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"Amazonia" de Patrick Deville : exploration littéraire au coeur du pays d'Aguirre
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Patrick Deville propose avec "Amazonia" une exploration littéraire au coeur du pays d'Aguirre.

Rodolphe  de Saint Hilaire pour Culture-Tops

Rodolphe de Saint Hilaire pour Culture-Tops

Rodolphe de Saint Hilaire est chroniqueur pour Culture-Tops.

Culture-Tops est un site de chroniques couvrant l'ensemble de l'activité culturelle (théâtre, One Man Shows, opéras, ballets, spectacles divers, cinéma, expos, livres, etc.).

Voir la bio »

"Amazonia" 

de Patrick Deville 

Editions Le Seuil, 306 pages

RECOMMANDATION
En priorité


THÈME
AMAZONIA s'inscrit dans la saga devillesque que l'auteur a nommée  Abracadabra, à la suite de La Peste et  Le Choléra et de Taba Taba; c'est peu de dire que l'on va faire un grand voyage  et rencontrer des peuplades farouches, hautes en couleur,  mais aussi, au détour d'un rapide de l'Amazonie ou au cœur d'une forêt impénétrable, nombre d'écrivains, souvent aventuriers, et d'intrépides explorateurs ayant soif d'aventures ou cherchant fortune, qui peuplent la bibliothèque du romancier. Stevenson , Cendrars, Bernanos , le poète Henri Michaux, Stephan Zweig qui va bientôt s'évaporer, mais aussi Goodyear qui découvrit l'hévéa et inventa la gomme naturelle des fameux pneus qui portent son nom, ou.... bref, tous ceux qui ont apprivoisé, défriché, aimé le Brésil ; un certain Brésil pas forcément celui, plus sage, de l'excellent Christophe Ruffin, un Brésil de la démesure, de sueur et de sang où les luttes font rage. Pour l'Or, pour le Pouvoir, pour la Gloire

Parce qu'en effet, suivant ses méandres sans perdre son fil rouge, Amazonia c'est l'histoire d'un fleuve gigantesque, irriguant le poumon de l'humanité, une immense réserve naturelle, la place des plus grandes confrontations  entre les anciens et les modernes, entre le bon sauvage et ses "amazones" dénudées et un colonisateur vertueux venu d'Europe, brandissant sa croix de la bonne conscience ; de Manaus à Belém, d'Iquitos à Guayaquil,  de la Cordillère des Andes aux Galapagos , les Deville, Patrick et Pierre, le père et le fils, nous font découvrir sur les pas du Claude Levi-Strauss de Tristes Tropiques et du Charles Darwin du Voyage de Beagle, l'histoire, les peuples et le territoire d'une Amazonie ardente et foisonnante, tirant, au passage la sonnette d'alarme d'un "monde atteint par la folle destruction de l'environnement. "

POINTS FORTS
- Le talent du conteur, à la fois géographe, ethnographe, historien, sociologue et... romancier puissant. Chaque ligne est une découverte, derrière chaque phrase se glisse une anecdote ou un fait historique ; à plus d'un titre, à plus d'un chapitre (ils sont indépendants), Amazonia est une véritable encyclopédie des terres et de l'esprit d'aventure du XVIè siècle à nos jours  

- La mise en perspective du monde contemporain avec les grands évènement de la France et de l'Europe des conquêtes du Gabon au Congo, du Mali à Madagascar, de la Polynésie  aux collines de l'Annam à la rencontre de Yersin, élève de Pasteur, vainqueur de la peste, introducteur de l'hévéa en Indochine. Tout est dans tout, la boucle est bouclée. On fera notamment connaissance avec l'immense géographe  Alexander von Humboldt,15 000 kms en pirogue, l'homme le plus haut du monde en 1802 (6200 m), dit le second découvreur de l'Amérique ; on retrouvera bien sûr Aguirre et Fitzcarrald, Joseph de Jussieu ou Charles Marie de la Condamine et bien d'autres savants , découvreurs, humanistes en tous cas.

-  Un roman historique donc, mais surtout un livre visuel qui parle à tous nos sens, et qui nous plonge dans un bain d'exotisme où la nature exulte à l'unisson de la soixantaine d'espèces d'oiseaux qui y vivent et dont l'auteur salue "le goût du nom et la beauté du plumage ": tyran des savanes, vanneau zéro et kamichi cornu, carouge loriot, caracara, dendrocyne à bec rouge, tyran mélancolique terreur des rapaces... Les images nous sautent aux yeux,  notre imagination galope !

POINTS FAIBLES
On s'y perd un peu, noyé par les détails et les noms, comme ceux de la traversée  du visionnaire frère Gaspar de Carvajal accompagnant Francisco de Ollemania, le grand et heureux  rival de Pizarro qui ne retrouva jamais les innombrables bouches pourtant béantes mais trop ramifiées du fleuve qu'il fut le premier à découvrir, d'amont en aval (comme Deville lui même) au retour de Cadix où il était aller annoncer et fêter son exploit. Il se perdit,  perdit ses navires et mourut d'épuisement, rongé par les fièvres, sur une berge sans nom.

Il faudrait lire Amazonia d'une main, l'autre feuilletant un atlas,  pour ne pas se perdre.

EN DEUX MOTS 
A mi-chemin entre le roman historique et les carnets de voyage, Amazonia répond à 100 % à l'intention de l'écrivain voyageur lorsqu'il a lancé l'idée d'une saga de douze livres constituant la série Abracadaba : écrire et proposer des "Romans sans fiction ". No 7 de la série, Amazonia fait preuve d'un foisonnement réaliste encore plus saisissant, encore plus richement documenté que La Peste et le Choléra qui atteint des sommets dans le genre. A la frontière du roman d'aventure, c'est tellement vrai qu'on est à la limite du vraisemblable. En tout cas, on est une fois de plus "transporté" dans un univers fou aux côtés de ces hardis voyageurs de l'écriture que sont Patrick et Pierre, son fils. Place à l'imaginaire, embarquez vous sur la "Jangada" de Jules Verne. C'est celle de Patrick Deville.

UN EXTRAIT
Page113
“Si, pour les Péruviens, c'est déjà l'Amazone qui baigne Iquitos, bien plus à l'ouest, pour les Brésiliens, elle prend son nom avec la confluence ici du Rio Negro, descendu depuis le nord, et du Solimoes, nom donné au fleuve depuis l'union au Pérou du Maranon et de l'Ucayali. En aval de Manaus, ces deux fleuves, de 3 kilomètres de large chacun, coulent côte à côte dans le même lit sans se mélanger pendant des dizaines de kilomètres, cette répugnance à se mêler, résultant selon ce que ce que j'avais pu comprendre, à la fois de différence de température et de composition chimique. Finalement c'est le Solimoes, plus rapide, au débit trois fois supérieur, qui l'emporte, avale le Négro, devient l'Amazone, poursuit son chemin majestueux vers Santarem puis Belèm”.

Page 115
"Seule la littérature nous offre d'approcher la vérité des lieux, surtout la relecture d'écrivains par d'autres écrivains.  Milton Hatoum ("où que j'aille, Manaus me poursuit") avait écrit à propos de la mission de l'auteur d'Os Sertoes et de la malédiction amazonienne : "Dans des pages mémorables, Euclide da Cunha semble décrire la réalité telle qu'il l'a imaginée, ou comme un voyageur peut encore la voir aujourd'hui : une région où les hommes travaillent pour devenir esclaves !””

L'AUTEUR
D'abord les racines : Patrick Deville est Breton, né près de la Baule il y a 63 ans, vivant à quelques encablures d'un grand port de l'Atlantique, enfin quand il ne voyage pas en Centre-Afrique ou en Amérique latine. Il a créé d'ailleurs la maison des écrivains étrangers et des traducteurs à Saint Nazaire

Mais il n'a pas que son sac de marin comme bagage ; deux maîtrises de littérature comparée acquises à Nantes, un CAPES de philosophie, une chaire d'enseignement à l'étranger... et une plume qui le taraude. Une vingtaine d'ouvrages à son actif depuis  Longue vue (1988), La Femme parfaite (1995), Pura Vida (2004) et surtout les premiers romans de la série  d'Abracadabra que sont  La Tentation des Armes à feu,  Equatoria, Kampuchéa (meilleur roman français de l'année selon le magazine Lire), La Peste et le Choléra, les deux sur fond de hauts plateaux d' Indochine ; La Peste et le Choléra lui vaudra le Prix Femina en 2012 et, enfin, une large audience. Depuis il a écrit Taba Taba (2017), plus personnel et engagé, ouvrage très apprécié par un chroniqueur de Culture-Tops notamment.                              

Inclassable, c'est Patrick Deville qui disait :  "Je sais que les écrivains sont des migrants en quête de contrées lointaines où ne pas assouvir leur rêves. Tous les écrivains sont des navigateurs ahuris dans la brume".

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