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Emmanuel Macron en passe d’entériner la victoire posthume des Gilets jaunes
©KENZO TRIBOUILLARD / AFP

Mesures fortes ?

Le président de la République Emmanuel Macron a dévoilé que des mesures fortes allaient être annoncées par Edouard Philippe afin de répondre à la crise de l'hôpital. La partie active de son mandat est-elle déjà achevée alors que les Gilets jaunes vont "célébrer" leur anniversaire et que le mois de décembre s'annonce délicat sur le plan social ?

Luc Rouban

Luc Rouban

Luc Rouban est directeur de recherches au CNRS et travaille au Cevipof depuis 1996 et à Sciences Po depuis 1987.

Il est l'auteur de La fonction publique en débat (Documentation française, 2014), Quel avenir pour la fonction publique ? (Documentation française, 2017), La démocratie représentative est-elle en crise ? (Documentation française, 2018) et Le paradoxe du macronisme (Les Presses de Sciences po, 2018) et La matière noire de la démocratie (Les Presses de Sciences Po, 2019), "Quel avenir pour les maires ?" à la Documentation française (2020). Il a publié en 2022 Les raisons de la défiance aux Presses de Sciences Po. 

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Emmanuel Macron a annoncé hier que des réponses seraient apportées à la crise de l'hôpital à l'issue du conseil des ministres de la semaine prochaine. Démontre-t-il par là que la partie active de son quinquennat est définitivement achevée ?

Atlantico.fr : Evoquant la crise de l'hôpital, Emmanuel Macron a rappelé qu'il héritait d'une situation qu'il n'avait pas provoqué :  "Nous en héritons. Elle est le résultat d'années et d'années de mise sous tension [...]". Êtes-vous d'accord avec ce constat du Président de la République ? Hérite-t-il plus généralement de toute la situation sociale actuelle ? 

Luc Rouban : Il est clair que ces crises ont des racines profondes. Elles ont une bonne vingtaine d'années. La situation difficile de l'hôpital public, des enseignants, des policiers, des pompiers, par exemple quand ils interviennent dans les quartiers ; la situation aussi compliquée des militaires, toutes ces crises ne sont pas récentes. C'est un fond bien connu de tous les spécialistes et de tous les experts depuis des années. Maintenant ces crises arrivent à maturité avec le macronisme. Quoiqu'il en dise, Emmanuel Macron s'est inscrit, au moins dans le discours, dans une logique de réforme néolibérale, qui consiste en des réductions de coûts et en prenant en compte un point de vue macro en premier lieu. Il a donc parfaitement raison de dire qu'il fait face à la cristallisation et l'exaspération d'un certain nombre de crises qui sont là depuis très longtemps. 

Nous sommes dans un moment particulier. Pour mener des réformes de la fonction publique, il aurait fallu qu'il y ait des critiques formulées à l'égard de tous les fonctionnaires. Or les Français placent encore leur confiance dans l'hôpital public, dans la police, dans l'armée, bref dans tous les services publics qui assurent leur sécurité ou les soignent. On a vu réapparaître une défense du service public dans l'opinion, au moment même où les réformes d'Emmanuel Macron commencent à fournir des résultats (il faut quand même du temps pour que ces résultats soient observables). 

Le deuxième point, c'est qu'il y a une perception des contraintes fortes que certaines réformes vont faire peser. La réforme des retraites est censée, en quelque sorte, indifférencier secteur public et secteur privé. Il y a donc des tensions interprofessionnels très fortes. Car c'est une réforme qui va satisfaire les hauts fonctionnaires, mais c'est loin d'être le cas pour les enseignants par exemple. Sur le fond, la question qui se pose, c'est qu'on ne sait pas où l'on va. On ne voit pas trop le plan d'ensemble : s'agit-il de moderniser l'Etat-Providence ? S'agit-il vraiment de l'abandonner ? Il y a une incertitude sur le devenir de l'Etat et sur le modèle social que le Président est en train de proposer. Beaucoup de fonctionnaires, et pas seulement eux, sont en train de se demander ce que veut le Président. 

Les gilets jaunes fêteront leur premier anniversaire le 17 novembre, et l'on promet dans le même temps un mois de décembre "chaud" sur le plan social au Président de la République. Est-ce qu'il n'y a pas eu aussi, dans l'attitude d'Emmanuel Macron, quelque chose de contraire à ce que les Français attendaient, c'est à dire de la considération, ce qui l'empêcherait aujourd'hui de mener à bien une quelconque réforme ? 

Luc Rouban : Il y a deux réflexions à mener. D'abord, à travers les gilets jaunes, et la crise aujourd'hui de la fonction publique, s'exprime quelque chose qui n'est pas seulement de l'ordre de la revendication salariale. Le vrai problème, c'est un sentiment d'être abandonné. Vous avez ce sentiment chez les fonctionnaires qui sont de vrais professionnels (les pompiers, les enseignants, etc.) et qui ont le sentiment de ne pas avoir de moyens pour faire leur métier. Il y a un sentiment global de dépossession, de dévalorisation et de non-reconnaissance. 

Ensuite, il faut ajouter que tout ce qui se passe, c'est une conséquence directe du mouvement des gilets jaunes et de l'image que cela a donné du Président. L'une des grandes leçons du mouvement des gilets jaunes, c'est qu'il suffit de se mobiliser et de durcir les mouvements pour obtenir quelque chose. Le fait qu'Emmanuel Macron ait laché une première fois il y a quelques mois, fait qu'aujourd'hui la logique du bras de fer s'est engagée, avec des métiers très largement soutenus par l'opinion. Il y a eu un moment de faiblesse dans le macronisme qui est une porte ouverte à de nouvelles revendications. 

L'incapacité des gilets jaunes à définir une plateforme politique, des leaders, bref à s'organiser politiquement, a montré qu'on pouvait obtenir quelque chose en protestant de manière assez radicale. Et il y a un transfert du conflit de quelque chose d'inorganisé vers quelque chose d'organisé. C'est cela qui est en train de se passer en ce moment. 

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