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Draghi n'est pas encore parti que 5 camps antidraghistes apparaissent, pour freiner tout draghisme chez Lagarde ?
©DANIEL ROLAND / AFP

Bras de fer

Jean-Paul Betbeze décrypte la situation de la Banque centrale européenne avec le départ imminent de Mario Draghi et l'arrivée de Christine Lagarde.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Mario Draghi fera ses valises le 31 octobre. Il publie le 30 septembre, dans le Financial Times, une longue interview testimoniale sur ses choix et ses difficultés pendant sa Présidence à la Banque centrale européenne.  Comme il n’est pas né de la dernière pluie, il sait ce qui se prépare : la montée et plus encore la confluence des oppositions à sa politique, pour réduire autant que possible les engagements qu’il a pris et devraient encore durer au moins un an, et limiter d’autant tout « draghisme » chez Christine Lagarde !

Mario Draghi sait que son rôle de « sauveur de l’euro », avec le Whateverittakes de juin 2012 qui arrêta la vague qui venait de Grèce et du Portugal et menaçait l’Espagnene le protège plus. Pas plus que toutes ses batailles : médiatiques, financières, politiques, juridiques, économiques… Il ne s’en soucie guère, ayant lu Machiavel, mais s’inquiète plutôt d’un départ, quand le succès de son mandat n’est pas là. Certes, le taux de chômage de la zone euro est à 7,4%, son minimum historique, mais la croissance est basse (0,2% sur le deuxième trimestre) et surtout l’inflation à 0,9%, de plus en plus loin du mandat de 2%. C’était ce 2% qui expliquait, ou plutôt légitimait, sa politique des taux bas puis négatifs des réserves bancaires, et les achats de bons du trésor et d’obligations d’entreprises (quantitative easing). Aujourd’hui, puisque l’inflation recule, les camps antidraghi se renforcent et se regroupent. 

1 – Le « camp classique allemand » d’abord, celui de la BUBA, la Banque centrale allemande, actuellement dirigé par JensWeidmann, son Président. Il est là depuis le début, nombre de politiques allemands et nombre d’Allemands ne digérant pas de voir un Italien à la tête de la BCE en lieu et place du président de la Buba (Axel Weber) qui devait, enfin, la diriger ! Ce camp se renforce et enrage, quand il voit Mario Draghi empêcher la crise de la Grèce, qui aurait conduit, pour ces faucons, à la sortie de la Grèce de l’Union, au risque de son éclatement par effet de propagation. Mais il est clair que Mario Draghi n’a pu mener toute cette politique sans l’appui d’Angela Merkel : appui caché, permanent, inacceptable pour eux. Ce « camp classique allemand » n’a en fait jamais accepté, ou compris, que l’union européenne n’est pas une unions de pays qui doivent, chacun, mieux gérer leurs finances, mais un ensemble fédéral qui doit compléter son marché unique, avec la banque et la finance, par un budget, même limité. Une union monétaire doit toujours comporter un volet budgétaire, plus ou moins important. Et c’est quand Mario Draghi demande à la politique fiscale (ou budgétaire) d’agir, comme il vient de le faire, en disant que « sa » politique monétaire est presque au bout de ses possibilités, qu’il excite encore plus ce camp : il y voit un aveu de faiblesse. 

2 –Le camp des épargnants du Nord : le Parlement néerlandais a envoyé, il y a quelque temps, une missive à la BCE, se plaignant de sa politique de taux bas. Les baisses des taux y ont diminué les rendements des fonds de pension, doncconduit à  augmenter la masse de ces fonds, pour répondre à leurs engagements. Pas de surprisealors si le chef du gouvernement invite les partenaires sociaux à œuvrer à une solution, avec réduction des pensions et maintien de l’âge de départ à 67 ans alors qu’il il devait passer à 66 ! Les épargnants allemands, touchés par les rendements négatifs de leurs bons du trésor, apprécient ce renfort. 

3 – Le camp bancaire, dirigé par Sabine Lautenschläger. Le 25 septembre, cette membre du Directoire et du Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne, informe Mario Draghi qu’elle démissionnera le 31 octobre 2019, tiens donc, soit avant la fin de son mandat. Elle s’occupait surtout des banques, notait fréquemment le nombre (trop) élevé de banques allemandes (coopératives et mutualistes) et leur faible efficacité, les incitant à se regrouper. De fait, les coûts opérationnels des banques allemandes représentent 81,8% de  leurs revenus, le maximum de la zone, contre 73,4% pour la France ou 64,2% pour l’Italie. On peut imaginer que les problèmes existentiels de la Commerzbank et de la Deutsche Bank ont pesé dans son choix, plus les sureffectifs du secteur bancaire allemand qu’elle n’attaquait pas avec grand succès. Mais, pour les médias,son choix est relié à la décision de Mario Draghi de reprendre ses achats de bons du trésor, donc de faire baisser encore les taux longs publics pour faire baisser les taux bancaires, même s’il a adouci ses dernières mesures. C’est effectivement plus commode de taper sur Mario que sur des structures qui ne bougent pas.

4 – Le camp économique des effets pervers. Les économistes savent que la politique des taux bas de Mario Draghi est pleine d’effets pervers. Elle soutient les entreprises peu ou pas efficaces en leur donnant un accès pas cher au crédit : c’est la zombification d’entreprises qui « fonctionnent » sans jamais gagner d’argent. Elle pousse les entreprises en bon état à s’endetter exagérément pour acheter des concurrents, des startups qui pourraient devenir des innovateurs gênants, voire pour payer de beaux dividendes ! Elle pousse les ménages à s’endetter plus et plus longtemps pour acquérir un logement qui coûte plus cher : quand les taux baissent, le prix du mètre carré monte. La bulle immobilière n’est pas loin.Elle affaiblit les banques, dont les valorisations bancaires s’effondrent, et aussi les compagnies d’assurance vie.

Pire, cette politique de taux basperturbe les comportements des ménages. Ils s’habituent à ces taux bas et acceptent des rendements très faibles (voire négatifs) pour leur épargne, ou bien achètent des actions, à proximité de la bulle boursière. La trappe à liquidité peut alors s’ouvrir, pour les entreprises et les ménages inquiets, l’emploi s’améliore peu, comme les salaires, et l’inflation demeure faible. Donc on continue les taux bas : whatelse ?

5 – Le camp politique des effets pervers. Les politiques (libéraux) disent que ces taux d’intérêt bas sont une aubaine pour les pays qui ne font pas de réformes. Pourquoi, en effet, flexibiliser les appareils productifs et moderniser les administrations, si la baisse de la charge de la dette permet de boucler le budget ! La France prévoit une baisse de 47 fonctionnaires en 2020 : quelle précision ! D’autres politiques ajoutent que l’achat de bons du trésor va difficilement cesser. La BCE vient de le montrer, quand la machine économique ne repart pas assez vite. Et, aux États-Unis,la vente de bons du trésor fait vite monter les taux et tend les trésoreries bancaires, puisqu’il faut de l’argent pour les acheter : la Fed vient d’arrêter ces cessions. Donc on ne sort pas du quantitative easing et des taux bas !

Cette réunion de camps peut (veut ?) freiner Christine Lagarde. Sauf révision violente de la stratégie en cours, elle est cependant tenue, une bonne année, par les engagements de Mario Draghi. Elle devra poursuivre ses politiques de taux bas et d’achats de bons du trésor (forward guidance en langage de banquier central). C’est à partir de juin prochain qu’elle pourrait cesser ses achats de bons du trésor, faisant alors remonter tous les taux… si la situation s’améliore. 

Christine Lagarde voit cette confluence d’opposants. Elle sait que les effets pervers de la politique monétaire de Mario Draghi sont d’autant plus nets qu’il n’y a pas de politique budgétaire de soutien,surtout en Allemagne (excédent budgétaire de 1,7% du PIB) et aux Pays-Bas (excédent de 1,5%), moins encore de Budget européen. Sa politique monétaire a d’autant plus d’effets pervers qu’elle est seule. Elle encourt plus de risques et d’oppositions d’un côté, plusde demandes d’assouplissements budgétaires d’un autre. En attendant que les États-Unis soient en récession ?

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