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Surmortalité et boissons sucrées : pourquoi l'étude européenne qui rend responsable les édulcorants n’est pas valable
©JUSTIN SULLIVAN / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

maladies cardiovasculaires

Le JAMA a publié le 3 septembre une étude sur les boissons sucrées et la mortalité, qui conclue à une responsabilité des édulcorants. Cette étude observationnelle a pourtant d'évidentes limites.

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze est chirurgien à Perpignan.

Passionné par les avancées extraordinaires de sa spécialité depuis un demi siècle, il est resté très attentif aux conditions d'exercice et à l'évolution du système qui conditionnent la qualité des soins.

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Atlantico : Le JAMA a publié le 3 septembre une étude sur les boissons sucrées et la mortalité, pouvez vous la décrire?

Guy-André Pelouze : Un édulcorant est un produit ou substance ayant un goût sucré, cela peut être du sucre, ou un autre hydrate de carbone sucré comme le sirop de glucose/fructose issu du maïs ou bien du sirop de mélasse, d’agave (souvent considérés ou présentés à tort comme n'étant pas un sucre) ou bien un substitut de ces sucres ayant un goût sucré mais sans glucose, fructose ou amidon (l’aspartame est le plus connu). Les boissons sucrées contiennent toutes un édulcorant mais elles ne sont pas toutes gazeuses comme par exemple les jus de fruits auxquels on ajoute du sucre. Leur consommation est importante dans certains pays d’Europe comme l’Allemagne ou la France

Figure n°1: Ventes totales de “soft drinks” en Europe, à l’exclusion des eaux minérales et jus de fruits en volume (millions de litres).

Elles sont suspectées d’être associées (attention associées signifie survenir en même temps mais sans lien de causalité avéré) à une augmentation de la mortalité. Donc cette étude récente a testé l’hypothèse suivante: la consommation de boissons sucrées est elle associée à une  surmortalité en Europe? Pour éviter des biais l’étude a utilisé une base de données de 10 pays européens (Danemark, France, Allemagne, Grèce, Italie, Pays-Bas, Norvège, Espagne, Suède et Royaume-Uni), celle de l’EPIC (enquête prospective européenne sur le cancer et la nutrition) . Le résultat brut est le suivant:  "Dans cette étude, le niveau élevé de consommation de boissons non alcoolisées, édulcorées par du sucre ou artificiellement sucrées était associé à des risques élevés de décès toutes causes." 

Plus précisément dans cette étude de cohorte basée sur une population de 451743 personnes originaires de ces 10 pays d’Europe suivi environ 16 ans, la consommation accrue de boissons gazeuses, édulcorées par adjonction de sucre, est positivement associée aux décès dus aux maladies de l'appareil digestif, et les boissons non alcoolisées édulcorées artificiellement sont associées positivement aux décès dus aux maladies de l'appareil cardiovasculaire (MCV). 

Le risque est utile à connaître quand il est quantifié!

Le quantum de risque

L’association entre une surmortalité toutes causes et la consommation de boissons sucrées est la suivante: deux verres de 250 ml par jour de boissons sucrées augmentent la mortalité de 26% dans le modèle de base (+35% avec les édulcorants artificiels et +17% avec les édulcorants caloriques), sans différence liée au sexe et avec une croissance de la surmortalité depuis le quintile de référence où la consommation est de moins d’un verre de 250 ml par mois. Les auteurs ont séparé la mortalité par cancer, celle par MCV et celle par maladies de l’appareil digestif.  Pour le cancer ni les boissons au sucre ni celle aux édulcorants artificiels n’augmentent le risque de mortalité par cancer toutes causes… Patatras, ce résultat n’a pas dû être très attendu. Il faut rappeler que l’étude EPIC est une étude au départ sur le cancer dans les populations européennes. S’agissant des MCV ce sont les boissons aux édulcorants artificiels qui sont associées à une augmentation de la mortalité d’environ 27%. Pour la mortalité digestive c’est +59%.

Le quantum de boissons sucrées 

Boire au moins 1 verre de 250 ml par jour de boissons sucrées avec du saccharose ou artificiellement est la dose à risque par rapport à moins d’1 verre par mois.

Les limitations spécifiques de cette étude sont très nombreuses

Tout d’abord la fiabilité des résultats suppose la stabilité des comportements alimentaires mais l’évaluation de la consommation par questionnaire a été faite au début et une seule fois. Il est très peu probable que ces comportements aient été stables. D’autre part la mortalité par maladies de l’appareil digestif est un qualificatif très général qui correspond à un chapitre entier de la Classification Internationale des Maladies ce qui en restreint l’utilité et ressemble à une trouvaille statistique ex post. Quelques limitations sont évidentes ou mineures. Les auteurs sont très prudents probablement suite aux avis des pairs qui ont évalué cet article: "Compte tenu de la conception observationnelle de l’étude, il n’est pas possible d’établir un lien de causalité entre la consommation de boissons sans alcool et la mortalité, et nous reconnaissons que les associations observées peuvent être biaisées en raison de la confusion résiduelle. Cependant, le grand nombre de participants et les décès enregistrés (environ 42 000) nous ont permis d'effectuer des analyses par sous-groupe d'autres facteurs de risque de mortalité et nous avons généralement observé des associations similaires entre sous-groupes de facteurs de risque considérés. De plus, l'analyse du contrôle négatif n'a révélé aucune association entre la consommation de boissons sans alcool et le décès. Cette étude a également été limitée par une seule évaluation de la consommation de boissons gazeuses au départ. Alors pourquoi refaire et refaire des études observationnelles? Apparement les auteurs justifient cette étude par le nombre de participants. Nous savons que les biais et l’incertitude des données ne sont pas compensés par la taille de l’échantillon de population.

Dans une étude de cohorte il y a des exclusions: ont été exclus les participants qui ont au moins un cancer signalé (n = 22 537), une maladie cardiaque (n = 12 619), un accident vasculaire cérébral (n = 3683) ou un diabète (n = 12 461). De même les participants au 1% le plus élevé ou le plus faible de la distribution du rapport entre apport énergétique et besoin énergétique estimé (c'est-à-dire ceux dont l'apport alimentaire était aberrant; n = 8828); et les participants dont la consommation de boissons gazeuses était manquante ou ayant une information de suivi manquante (n = 9459). La cohorte finale de l'étude comprenait 451 743 participants (130 662 [28,9%] hommes; 321 081 [71,1%] femmes). Ces exclusions justifiées par une meilleure spécificité des événements au cours du suivi sont un facteur de biais, comme toute mesure arbitraire, en dehors de la qualité des données. Toutefois et même si nous n’avons pas les incidences et tests statistiques des données brutes il est probable que leur inclusion aurait majoré la mesure du risque. En revanche la prépondérance des femmes a certainement affaibli la comparaison des mortalités suivant le sexe.  La précision des données souffre cependant du fait que “soft drinks” ne recouvre pas les mêmes produits dans tous les pays: “The dietary questionnaires for most countries collected information on the frequency of consumption (per glass) of “low calorie or diet fizzy soft drinks”, “fizzy soft drinks, eg cola, lemonade” and “fruit squash or cordial”.” Notons aussi que dans trois pays les boissons sucrées n’ont pas été séparées entre sucrées et artificiellement sucrées.


Pourquoi cette étude observationnelle est plus ou moins probante par exemple que celle que vous avez commentée à propos des protéines végétales 

Plusieurs faits sont à l’origine de cette différence. 

Il est évident pour chacun d’entre nous que répertorier les boissons sucrées par marque est assez facile et ipso facto par facteur édulcorant aussi car c’est fixe dans la recette de production de la boisson. Dans le questionnaire alimentaire il est beaucoup plus difficile de répondre sur les protéines que sur les boissons sucrées. Toutefois des erreurs sont parfaitement possibles et en particulier avec les jus de fruits… La séparation des mortalités toutes causes, par cancers, maladies cardiovasculaires et par maladies de l’appareil digestif est assez fiable car il s’agit d’événements aisément traçables dont l’histoire clinique est très différente. En revanche dans l’étude sur les protéines la consommation de protéines animales ne montraient aucun effet sur la mortalité globale. Il y avait une légère sous mortalité avec les protéines végétales comme avec le poisson… Là il y a une surmortalité et c’est cette association positive qui doit être expliquée. Nous verrons plus loin que l’explication la plus probable ressemble en miroir à celle évoquée pour les protéines végétales.

Pour autant l’essentiel n’est pas là.

Il s’agit d’une cohorte de personnes qui sont entrées dans une étude prospective observationnelle et une fois de plus une association et surtout le quantum de l’effet qui est assez faible, parfois incohérent ne sont pas en faveur d’une causalité. Les auteurs essaient de pousser l’hypothèse causale sans trop y croire comme quand ils nous rapportent une courbe en J de la mortalité toute cause et des quantités de boissons sucrées consommées.

Quel est le sens de ces résultats?

Les boissons sucrées sont associées à une surmortalité cardiovasculaire et de l’appareil digestif mais c’est probablement une causalité inverse

Nous suspectons depuis plusieurs années que la consommation de boissons sucrées avec du sucre ou des hydrates de carbone comme le sirop de maïs ou d'autres végétaux contenant des sucres, est associée à l'obésité. Cette obésité est le résultat du métabolisme des sucres non utilisés puis de l’insulino-résistance qui s’installe; les deux conséquences sont l'augmentation de l'incidence du diabète type 2 et des maladies cardio-vasculaires. L'industrie agroalimentaire est au courant de ces résultats qui ont été précédés par des études expérimentales animales mettant en évidence que les apports en sucres contribuent à l'obésité et multiplie l’incidence du diabète type 2 et des maladies coronariennes en particulier. L'industrie a donc développé très tôt des boissons sucrées avec des édulcorants apportant peu ou pas de calories. L’édulcorant le plus connu est l'aspartame mais il en existe plusieurs autres. La reformulation des boissons non alcoolisées sucrées, dans lesquelles le sucre est remplacé par des édulcorants hypocaloriques ou sans calorie, est aussi dictée par la sensibilisation des consommateurs et récemment par la création de taxes. Les boissons gazeuses sucrées artificiellement ont peu ou pas de calories, cependant, leurs implications physiologiques et sanitaires à long terme sont en grande partie inconnues. Cette étude vient jeter une lumière bien différente sur ces boissons présentées comme “light”, “diet”, “low-cal” ou même “non sucrées”... En anglais elles s’appellent toujours “soft drinks” mais le risque associé lui n’est apparemment pas soft. C’est donc un mythe qui s’effondre et l’industrie a réagi promptement. C’est aussi une grossière erreur de la politique de taxation qui vise le contenu en sucre et non les boissons sucrées en général. Ces taxes n’auront finalement que déplacé la consommation et peut être remplacé un risque par un autre. C’est une fois de plus l’illustration qu’aucune taxe ne peut remplacer le comportement rationnel d’un individu alors qu’elle permet une récolte fiscale et la promotion des bonnes intentions du gouvernement.

Peut on quand même utiliser des pistes ouvertes par ces données de la base EPIC?

Malheureusement cette étude contient trop d’incertitudes 

Le fait que les édulcorants artificiels augmentent la mortalité cardio-vasculaire est très difficile à analyser car ces molécules sont très différentes les unes des autres. Ces résultats vont simplement relancer le débat sur les édulcorants artificiels alors même que l’hypothèse la plus vraisemblable est justement que les personnes qui prennent des risques conduisant à une augmentation des maladies cardio-vasculaires par leur style de vie vont souvent être les premières à essayer de compenser cette prise de risque par des alibis du style “je prends une boisson avec des édulcorants car je n’arrive pas à réduire mon surpoids”. Tout ceci n’est pas nouveau. Pour l’augmentation de la mortalité digestive il est probable que la consommation de sucres rapides par son influence sur la muqueuse favorise les infections intestinales mais aussi la stéatose hépatique non alcoolique , tandis que la  sécrétion d’insuline et celle du facteur de croissance de l’insuline peut-être un accélérateur de croissance des tumeurs comme le cancer colorectal. C’est donc dans cette voie que les recherches peuvent être guidés par cette analyse de la base de données EPIC.

Le sens de ces constatations est probablement assez simple: le mode de vie est le plus important

Il s'agit en fait d’un exemple typique de biais. Si on regarde de près la population de ceux et celles qui boivent beaucoup de boissons sucrées, ils sont plus gros, fument plus et ont un sont moins éduqués. Même si les auteurs ont essayé de redresser ce biais par l'exclusion du facteur IMC (indice de masse corporelle) les autres demeurent et sont à l'origine d'une association inverse. Les populations qui consomment beaucoup de boissons sucrées ont un mode de vie beaucoup plus risqué; on observe aussi dans les interrogatoires de ces personnes qu’elles ont souvent un comportement de compensation, comme si le fait de boire des boissons sucrées non caloriques pouvait compenser l'abus de sucres ou des amidons (en gros les Toblerones et les chips). Comme le sport pour le fumeur, le diet Coke ne compense pas les sucres rapides pris 5 minutes avant. La surmortalité cardiovasculaire est plutôt le reflet de cette prise de risque. S'agissant des boissons sucrées avec des hydrates de carbone on peut aussi soulever l'hypothèse suivante. La présence de nombreux fumeurs dans cette cohorte qui consomment ces boissons est une explication par causalité inverse, la consommation élevée de sucres rapides (glucose et fructose) et l'obésité étant associés à une plus grande incidence des cancers

Voilà pourquoi, le caractère observationnel de cette étude, l’incertitude importante sur la consommation réelle de la population étudiée depuis 1999, les biais et facteurs de confusion font que ces conclusions ont une portée assez faible. Il faut répéter que faire tourner des bases de données dans des logiciels statistiques de régression multivariée représente un standard assez bas dans la qualité des études sur la nutrition humaine.

Conclusion

La première conclusion est simple, buvez de l’eau et si vous aimez les bulles de l’eau gazeuse. Si vous aimez le citron pressez un citron dans l’eau gazeuse; le Perrier citron et voilà! Si vous aimez le goût amer du houblon, les bulles et un peu d’alcool buvez (je suis obligé de l’écrire, mais vous le savez, avec modération) de la bière. Et si vous avez le temps de le préparer buvez un kéfir de fruits bien frais cela vous permettra de faire transformer le sucre stocké dans votre cuisine par des bactéries de fermentation. 

La deuxième conclusion est aussi très simple. Diminuer les sucres, on vit très bien sans sucre blanc à la maison, sans consommation permanente de miel, sans amidon des céréales. La meilleure façon de jeûner c’est de faire un jeûne glucidique et non pas de cesser toute alimentation solide en particulier les protéines. Si les jeûneurs de plusieurs jours mesuraient leur perte de poids respective en eau, muscle et graisse ils seraient très surpris. C’est aussi la meilleure façon de savoir si finalement, contre toute attente, on est addict au sucre… Car si vous préférez le « sirop » de citron à la tranche de citron frais dans le Perrier c’est peut-être tout simplement parce que vous cherchez du sucre (je sais vous n’y “croyez” pas mais posez vous simplement la question).

La troisième est plus subtile. Les édulcorants artificiels ont été étudiés depuis des décennies et leur nocivité n’a pas été prouvée. Il est probable que leur carcinogénicité soit très faible ou nulle. En revanche des effets moins mécaniques sont possibles comme des modifications de la flore intestinale. En revanche leur utilité et donc le bénéfice de les consommer est inconnue. La substitution du sucre par des édulcorants non caloriques dans les boissons ou la cuisine n’a pas été étudiée de manière convaincante et c’est quand même stupéfiant. Ni les gouvernements européens ni l’UE, si prompts à taxer les comportements, n’ont subventionné une telle étude. Dans ces conditions s’en passer relève du bon sens car le rapport bénéfice/risque ne peut guider la décision. À moins que le goût sucré soit devenu si « indispensable » que vous n’hésitez plus à prendre un risque pour tromper votre cerveau…


EPIC (European Prospective Investigation into Cancer and Nutrition): une base de données de l’OMS 

L’enquête prospective européenne sur le cancer et la nutrition (EPIC) est ce que l’on appelle une étude de cohorte c’est-à-dire un ensemble d’individus considérés collectivement. Cette cohorte est prospective c’est à dire que les personnes ont été recrutées avant de commencer l’étude. C’est une base de données observationnelle car aucune intervention n’est faite et seuls les comportements spontanés des individus agrégés dans la cohorte peuvent être étudiés. Cet ensemble compte environ 521 000 participants à l’étude, inscrits dans 23 centres de 10 pays d’Europe occidentale. Des informations détaillées sur le régime alimentaire, les caractéristiques du mode de vie, les mesures anthropométriques et les antécédents médicaux ont été recueillies lors du recrutement (1992-1999).

Des échantillons biologiques comprenant du plasma, du sérum, des globules blancs et des globules rouges ont également été collectés au départ chez 387 889 individus et sont stockés. Globalement, il s’agit de plus de 9 millions d’aliquots, constituant l’une des plus grandes biobanques au monde pour les investigations biochimiques et génétiques sur le cancer et d’autres maladies chroniques. Des mesures de suivi des expositions au mode de vie ont été collectées et centralisées au CIRC en 2019.


Il est tout à fait important  de souligner que l'accumulation de données ne vaut pas rigueur scientifique et surtout ne peut conduire à une affirmation de causalité en dehors d’effets très puissants comme celui du tabac fumé par exemple.

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