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"Le Gorille" : Le singe qui voulut être humain
©Capture d'écran Iceland

Atlanti-Culture

Charles Chatelin pour Culture-Tops

Charles Chatelin pour Culture-Tops

Charles Chatelin est chroniqueur pour le site Culture-Tops.
 
Culture-Tops est un site de chroniques couvrant l'ensemble de l'activité culturelle (théâtre, One Man Shows, opéras, ballets, spectacles divers, cinéma, expos, livres, etc.).
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Le Gorille
D’après Franz Kafka
Alejandro Jodorowsky
Mise en scène : Alejandro Jodorowsky
Avec Brontis Jodorowsky

INFOS & RÉSERVATION

Théâtre Le Lucernaire
53, rue Notre-Dame-des-Champs
75006 Paris
Tél. : 01.45.44.57.34
http://www.lucernaire.fr
Jusqu’au 3 novembre 2019, à 21h du mardi au samedi, le dimanche à 18h.

RECOMMANDATION

BonBon

THÈME

Un gorille capturé dans la jungle de l’Afrique est ramené à Hambourg pour être vendu comme animal de cirque. Pendant l’horrible voyage, il réalise que le seul moyen d’échapper à la cage est de tenter de devenir humain, autrement dit : parler, ce à quoi il parvient après d’extraordinaires efforts d’imitation. Engagé dans des spectacles de music-hall, il progresse tant et si bien qu’il parvient au degré d’intelligence normalement exigé d’un individu civilisé. Convaincu, l’État lui octroie un “diplôme d’humanité”. Devenu notre égal, le voilà devant un parterre de scientifiques (le portrait de Darwin domine le dispositif scénique) qui lui demandent de raconter sa stupéfiante aventure. Accoutré en bourgeois, la face lourde, le corps contraint par la posture debout et le surgissement inopiné de tics simiesques, notre gorille va-t-il réussir à transcender ces attributs de singe savant par la noblesse du verbe ?

POINTS FORTS

Singe ou homme ? L’intérêt du rôle tient dans le contraste. Brontis Jodorowsky en joue en virtuose, brouillant peu à peu le personnage jusqu’à ce que l’humanité se révèle bien plus dans sa nature originelle, bestiale, que dans celle – la nôtre – qu’il a adoptée. Du premier mot, « Salut ! », qu’il adresse de sa cage aux marins ébahis qui l’ont séquestré, à l’affairisme cruel dont il fait preuve pour monter dans l’échelle sociale, le gorille a cru se libérer en se civilisant. Il va déchanter, mais chut ! on n’en dira pas plus. Faire surgir tout cela, seul sur scène avec un pupitre, une chaise et quelques affiches de music-hall, demande de la finesse, ce dont Brontis ne manque pas, et aussi des muscles : on n’imite pas un gorille bondissant sans une forte dépense d’énergie.

POINTS FAIBLES

Alejandro Jodorowsky (le père de Brontis) a écrit le Gorille en 2008 d’après Rapport pour une académie, une nouvelle de Kafka datée de 1917. “Jodo” respecte le thème kafkaïen : la liberté d’un individu ne s’acquiert pas dans la soumission à des règles de comportement normatives, mais dans l’acceptation de ce qu’il est profondément. Rester humain, en somme, malgré la veulerie, la méchanceté, l’envie et, bien sûr, l’argent-roi qui, en ce début de XXe siècle, travaille une société mise cul par-dessus tête par la révolution industrielle…

Hélas, autant la démonstration tirée de l’œuvre originale reste brillante et intemporelle, autant l’introduction, dans le texte du Gorille, d’éléments anachroniques force inutilement le trait. Au cas où le spectateur n’aurait pas compris par quoi il est aliéné, il a droit, entre autres, à une lourde séance de zapping télévisuel avec mimiques de circonstance sur l’abêtissement des masses !

EN DEUX MOTS ...

Quoiqu’il en soit, Brontis Jodorowsky transcende le rôle. Quel acteur ! On sent la marque des sept années passées sous la direction d’Ariane Mnouchkine avec la troupe du théâtre du Soleil.

UN EXTRAIT

« Je n’étais pas séduit par l’idée d’imiter les humains ; je les imitais parce que je cherchais une issue… »

L'AUTEUR

Faut-il encore présenter Franz Kafka ? Rapport pour une académie n’est pas sa nouvelle la plus connue, même si elle a été régulièrement adaptée au théâtre (cet été par exemple, avec Mahmoud Ktari dans le rôle, sur une adaptation de Vincent Freulon). Kafka y recourt au même rapport homme-animal que dans la Métamorphose, autre nouvelle – célébrissime celle-là – écrite en 1915, mais en l’inversant (le héros, Gregor Samsa, s’y réveille transformé en insecte, quoiqu’il conserve une humanité plus noble que ses proches, ramassis d’égoïstes englués dans les convenances sociales).

Le franco-chilien Alejandro Jodorowsky a à peu près touché à tout au cours de sa longue carrière (il est né en 1929), souvent avec bonheur. Chantre d’une esthétique mystique et syncrétique, c’est un des fondateurs, en 1962, du mouvement Panique (de Pan, la divinité grecque) avec Fernando Arrabal,  Roland Topor et d’autres ; il a joué, mis en scène et produit au théâtre et au cinéma (la Montagne sacrée notamment) ; il est écrivain et scénariste de bandes dessinées (le cycle de l’Incal, avec Moebius au dessin, est une référence). L’univers kafkaïen ne pouvait que le séduire. Son prochain film, Psychomagie, un art pour guérir, sort en salle en octobre.

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