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Elon Musk : un visionnaire qui a décidé de bouleverser le monde de l’automobile
©Jerry Lampen / ANP / AFP

Bonnes feuilles

Hamish McKenzie publie "La révolution Tesla" aux éditions Eyrolles. L'histoire de Tesla, c'est celle d'une petite start-up qui a d'abord été regardée de haut par les géants du secteur automobile. La révolution électrique de l'industrie automobile est en cours, avec des moyens et des enjeux colossaux. Extrait 1/2.

Hamish McKenzie

Hamish McKenzie

Hamish McKenzie est un écrivain et journaliste basé à San Francisco. Pour écrire ce livre, il a travaillé chez Tesla et a rencontré des dirigeants de l'industrie automobile partout dans le monde.

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Musk monte sur la scène de l’assemblée générale annuelle de Tesla le 31 mai 2016 en annonçant une rupture avec les usages. Il est en jean et blazer à poches cargo. Il est rapidement rejoint par J.B. Straubel en chemise blanche et pantalon sombre. Leur tenue de travail habituelle. Mais leur présentation ne ressemble pas à ce qu’on entend généralement quand une société cotée rend des comptes à ses actionnaires : ils vont reprendre l’histoire de Tesla depuis le début. 

« Je crois important de revenir sur l’histoire, les motivations et les décisions qui l’ont accompagnée, commence Musk, pour que les gens comprennent ce qu’est Tesla, ce qu’il représente et pourquoi nous faisons tout cela. » 

Le PDG fait l’essentiel du discours, dans la bonne humeur, parsemant son récit de quelques notes d’autodérision sur les difficultés rencontrées par Tesla au fil des ans. « On n’y connaissait rien. Genre, on fait comment pour construire une bagnole ? » Le public éclate de rire avec lui. « Sais pas. »

Musk raconte d’abord son premier rendez- vous avec Straubel, lors d’un déjeuner dans un restaurant de poissons, à proximité de SpaceX. Straubel était accompagné d’Harold Rosen, un ingénieur avec qui il travaillait sur un projet d’avion électrique. Les deux hommes voulaient convaincre Musk d’y investir, mais ça ne l’intéressait pas. Puis Straubel a évoqué un projet de véhicule électrique avec un ami de Stanford qui a construit une voiture à propulsion solaire. Leur idée était de connecter plusieurs milliers de cellules d’accumulateurs lithium- ion 18650 (qui ressemblent à des piles AA standards) afin de propulser une voiture sur plusieurs centaines de kilomètres. Le projet idéal pour Musk. 

Elon Musk savait depuis son entrée à l’université qu’il consacrerait une partie de sa carrière aux voitures électriques. À l’université de Pennsylvanie, il avait étudié la façon dont les supercondensateurs pourraient stocker l’électricité des voitures électriques et avait poursuivi ses travaux au début des années 1990 au cours de deux stages chez Pinnacle Reasearch, une société de la Silicon Valley, spécialisée dans le stockage d’énergie. Il devait continuer dans cette voie en doctorat à Stanford, avant de décider finalement de créer Zip2. Deux start- up internet plus tard, il était prêt à revenir à sa passion première. Vingt ans après avoir tenté de séduire la jeune Christie Nicholson en lui demandant si elle aussi rêvait de voitures électriques, Musk venait de trouver un partenaire désireux de partager sa prédilection pour les transports durables. 

Après le déjeuner, J.B. Straubel a adressé à Elon Musk par e- mail une proposition d’investissement à 100 000 dollars. « Ce projet est absolument fascinant : il pourrait modifier en profondeur l’idée que le public se fait de l’autonomie et de la viabilité des véhicules électriques. Construire quelque chose qui aurait un tel impact est aussi une façon fantastique de former une nouvelle génération d’ingénieurs aux énergies renouvelables et aux véhicules efficients et d’entretenir leur flamme. Je suis convaincu que le transport électrique du futur utilisera des accumulateurs à haute densité d’énergie plutôt que des piles à combustible ; ce projet représente une étape qui le prouvera. » Musk y a mis 10 000 dollars. 

Peu après, J.B. Straubel a présenté Musk au responsable d’AC Propulsion, Tom Gage, un ami proche du jeune ingénieur. L’entreprise avait développé une voiture de sport électrique baptisée « tzero ». Le véhicule, doté d’un pack de batterie lithium- ion, affichait une autonomie de 480 kilomètres et passait de 0 à 100 km/h en moins de quatre secondes. Après avoir testé la voiture, Musk a tenté pendant plusieurs mois de convaincre AC Propulsion de la commercialiser. En vain. Gage et l’entreprise ont préféré produire une version électrique de la Toyota Scion. Musk a décidé alors de créer sa propre société. Tom Gage lui a proposé de rencontrer un certain Martin Eberhard qui avait la même idée. 

En 1997, Martin Eberhard et son ami Marc Tarpenning avaient créé NuvoMedia pour mettre au point le Rocket eBook, un précurseur du Kindle d’Amazon. Après en avoir vendu des dizaines de milliers d’exemplaires, ils ont cédé l’entreprise en janvier 2000 à Gemstar, la maison mère de TV Guide, pour 187 millions de dollars. Comme Musk avec Zip2, ils sont sortis pile au bon moment, empochant leur mise juste avant l’explosion de la bulle internet. 

Les deux hommes sont alors voisins à Woodside, une localité aisée à une demi- heure de voiture de Palo Alto. Après avoir vendu NuvoMedia, ils sont en quête d’idées susceptibles d’avoir un impact positif pour la planète. À un moment, ils ont envisagé de développer un système d’irrigation sophistiqué, piloté par un réseau de capteurs intelligents, mais c’est la tzero qui s’est emparée de leur imagination, comme chez Musk. 

Martin Eberhard, que le réchauffement climatique inquiète de plus en plus, en a perçu le potentiel commercial et y voit l’occasion de démontrer que l’essence n’est pas la solution unique pour les véhicules à moteur. Avec Marc Tarpenning, il a également repéré l’amélioration rapide des batteries lithium- ion et la baisse des prix, provoquée notamment par leur utilisation dans les ordinateurs portables. Le secteur automobile, quant à lui, ne semble plus aussi impénétrable que par le passé. Depuis les années 1990, les constructeurs ont externalisé une grande partie de la production, dont l’achat de pièces et parfois même l’assemblage. Les deux hommes se disent qu’une start- up devrait pouvoir réaliser la phase de design et construire au moins un prototype, en espérant ensuite lever plus d’argent pour poursuivre leurs ambitions. Si tout se passait bien, grâce à une voiture de sport en petite série, dotée d’une accélération foudroyante, ils mettraient un orteil sur un marché automobile à 3 000 milliards de dollars.

À l’époque où Elon Musk leur est présenté, Martin Eberhard et Marc Tarpenning, rejoints entre- temps par Ian Wright, un ami et voisin, ont enregistré une société sous le nom de Tesla Motors, en hommage à Nikola Tesla. L’entreprise a une ébauche de business plan, mais ni prototype, ni brevet, ni financement. Peu après leur rencontre en avril 2004, Musk accepte d’y investir 6,35 millions de dollars (sur 6,5 millions) à l’occasion d’un premier tour de table (série A). Il en devient le président, prenant en charge la technologie, le produit et la sensibilisation du public, tandis que Martin Eberhard s’occupe des affaires courantes. Musk convainc également J.B. Straubel de les rejoindre. 

Au cours des deux années suivantes, Tesla recrute des ingénieurs chez Lotus et Stanford, et ailleurs dans la Silicon Valley. En novembre 2004, le premier mulet est prêt et J.B. Straubel, qui est devenu directeur de la technologie, a l’honneur de l’inaugurer. Il n’a fallu que trois mois à l’entreprise pour passer des premiers plans à une voiture en état de marche. Le résultat se présente sous la forme d’un véhicule sans carrosserie, mais équipé d’un nouveau pack de batterie : les entrailles d’un prototype Tesla posé sur le châssis d’une Lotus Elise. Sous les regards admiratifs de ses collègues, J.B. Straubel dévale la route qui passe devant les nouveaux bureaux de Tesla installés à San Carlos, à 10 kilomètres de Menlo Park. 

Drew Baglino, un des premiers ingénieurs de l’entreprise, a également pris le volant. Sur la scène de l’assemblée générale de 2016, il évoque ses sensations : « C’était ma première expérience d’accélération de 0 à 100 en quatre secondes. Je n’avais jamais connu ça. Avant j’avais une Honda Civic de 80 chevaux, c’est dire. » À la surprise générale, la voiture est restée entière. « Ces quatre secondes ont été phénoménales. J’en suis resté accro à l’électrique. » Par la suite, l’ingénieur est devenu vice- président de la technologie. « Je n’ai touché à rien d’autre depuis. » 

Musk, lui aussi, a conduit le mulet et eu assez confiance dans son potentiel pour plonger de 9 millions de dollars supplémentaires à l’occasion d’un deuxième tour de table (série B) à 13 millions, au côté de Valor Equity Partners. Au cours des dix- huit mois suivants, Tesla a développé un prototype très proche de la présérie et, dans une conjoncture économique favorable qui a stimulé aussi l’éclosion des futurs géants de la tech comme Facebook et YouTube, a levé encore 40 millions de dollars. Musk y a contribué à hauteur de 12 millions et, après un test à 16 km/h (le logiciel était bogué), a réussi à convaincre ses amis Larry Page et Sergey Brin, les fondateurs de Google, de le rejoindre. Étaient aussi de la partie des sociétés d’investissements de haut vol comme Draper Fisher Jurvetson, VantagePoint Capital Partners et J.P. Morgan Securities. 

Mais quand le Roadster est révélé à la presse en juillet 2006, soit trois ans après la création de la société, rares sont encore ceux qui ont entendu parler de Tesla. Martin Eberhard, chaussé de petites lunettes à monture fine et le visage encadré par une barbe poivre et sel, préside à l’événement ; il emmène aussi les journalistes en tests de conduite et leur exprime son enthousiasme pour un avenir électrique. 

« Si vous utilisez l’énergie d’un gallon d’essence (3,78 l) pour enclencher une turbine, vous aurez assez d’électricité pour conduire votre voiture sur 110 miles (180 kilomètres) », explique- t-il au premier journaliste qui prend le volant ce jour- là. Il qualifie les véhicules électriques construits jusque- là de « punition », à cause de leur lenteur, laideur et exiguïté. Le Roadster, lui, ressemble à une vraie voiture de sport qu’un millionnaire fou de carrosses serait heureux de posséder. Il ne lui manquerait que la musique du moteur, mais Martin Eberhard a une réponse toute prête : « Certains regretteront le rugissement du moteur comme d’autres ont regretté le clip- clop des sabots du cheval sur les pavés. » Le Roadster sera sur le marché à l’été 2007, ajoute l’ingénieur, et Tesla travaille déjà à une berline quatre portes. 

Mais en coulisses, les choses commencent à dérailler. La transmission fournie par un sous- traitant ne fonctionne pas ; l’usine trouvée en Thaïlande n’est pas en mesure de produire les packs de batteries. Les fournisseurs ne décrochent pas leur téléphone ou refusent d’usiner des pièces pour une voiture de niche au marché incertain. La peinture n’adhère pas à la carrosserie en fibre de carbone. Après avoir été contraints de changer la transmission, les ingénieurs doivent aussi redessiner le moteur.

À la suite d’un audit réalisé par Valor Equity, l’un des investisseurs, Musk et le conseil d’administration doivent se rendre à l’évidence que le Roadster explose le budget et ne sera pas prêt pour le lancement prévu en septembre 2007. Martin Eberhard en rejette la responsabilité sur l’interventionnisme de Musk et ses demandes continuelles de modifications du design de la voiture. Et Musk lui reproche ses erreurs de management et son désintérêt pour les questions financières. L’échéance arrivée et dépassée, les clients qui ont versé des arrhes commencent à s’impatienter. Musk et le conseil décident de relever Eberhard de ses fonctions de PDG et de le nommer président de la technologie. En août, après lui avoir longuement cherché un remplaçant, Musk l’informe que Michael Marks, un des premiers investisseurs dans Tesla et ancien PDG de Flextronics, assurera l’intérim. Trois mois plus tard, bien qu’ayant approuvé ces changements, Eberhard démissionne avec amertume. Il dira plus tard qu’il n’a pas eu le choix. Mark Tarpenning quitte également l’entreprise. 

Eberhard et Musk ont échangé des noms d’oiseaux par médias interposés. Le premier a expliqué au magazine Fortune qu’il n’avait pas de problème avec Tesla mais « certainement avec Elon et sa façon de traiter les gens ». Le second a répliqué vertement qu’il était « trop occupé à remettre de l’ordre dans le bordel » laissé par celui- ci, justifiant son silence par le fait qu’il n’avait encore « jamais rencontré d’individu capable d’orchestrer une telle campagne de désinformation ». En novembre 2008, Martin Eberhard a confié à Newsweek que Musk était « un PDG épouvantable ». Ce à quoi l’intéressé a rétorqué qu’il n’avait « jamais eu autant de déplaisir à travailler avec quelqu’un ». 

La querelle a tourné au procès. En mai 2009, Martin Eberhard a attaqué Musk et Tesla en diffamation. Musk a répliqué sur son blog par une liste de ses erreurs en tant que PDG, puis par deux demandes au juge de rejeter l’accusation. En septembre 2009, les deux parties ont annoncé être parvenues à un règlement à l’amiable. Musk a déclaré que « sans l’énergie indispensable de Martin, Tesla ne serait pas là aujourd’hui » et Eberhard a salué « les contributions extraordinaires d’Elon à Tesla ». L’accord, confidentiel, a également contraint Eberhard à reconnaître que Tesla avait cinq fondateurs officiels : lui- même, Elon Musk, J.B. Straubel, Marc Tarpenning et Ian Wright. 

Michael Marks, le nouveau PDG, a enclenché un plan de réduction de coûts, réintégrant une bonne partie de la production à San Carlos, et a choisi pour stratégie de préparer la cession de Tesla à un grand constructeur automobile. Mais Musk avait une vision autrement plus ambitieuse pour l’entreprise. En 2001 et 2002, actionnaire principal de PayPal, il s’était opposé à la vente de la start- up à eBay car il était convaincu qu’elle avait un potentiel au- delà du seul paiement en ligne. Il la voyait supplanter les banques traditionnelles dans de nombreux services financiers. De même était- il convaincu que Tesla était l’épicentre d’un business dépassant largement Internet. Jamais il ne pourrait se satisfaire d’un sort à la PayPal pour Tesla. 

En décembre 2007, Tesla a remplacé Michael Marks par Ze’ev Drori, un dirigeant opérationnel chevronné. Passé par l’armée israélienne, IBM et Fairchild Semiconductor, il avait créé le fabricant de puces Monolithic Memories qui était entré en Bourse en 1980 et avait fusionné avec AMD (Advanced Micro Devices) sept ans plus tard. Puis il avait pris le contrôle de Clifford Electronics (dont il était devenu le président), un fabricant d’alarmes de voiture, avant de le céder à Allstate Insurance en 1999. Pilote de voiture de course émérite, il avait disputé le Grand Prix de Long Beach. Seulement, il n’avait aucune expérience de la construction automobile, ce qui n’était pas sans conséquence, sa mission étant de mettre le Roadster sur le marché le plus vite possible. Il a également eu du mal à s’imposer. Musk prenait toutes les décisions importantes. Les équipes ont fini par le considérer comme une simple courroie de transmission de la volonté du président. 

Ze’ev Drori dirigeait encore l’entreprise lors de la sortie du premier Roadster, célébrée en février 2008 par un petit événement au siège, à San Carlos. Mais personne de l’extérieur n’aurait pu le deviner. Musk s’est approprié la voiture noire de Batman, promettant que Tesla ne tirerait pas sa révérence avant que toutes les voitures ne soient devenues électriques. Mais il a tout de même fait allusion aux difficultés financières du constructeur, comme le montre Revenge of the Electric Car, un documentaire sur les vicissitudes de Tesla : « Jusqu’ici, cette voiture nous a coûté très cher, dit- il aux réalisateurs.

On peut l’appeler la voiture à 50 millions de dollars. C’est à peu près ce que j’ai investi dans Tesla. »

Extrait du livre d’Hamish McKenzie, "La révolution Tesla : comment Elon Musk nous fait basculer dans le monde de l’après-pétrole", publié aux éditions Eyrolles. 

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