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"Islamophobie" : question choc sur une nouvelle névrose nationale
©REMY GABALDA / AFP

Discriminations

Alors que se multiplient les voix pour dénoncer les discriminations auxquelles sont exposés les musulmans, quelle est la part de celles qui sont liées à un rejet par nature des personnes de confession musulmane, quelle est celle due à un comportement des individus concernés et pas à leur croyance religieuse, ni à leur origine ?

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico.fr : Une enquête réalisée par l'IFOP pour la Fondation Jean Jaurès et et la DICLRAH a été publiée hier. Son objet : faire un "état des lieux des discriminations et des comportements racistes envers les musulmans de France" : elle présente que 40% des musulmans auraient été victimes de discrimination depuis les cinq dernières années. Dans un contexte marqué par l'organisation d'une manifestation contre l'islamophobie prévue dimanche 10 novembre à Paris, l'enquête, très relayée, a été utilisée pour dénoncer l'existence d'un "racisme anti-musulman" comme titraient nos confrères du Parisien

Le sondage produit par l'IFOP interroge son échantillon en posant la question suivante : " Au cours de votre vie, en France métropolitaine, avez-vous déjà fait l'objet de discrimination ? Et avez-vous déjà fait l’objet de discriminations en raison de votre religion ?"  Le taux de déclarations de discrimination peut-il être supérieur à la réalité du fait d'un sentiment personnel pas nécessairement objectif ? 

Vincent Tournier : C’est une vraie question: peut-on mesurer les discriminations à partir des seules déclarations des individus ?Ce problème n’a guère été soulevé, ni par les commanditaires du sondage (la Fondation Jean Jaurès et la DICRAH) ni par les médias qui l’ont commenté, alors qu’il est pourtant bien réel.

Certes, les réponses que donnent les individus fournissent des indications sur leur ressenti, mais elles ne disent rien sur les discriminations réelles.Comment savoir, en effet, si on a été traité différemment au titre de sa religion ou de sa race par rapport à d’autres personnes, sauf évidemment lorsqu’on vous le dit de façon explicite ? La série de questions que pose l’IFOP sur les différentes situations possibles de discrimination a beau être longue et précise (l’emploi, la police, l’hôpital, l’école, l’administration, et même les banques ou les chambres d’hôtel) elle ne permet pas de lever cet obstacle : il ne suffit pas d’avoir redoublé ou d’avoir été contrôlé par la police pour conclure que l’on a été discriminé en fonction de sa religion. En toute rigueur, pour savoir s’il y a eu une discrimination, il faut pouvoir faire des comparaisons et notamment vérifier si toutes les personnes qui possèdent une caractéristique donnée sont traitées différemment. Ce type de démonstration est déjà très difficile à réaliser en soi, mais c’est clairement impossible pour les individus eux-mêmes.

Malgré tout, peut-on considérer que ce sondage apporte quelque chose ?

Les discriminations existent, notamment pour la religion musulmane, et elles vont même certainement s’accroître à l’avenir puisque la radicalisation islamiste oblige à être très sélectif pour l’accès à certains métiers, y compris dans les métiers ordinaires (chauffeurs de bus ou de train, personnel des aéroports, etc.).

Il reste qu’un tel sondage ne peut pas donner une indication fiable sur l’ampleur des discriminations. Son intérêt est plutôt ailleurs : il fournit une information intéressante sur l’état d’esprit des musulmans. Le fait qu’une bonne partie d’entre eux interprète nombre de situations sociales sous l’angle des discriminations peut être vu comme une confirmation de l’existence dans cette population d’une identité ethno-religieuse très profonde. Lorsqu’une personne attache beaucoup d’importance à une caractéristique de son identité, en l’occurrence son origine ou sa religion, elle a tendance à tout expliquer à l’aune de cette caractéristique. Par exemple, si une administration lui refuse une allocation, ou si une banque lui refuse un  prêt, elle va être portée à mettre cet échec sur le compte d’une hostilité envers sa religion. Ce sentiment de persécution est d’autant plus tentant qu’il permet de tout expliquer, y compris ses propres échecs, ce qui évite d’avoir à se remettre en cause.

C’est sans doute cela que montre surtout ce sondage : plus qu’une objectivation des discriminations elles-mêmes, opération qui reste délicate, il met en évidence une identité religieuse tellement marquée que nombre de musulmans finissent par penser qu’ils vivent dans une citadelle assiégée. Cette situation est très problématique parce que ce type d’interprétation victimaire ne participe pas à l’apaisement des relations sociales.

Les réactions à ce sondage mélangent les termes : islamophobie, racisme, discrimination. Le rejet des musulmans est-il le fait d'un racisme envers les populations identifiables comme d'origine arabe ou maghrébine, notamment à cause de la couleur de leur peau ? Ou parle-t-on plutôt d'un rejet de personnes religieuses sans considération de leurs origines ? 

Il y a effectivement une grande confusion sur les termes, mais aussi sur la nature des problèmes. Qu’il y ait du racisme ou de la xénophobie en France, personne ne le conteste. Mais le problème n’est pas là car il y a du racisme dans tous les pays. Or, la France fait partie des endroits sur terre où le niveau de tolérance et d’ouverture est parmi le plus élevé. La preuve : la France n’a cessé de se diversifier ethniquement et religieusement au cours des dernières décennies, tout en acceptant d’ouvrir ses droits économiques et sociaux à tous les nouveaux venus, attitude qui n’est pas compatible avec la thèse d’une population raciste ou hostile aux différences. Tous les pays ne peuvent pas en dire autant, et certainement pas les pays musulmans ou africains.

En fait, le problème avec ce type de sondage, c’est qu’on en reste à une vision unilatérale : seuls les Français (ou les Européens) sont supposés avoir succombé aux pulsions racistes et discriminatoires. C’est ce que l’on peut reprocher à ce type de sondage. Pourquoi la DILCRAH et les autres organismes publics ne financent-ils pas des enquêtes sur le racisme ou l’intolérance qui émane des minorités ? Il y aurait pourtant des choses à dire. Et la comparaison aurait aussi pour avantage de relativiser les discriminations dont se plaignent certaines minorités.Notons aussi une autre absence : le sondage de l’IFOP interroge très volontiers les musulmans sur les agressions dont ils auraient été victimes au titre de leur religion, mais on n’envisage pas d’interroger les Français sur l’origine des individus qui les ont agressés. Cette dissymétrie dans la manière de poser les problèmes montre bien que l’analyse de ces questions reste prisonnière de préjugés idéologiques.

Ce mélange entre des termes comme islamophobie, racisme, discrimination, poste-t-il aussi un problème politique ? N'est-ce pas le vecteur d'une impossibilité de critiquer l'islam ?

Ramener continuellement la critique de l’islam au racisme, c’est effectivement instaurer un interdit radical, c’est vouloir empêcher tout débat critique sur la religion. Cela revient à dire : la critique de l’islam n’est pas sincère, elle prend prétexte de la religion pour masquer une haine de type racial. Or, ce type d’argument, qui est déjà problématique en soi, devient encore plus problématique aujourd’hui car il fait clairement le jeu des mouvements islamistes. Ces mouvements poursuivent en effet une stratégie de prise de contrôle de l’islam et de la population musulmane : ils veulent empêcher toute critique de l’islam de façon à pouvoir imposer plus facilement leur conception rigoriste à l’ensemble de leurs coreligionnaires.

C’est pour cela que les démocrates de ce pays sont aujourd’hui face à un défi majeur. Ils doivent tout faire pour maintenir vivace la libre critique des religions, non seulement pour casser la dynamique islamiste, mais aussi pour rester fidèle au principe républicain qui veut que chacun doit avoir à sa disposition les instruments intellectuels pour se libérer de l’oppression religieuse. Laisser les islamistes imposer leur lecture intégriste, c’est prendre le risque de « salafiser » toute la population musulmane. Si jamais ils y parviennent, ce qui n’est pas exclu, il ne faudra alors pas se plaindre que les musulmans fassent l’objet d’un rejet en bloc.

Marlène Schiappa a déclaré que ce résultat montrait "l'échec de notre modèle d'intégration". Dans quelle mesure est-il possible de lier les problèmes d'intégration et le rejet de minorités religieuses ou ethniques ? Les musulmans sont-ils aujourd'hui dans une situation de plus grande discrimination que les minorités passées qui ont dû s'intégrer à la société française ?

A vrai dire, on ne voit pas très bien ce que veut dire madame Schiappa. En quoi les discriminations sont-elles liées à l’échec de l’intégration ? Si on prend son argument à la lettre, cela signifie que, pour elle, les discriminations sont la conséquence du défaut d’intégration ; cela veut donc dire que les discriminations sont légitimes, ou du moins qu’elles n’existeraient pas si les musulmans étaient bien intégrés ou, risquons le mot, assimilés. Si telle est sa pensée, elle a parfaitement raison : les discriminations se font effectivement entre des groupes sociaux qui ne partagent pas la même culture. Mais dans ce cas, la conclusion qui s’impose, c’est que si on veut lutter contre les discriminations,il faut assimiler. C’est logique : plus on assimile, et moins on a de discriminations ; et inversement, moins on assimile, plus on a de discriminations. C’est pour cela que la question des discriminations ne se posait pas en France jusqu’aux années 1970, tant que l’assimilation fonctionnait.

Cela dit, est-ce vraiment ce qu’a voulu dire Marlène Schiappa ? On peut en douter car le gouvernement auquel elle appartient ne paraît pas très soucieux de l’intégration. Quel est sa politique en la matière ? En a-t-il d’ailleurs une ? En particulier, quelles mesures d’intégration compte-t-il mettre en place pour accompagner l’immigration économique qu’il a l’intention de développer, surtout s’il renonce à toucher au regroupement familial ? Pense-t-il que le travail suffira pour assurer l’intégration ?

Cela fait partie des questions que les médias devraient poser au gouvernement car celui-ci, comme d’ailleurs ses prédécesseurs, a tendance à s’en tenir à de grands discours contre les discriminations. La situation de la Seine-Saint-Denis, qui semble maintenant inquiéter jusqu’au gouvernement, devrait pourtant alarmer davantage sur les évolutions à venir, et conduire enfin à poser les bonnes questions.

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