante minutes. Elle doit assurer une protection définitive à la momie et à son sarcophage, maintenus dans une atmosphère stérile grâce à un emballage étanche. 

Le lendemain, Ramsès II est conduit à l’aéroport du Bourget, où l’attendent plusieurs personnalités ainsi qu’un détachement de la garde républicaine. Et il regagne Le Caire, guéri.

Extrait du livre de Robert Solé, "La grande aventure de l’Egyptologie", publié chez Perrin. 

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