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Immigration : ces éléments qui manqueront au plan du gouvernement pour espérer atteindre l’efficacité (autre qu’électorale)
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(In)efficacité

Le plan immigration du gouvernement devrait être dévoilé ce mercredi. Parmi les mesures qui devraient être annoncées : l'instauration de quotas. Une mesure que plusieurs gouvernements ont déjà tenté de mettre en place sans succès.

Arnaud Lachaize

Arnaud Lachaize

Arnaud Lachaize est universitaire, juriste et historien. 

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Atlantico : Edouard Philippe devrait dévoiler aujourd'hui le plan immigration de son gouvernement. Certaines mesures ont déjà fuité hier dans la presse, et notamment la mise en place de quotas d'immigration en fonction des besoins de main d'oeuvre, un accès au soin, notamment à l'AME, plus contrôlé, mais aussi une logique d'accueil solidaire des migrants. Toutes ces mesures vous semblent-elles susceptibles de résoudre les problèmes liés à l'immigration et de satisfaire les Français ?

Arnaud Lachaize : Pas vraiment. Les quotas sont comme un serpent de mer. Depuis 20 ans, dès qu’un gouvernement veut donner une impression de fermeté, il lâche le mot quota, comme un mot magique qui serait censé faire vibrer l’opinion en donnant une image de maîtrise des choses. On en parlait déjà dans les débats du début des années 2000 et la discussion de la loi Sarkozy en 2003. Le sujet revient constamment, comme un leitmotiv de l’impuissance publique. 

En l’espèce, il ne s’agit pas d’améliorer la maîtrise de l’immigration. L’idée serait de négocier des quotas d’accueil pour les travailleurs venus de pays tiers, hors Union européenne. Elle serait donc plutôt de renforcer l’immigration professionnelle. Cette dernière représentait, en 2018, 32 815 personnes, c’est-à-dire un faible pourcentage des entrées totales connues : d’une part 255 550 « premiers titres de séjour » dont 89 185 migrants sur motif familial et 80 339 étudiants, et d’autre part, 122 743 demandeurs d’asile. 

Ouvrir des quotas pour l’immigration économique ne règle pas la question de l’ampleur globale du flux migratoire au regard de des capacités d’accueil de la France. Les 255 550 bénéficiaires du premier titre de séjour ont, pour la plupart, accès au marché du travail et les 122 743 demandeurs d’asile l’ont aussi au bout de 6 mois si l’Etat n’a pas donné de réponse à leur demande d’asile, ce qui est bien souvent le cas. Dans le contexte d’une économie française qui compte 3 à 5 millions de chômeurs (selon le mode de décompte), et 9,2 millions de pauvres, l’accueil de ce volume de migrants qui auront besoin de travailler pour vivre dans des conditions dignes, n’est sans doute pas raisonnable. Alors, que dire d’un projet qui vise à encore développer l’immigration de travail ? 

Quant à la proposition de prévoir un délai de trois mois pour bénéficier de la gratuité des soins pour les demandeurs d’asile et de revoir le panier des soins offerts par l’AME, ce sont là aussi des mesures qui sont supposées donner une image de fermeté à des fins politiques. A supposer qu’elles se traduisent dans les faits, elles ne sont en aucun cas de nature à dissuader les migrants de choisir la France comme terre d’accueil.

Edouard Philippe envisagerait également de remettre à plat les règles de l'espace Schengen et le règlement Dublin III. A-t-il le pouvoir et la capacité d'influence pour le faire ?

Depuis des années, des négociations sont en cours à Bruxelles sur ces sujets. Un règlement européen de 2006 (le code frontière Schengen), amendé à plusieurs reprises, a en principe fortement limité les conditions dans lesquelles les gouvernements peuvent rétablir leurs contrôles aux frontières intérieures Schengen (entre eux) en cas de menace pour l’ordre public, pour de brèves périodes (quelques semaines ou quelques mois selon les cas). A la suite de la crise migratoire de 2015, plusieurs Etats européens, Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, ont rétabli leurs contrôles aux frontières intérieures. La France l’a fait aussi, avec l’Italie et l’Espagne. Puis, au prix d’une interprétation fort extensive du code Schengen, et en parfaite contradiction avec son esprit, les maintiennent encore aujourd’hui, 4 ans plus tard… 

Les Etats négocient en ce moment, depuis plusieurs années, une adaptation du code frontière avec la Commission pour assouplir ces règles et les mettre en conformité avec la réalité. La Commission renâcle fortement et tente d’éviter de s’engager dans une voie qui consacrerait la remise en cause, à ses yeux, de la libre circulation. On ne voit pas bien ce que la déclaration du Premier ministre français pourrait changer à cet état de fait… 

Quant au règlement Dublin III, on sait qu’il marche très mal. Il prévoit la prise en charge des demandeurs d’asile par le pays responsable de leur entrée dans l’Union européenne. Or, il est extrêmement difficile d’obliger un Etat à reprendre un demandeur d’asile qui se présente en France et tout autant, dans un dédale de procédures protectrices qui se sont empilées au fil du temps, d’obliger une famille de demandeurs d’asile à repartir dans le pays européen par lequel elle est entrée dans l’espace européen. La réaction du Premier ministre n’y changera rien.

Toute politique d'immigration doit être évaluée à l'aune de ce qu'il est possible de réaliser dans les faits, surtout quand il s'agit de restreindre les règles liées à certains dispositifs ou d'en mettre en place (AME, quotas, etc.). Le gouvernement a-t-il les moyens concrets de sa politique ? Son administration peut-elle par ailleurs se mettre en marche dans ce sens-là ?

Ce n’est pas tellement une affaire de bonne volonté de l’administration qui est en cause. La faiblesse de l’Etat est chronique face à l’immigration irrégulière et tout est fait pour l’accentuer. La hausse des flux migratoires constatée à travers l’explosion du nombre des premiers titres de séjour s’explique largement par l’immigration irrégulière suivie de régularisations sous des formes multiples (au titre de la famille ou du travail ou de motifs humanitaires divers). 

L’Etat est désarmé devant ce phénomène. Sur 100 000 interpellations de migrants en situation irrégulière, seule une poignée, moins de 10 000 fait l’objet d’une mesure effective de reconduite forcée hors de l’espace Schengen. Les reconduites à la frontière sont complexes à réaliser. La mesure d’éloignement doit être confirmée par la juridiction administrative, puis le juge des libertés doit accepter un placement en rétention, ensuite le pays d’origine doit accepter de reprendre le migrant en lui attribuant un laissez-passer consulaire, enfin, même si toute la procédure est réalisée, l’intéressé peut effectuer un « refus d’embarquement ». Franchement l’administration, les préfets et la police, englués dans un ensemble de procédures d’une grande complexité, n’y sont pour rien. 

D’ailleurs, face à cette immigration illégale, les signaux contradictoires ne cessent de s’accumuler. En 2018, le Conseil constitutionnel, acclamé par toute la classe politique, a ainsi proclamé un « principe de fraternité », aboutissant à abroger toute sanction pénale contre l’aide bénévole au séjour illégal. Cette décision se prête à toutes les interprétations abusives, notamment celle de légitimer le séjour illégal. Elle ne peut que troubler les esprits sur un dossier déjà fort embrouillé. 

Une transformation des règles du regroupement familial serait aussi en réflexion. Est-ce que cela vous semble aller dans le bon sens ? Quelles seraient selon vous les mesures ambitieuses en termes d'immigration et qui manquent à l'appel ?

Le regroupement familial est aussi un éternel chiffon rouge destiné à exciter l’opinion. Il permet, de fait, à des travailleurs étrangers bien intégrés de faire venir leur famille à condition de disposer d’un logement et de la rémunération d’un travail adaptés à la taille de cette famille. Ce n’est pas le regroupement familial (en moyenne stabilisé autour de 20 000 par an sur le long terme) qui fait augmenter les chiffres de l’immigration sur motif familial mais les régularisations à divers titres (mariage, vie privée et familiale). On en revient au problème de fond, celui qui dérange et que les pouvoirs publics ne veulent pas voir : celui de la lutte contre l’immigration illégale et celui de l’autorité de l’Etat dans maîtrise des flux migratoires.

 Il manque avant tout à ce projet une volonté ferme et courageuse de lutter contre les filières esclavagistes qui organisent les passages de clandestins notamment par la voie maritime. En acceptant ouvertement de recueillir des migrants passés par cette voie sous forme de quotas d’accueil les gouvernements européens donnent un signe de faiblesse tragique envers les réseaux criminels de passeurs qui accumulent des fortunes sur le trafic des personnes humaines. Il faudrait organiser une force d’intervention maritime des grandes nations européennes pour imposer un blocus maritime aux passeurs esclavagistes à partir des zones d’embarquement. Mais pour cela, il faudrait du courage et de la volonté. 

Tout cela donne l’image d’un gouvernement qui n’est pas animé par une volonté d’améliorer les choses en profondeur mais dans une logique d’affichage et de manipulation de l’opinion de court terme en perspective des prochaines élections.  

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