L’étonnante persistance du soutien des Français aux Gilets jaunes<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Social
L’étonnante persistance du soutien des Français aux Gilets jaunes
©ANDER GILLENEA / AFP

Match retour ?

Selon une dernière enquête de BVA pour La Tribune sur l'opinion des Français sur les mouvements sociaux en cette rentrée, près de 4 personnes sur 10 continuent d'exprimer un soutien à une prolongation du mouvement des Gilets jaunes.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

Voir la bio »

La dernière enquête de BVA pour La Tribune consacrée à l’opinion des Français sur les mouvements sociaux de la rentrée comporte plusieurs indicateurs sur les opinions vis-à-vis des Gilets jaunes. Ces données montrent un phénomène d’opinion tout à fait passionnant et même fascinant : alors que la mobilisation dans les rues et sur les ronds-points s’est essoufflée, qu’elle n’est parvenue ni à se structurer dans un mouvement politique ni à percer lors des élections européennes, que les éphémères « leaders » du mouvement ont quitté le devant de la scène et déserté les plateaux de télévision, on constate une incroyable résilience du phénomène de soutien aux Gilets jaunes dans l’opinion. L’erreur d’analyse consisterait à ne regarder que la courbe descendante du soutien, sans prêter attention au maintien : si une majorité (52%) des Français interrogés ne souhaite pas que le mouvement des Gilets jaunes se poursuive dans les semaines qui arrivent, il reste néanmoins 39% qui expriment le souhait inverse. Ce sont donc près de 4 Français sur 10 qui continuent d’exprimer un soutien à une prolongation du mouvement ; ce n’est pas rien, dix mois après le début de ce mouvement, à l’issue de 43 samedis de mobilisation et après un engagement sans précédent de l’exécutif pour tenter d’éteindre le brasier !

Que nous disent ces données ? On voit par exemple que le soutien aux Gilets jaunes n’est pas sans lien avec le soutien plus général à d’autres mobilisations : urgences hospitalières, contestations aux projets de réformes dans plusieurs secteurs publics, interrogations et oppositions face à la réforme des retraites dans plusieurs segments de l’opinion. Toutes les enquêtes d’opinion disponibles montrent en effet qu’une toile de fond de mécontentement et d’inquiétudes sociales existe dans le pays. On peut même parler d’une angoisse sociale parmi les catégories de Français les plus exposés aux injustices, aux inégalités, parmi les plus fragiles socialement. Le souhait de voir le mouvement des Gilets jaunes se prolonger exprimerait alors de manière diffuse cette angoisse sociale et la demande de protection face aux changements sociaux en cours. Politiquement, une question se pose alors : s’agit-il, à l’image de ce que l’on avait vu en 1995 lors des grandes grèves, d’une contestation de ces réformes par procuration ?

C’est sans doute aller (trop) vite en besogne et l’on ne peut plaquer sur 2019 la grille de lecture de 1995. Mais un élément du contexte politique d’aujourd’hui doit être noté : la sphère partisane et syndicale de 2019 semble avoir bien du mal à incarner, aux yeux des Français, l’opposition. Quelque chose de bancal s’est mis en place à l’issue des élections de 2017 : les oppositions ont été affaiblies, dévastées pour certaines formations politiques, et un vide s’est installé pour ceux qui s’inquiètent de toutes les réformes. Beaucoup de Français sont d’accord sur le fait qu’il faut des réformes en France, mais les réformes inquiètent, angoissent. En voulant réformer des piliers de notre modèle social, le Président de la République a lancé un chantier très délicat : faire bouger ces piliers tout en expliquant aux Français que c’est en faisant ces réformes que l’on pouvait préserver les fondations de ce modèle social… ! C’est audacieux, c’est paradoxal, c’est risqué… Par ailleurs, dans l’opinion publique, il n’y a pas de consensus sur ce que veut dire « réformer la France » : pour certains c’est abonder dans le sens du chef de l’Etat, pour d’autres c’est « faire payer les riches », pour d’autres encore c’est « lutter contre les injustices ».

Ce sont toutes ces dimensions qu’il faut prendre en compte pour comprendre le maintien d’un niveau significatif de soutien aux Gilets jaunes. A travers ce soutien se dessine de manière diffuse une demande de protection, de solidarité et peut-être aussi une demande de renouvellement des formes de l’action syndicale et politique. N’oublions pas, en effet, la formidable défiance des Français dans les organisations politiques et syndicales traditionnelles, la faiblesse de ces organisations en termes de nombre d’adhérents aussi.

Toutes ces tendances ne sont pas réparties également dans toutes les couches de l’opinion. L’enquête BVA montre la force des clivages sociaux et politiques : le souhait que le mouvement des Gilets jaunes se poursuive est porté par les catégories populaires (52% parmi les employés ou ouvriers), les salariés, les chômeurs, les Français les moins dotés en capital économique, social, culturel, mais aussi une partie importante de petits travailleurs indépendants. Politiquement ce soutien résilient aux Gilets jaunes est au plus haut à gauche (hors du PS) et auprès des sympathisants du RN. Cette sociologie politique est composite, expliquant sans doute la difficulté qu’a eu le mouvement des Gilets jaunes à se structurer politiquement, mais les lignes de force sociologiques se situent clairement parmi les classes moyennes en difficulté et les classes populaires. Après un été d’accalmie, le match entre Emmanuel Macron et les Gilets jaunes n’est en fait pas terminé. Tout le monde n’est pas rentré au vestiaire définitivement et certains demandent la seconde mi-temps ou le match retour…

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !