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Mission impossible : voilà pourquoi le gouvernement ne parviendra jamais à justifier la suppression de l’ISF par l’évaluation qui en est faite
©DAMIEN MEYER / AFP

Réforme

La complexité du système fiscal français rend périlleuse l’appréciation de l’impact de la mesure fiscale phare du quinquennat Macron.

Virginie Pradel

Virginie Pradel

Virginie Pradel est fiscaliste. Elle a fondé en 2018 l'Institut de recherche fiscale et économique Vauban, dont l'objectif est de vulgariser la fiscalité afin de la rendre plus accessible aux Français. Elle publie régulièrement des tribunes dans la presse. Impôts-mania est son premier ouvrage.

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Jean-Philippe Delsol

Jean-Philippe Delsol

Jean-Philippe Delsol est avocat, essayiste et président de l’IREF, l'Institut de Recherches Economiques et Fiscale. Il est l'auteur de Civilisation et libre arbitre, (Desclée de Brouwer, 2022).

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Atlantico.fr : A l’issue du Grand Débat national, en avril, Emmanuel Macron avait promis une évaluation de la réforme de l’impôt sur la fortune qui était une de ses grandes promesses de campagne. Cette réforme a consisté à supprimer l'impôt de solidarité sur la fortune et à le remplacer au 1er janvier 2018 par l'Impôt sur la fortune immobilière. 

L'évaluation de cette réforme parait aujourd’hui très difficile, comme le montre le rapport publié cette semaine sous l’égide de France Stratégie.  Pourquoi l’évaluation de l’impact de cette réforme au regard de l’investissement et de l’emploi est-elle si compliquée ? En quoi est-ce lié à la complexité fiscale française ?

Jean-Philippe Delsol : Promettre une évaluation est souvent un moyen de contourner un problème, c’est un échappatoire. Mais un jour, il faut évaluer et concernant l’IFI Et l’ISF, cette évaluation est probablement du ressort de l’impossible ou du doigt mouillé.

L’économie n’est pas une construction entièrement prévisible entre les mains de l’Etat. Elle est le résultat de l’action humaine qui dépend de son environnement fiscal et réglementaire, mais également de ressorts psychologiques et sociologiques. Bien entendu, la complexité de la fiscalité française avec ses centaines de niches complique encore toute évaluation.

Virginie Pradel : Tout d’abord car cette évaluation est précipitée : il faut attendre d’avoir plus de recul pour évaluer ses effets positifs et/ou négatifs. Ensuite, l’investissement et l’emploi dépendent de différents facteurs, et pas seulement de la fiscalité, même si l’on sait qu’il s’agit d’un facteur important, en particulier en France. Il en résulte que ce n’est pas parce que l’on réduit un ou plusieurs impôts que les investissements et l’emploi vont nécessairement bondir à court terme. D’autres facteurs peuvent bloquer ou, à l’inverse, faire bondir l’investissement et l’emploi. 

L’Impôt sur la Fortune Immobilière aurait rapporté deux fois plus de recettes fiscales qu’anticipé. Est-ce également un signe des difficultés que rencontre l'Etat à prévoir ce que certaines réformes fiscales vont engendrer ? 

Jean-Philippe Delsol : Sur le plan technique, la difficulté ressort des chiffres mêmes qui nous ont été livrés par l’Administration. Elle prévoyait 800 millions de recettes de l’IFI par an et ce sera 1,9 milliard. Si elle n’a pas su prévoir de recettes de l’IFI, comment pourra-t-elle estimer la réforme ? La question principale est de savoir si la suppression de l’ISF avec le maintien d’un impôt sur le patrimoine immobilier a pu être utile à l’économie. Mais comment savoir si un éventuel renforcement des investissements mobiliers est dû à la baisse de l’ISF ou plutôt, par exemple, à l’institution du prélèvement forfaitaire unique à 30 % sur les revenus mobiliers ?

Virginie Pradel : L’administration fiscale formule des hypothèses, mais les réactions des acteurs économiques sont difficilement prévisibles ; si bien que les hypothèses de l’administration fiscale sont en définitive souvent éloignées de la réalité. Mais s’agissant de l’IFI, le montant des recettes initiales a, il me semble, été quelque peu sous-estimé au regard de l’importance du capital immobilier en France et du durcissement du dispositif par rapport à l’ex-ISF. S’agissant du CICE, il était difficile d’attendre des miracles d’une telle usine à gaz. Le gouvernement a voulu justifier ce crédit d’impôt (octroyé à la place de la baisse des charges patronales) par la création d’environ 1 million d’emplois, ce qui était irréaliste. Beaucoup d’entreprises avaient d’abord besoin de reconstituer leur marge qui, rappelons-le, sont bien plus faibles en France que dans d’autres pays européens. En définitive, plusieurs centaines de milliers d’emplois ont bien été créés, ce qui est moins qu’escompté, mais tout de même saluable dans un pays qui souffre d’un chômage endémique depuis de nombreuses années.

Peut-on établir que cette surprise au sujet de l’Impôt sur la Fortune Immobilière est bénéfique en terme d’efficacité macroéconomique, donc en terme d’investissement et d’emploi?

Jean-Philippe Delsol : La suppression de l’ISF et l’institution du Prélèvement Forfaitaire Unique ne peuvent qu’être favorables à l’économie. Mais une évaluation devrait également prendre en compte les effets néfastes de l’IFI. N’est-il pas la cause de la réduction des investissements dans la construction de logements ? Car la vraie question est de savoir pourquoi il faudrait considérer que les investissements dans les entreprises industrielles et commerciales sont souhaitables et nécessaires tandis qu’ils le seraient moins dans la construction de logements ou de bureaux.

Virginie Pradel : Surtaxer l’immobilier, notamment par le biais de l’IFI, n’est pas nécessairement susceptible d’avoir un effet bénéfique à  long terme s’agissant de l’investissement et de l’emploi. Cette surtaxation révèle, au reste, une vision totalement binaire de l’économie. Comment peut-on séparer aussi artificiellement ce qui serait d’une part mobile et donc productif (les actions), et d’autre part immobile et donc improductif (l’immobilier) ? En faisant totalement fi du fait que la filière de l’immobilier représente un incroyable vivier de croissance et d’emploi pour la France. Ainsi, en 2017, selon la 3e étude annuelle sur l’économie et les métiers de l’immobilier et de la ville en France conduite par le cabinet EY, le secteur a représenté près de 11 % de la richesse produite en France (soit plus de 200 milliards d’euros) et a connu une croissance de 3,3 % entre 2016 et 2017 (contre 2,2 % de croissance pour l’économie française sur la même période) : il a occupé plus de 2 millions de personnes et a créé 55 000 emplois (soit 1 emploi sur 5 créés dans notre pays). Qu’on se le dise : la surtaxation de l’immobilier risque de détruire bien plus d’emplois qu’elle ne pourrait en créer et menace, accessoirement, de détruire nos territoires. Par ailleurs, elle risque sérieusement de réduire la proportion de propriétaires français, accablés par les taxes, au profit de propriétaires étrangers plus fortunés et moins taxés. Il va sans dire que la perspective d’une France dont le capital immobilier serait principalement détenu par des étrangers et des institutions financières est inquiétante.

L’évaluation du crédit d’impôt pour la compétitive et l’emploi, réforme phare de Hollande, avait également posé de grandes difficultés d’évaluation.  L'Etat arrive-t-il à anticiper les réactions des différents acteurs à qui il impose ses revirements ? 

Jean-Philippe Delsol : L’institution de l’IFI en lieu et place de l’ISF est le reflet de la philosophie constructiviste du gouvernement et de la majorité actuelle en matière d’économie. Ceux-ci pensent que les règles politiques et budgétaires peuvent dicter les comportements humains alors que les effets de ces mesures ne sont pas toujours ceux attendus. Le meilleur moyen de favoriser le développement d’une économie devrait être plutôt de la libérer de tout excès de contraintes et de charges sociales et fiscales. La France est le pays de l’OCDE qui taxe le plus ses contribuables, entreprises et ménages. Il faudrait qu’elle se remette en cause. Mais pour réduire les impôts, il faut d’abord réduire les dépenses alors que pour le moment, et le projet de budget 2019 en est encore le témoignage, les réductions d’impôts consenties sont financées par le déficit public, c’est à dire sur le dos des générations à venir. 

La réforme de l'ISF était une des réformes phares de la campagne d'Emmanuel Macron. Au regard de ce que nous venons d'aborder, dans quelle mesure est-ce que la réforme peut également être un vrai piège politique pour le gouvernement ?

Jean-Philippe Delsol : La difficulté tient peut-être d’abord au fait que l’évaluation de ces réformes a été confiée à une agence gouvernementale, France Stratégie. Quand vous achetez un appartement, le faites vous évaluer par votre vendeur? D’autant plus que cette agence gouvernementale est connue pour ses positions collectivistes radicales! 

Cette évaluation sera un piège politique parce que chacun pourra la lire comme il le veut, y voir midi à sa porte. Elle suscitera donc nécessairement plus de controverses que de convergences.

Virginie Pradel : D’un point de vue politique, cette réforme a coûté cher à Emmanuel Macron. Elle l’a en effet enfermé dans l’image d’un président des « très riches » dès le début de son quinquennat. C’est malheureusement l’image qu’ont encore de lui une majorité de Français. Or, ces derniers sont toujours plus taxés, en particulier sur la consommation d’énergie (taxe carbone sur le gaz, l’essence, le gazole, le fioul) et d’autres produits (tabacs, etc.), mais aussi sur la détention d’un ou plusieurs biens immobiliers. Ils sont sidérés de voir que les baisses d’impôts peuvent profiter aux plus aisés alors qu’eux-mêmes sont asphyxiés par les prélèvements obligatoires depuis plusieurs années. 

Si cette réforme était à mon sens nécessaire, elle n’en reste pas moins incomprise. Et une réforme incomprise est une réforme non acceptée par l’opinion publique, et donc susceptible d’être remise en cause dans les années à venir. S’agissant de  la concentration de l’ISF (devenu IFI) sur les actifs immobiliers et de la surtaxation de l’immobilier de façon générale en France (encore renforcée depuis le début du quinquennat), cela risque à terme de braquer une partie des Français contre le gouvernement  formes fiscales opérées, dès lors que celles-ci sont toujours susceptibles d’être remises en cause, ce que savent pertinemment les contribuables. Par suite, ils se méfient (à juste titre d’ailleurs !) des réformes opérées et doutent légitimement de leur pérennité ; ce qui entrave la modification (souhaitée) de leur comportement.

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