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Sonia Mabrouk : « Arrêtons de psychologiser et d’idéologiser l’information »
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Bon sens

Sonia Mabrouk, dans son nouveau livre, appelle à une réhabilitation du bon sens et de la sagesse populaire dans une France déboussolée. Ce travail, explique-t-elle, doit notamment être mené par les journalistes.

Sonia Mabrouk

Sonia Mabrouk

Sonia Mabrouk est journaliste sur Europe 1 et CNews, auteur de Reconquérir le sacré (Editions de l'Observatoire, 2023), l'essai Le Monde ne tourne pas rond, ma petite-fille (Flammarion, 2017) et du premier roman sur les enfants du djihad Dans son cœur sommeille la vengeance (Plon, 2018) . Elle a aussi été enseignante à l'université.

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Atlantico : Dans votre nouvel ouvrage « Douce France, où est (passé) ton bon sens ? Lettre ouverte à un pays déboussolé » (publié aux éditions Plon), vous appelez à une réhabilitation du bon sens et de la sagesse populaire dans une France déboussolée. Or vous êtes une des quelques personnalités médiatiques qui tout en assumant leurs origines, défendent un modèle français et revendiquez une forme de patriotisme, ce qui vous expose plus que d’autres. Est-ce que cette position courageuse vous paraît aussi de l’ordre du bon sens ? Comment expliquer qu’elle ne soit pas partagée par tous ?

Sonia Mabrouk : Défendre un modèle pour son pays me paraît être de l'ordre du bon sens. Je me suis toujours demandé pourquoi cette idée n'est pas partagée. Cela me parait être quelque chose de tout à fait naturel, logique et instinctif. Petit à petit, je me suis rendue compte qu'il y avait une forme de honte, une culpabilité qu'ont certaines personnes à parler du modèle de la France, à être fier de leur propre pays.

Je ne sais pas si c'est plus facile pour moi parce que j'ai une double culture, que je viens d'ailleurs et qu'il y a un parfum distancié sur les choses. C'est une chose que j'aimerais justement dénoncer : une attitude toujours culpabilisante, ne pas pouvoir dire qu'il y a un modèle à défendre, une civilisation à défendre, et des choses qu'il faut préserver. On peut le dire sans tabou et sans exclure. L'une des meilleures manières de préserver son modèle est d'en fixer les limites et de montrer comment le protéger. C'est donc une forme de bon sens de le dire et de non-sens de ne pas le dire.

Certains pourraient vous faire le reproche suivant : le bon sens que vous défendez est une soumission à l’ordre existant et aux autorités déjà établies. Que leur répondriez-vous ?

Lorsque l'on évoque le bon sens, d'ailleurs j'en fais l'expérience avec ce livre lorsque j'en parle dans les médias, il y a toujours un regard suspicieux et une peur que l'on vous jette. Il y a un côté ringard, désuet du bon sens. Pire même, quand on en parle, il y a forcément un côté populiste : on pense que je vais forcément flatter les instincts "bas" pour certains, ou que je vais aller dans le sens du peuple. Ce n'est pas une forme d'aberration, on peut se tromper quand on va dans ce sens-là, mais c'est une forme de bon sens qui manque. Pour moi, le bon sens est une forme d'intelligence instinctive authentique. Je l'ai toujours observé chez ma grand-mère. Elle n'avait jamais fait d'études et pourtant j'ai trouvé que son observation du monde était beaucoup plus fine, acérée et nuancée que la mienne. Je me suis donc demandé : quelle est cette chose en plus qui fait qu'elle porte un regard plus complet et instinctif ? Je pense que c'est ce bon sens qui nous manque. Je ne sais pas si je peux le réhabiliter, c'est un grand mot. Dans tous les cas, je veux montrer que dans différents domaines on l'a vite oublié.

Sur les questions d’immigration, d’intégration ou les questions religieuses touchant à l’islam, vous évoquez aussi le besoin de renouer avec le bon sens pour couper court à l’hystérie médiatique. Comment y parvenir alors que ces questions ne sont abordées généralement que dans des moments dramatiques comme ceux de la semaine dernière après Villeurbanne ? Quelle bonne pratique du journalisme défendez-vous sur ces questions ?

Je pense qu'il faut justement l'aborder en dehors de ces moments-là. Le problème que nous avons sur ces thèmes-là est que cela vient par vagues, souvent enrobées d'hystérie parfois collectives et souvent médiatiques. Ce sont des sujets de réflexion pour moi, je suis donc toujours étonnée et attristée que cela soit abordé ainsi. Si ces sujets étaient vraiment des débats, que ce soit l'identité, la civilisation ou la religion de manière générale, ce serait la meilleure manière de dédramatiser tout ce qu'il y a autour. Je donne d'ailleurs souvent l'exemple de ce qu'il se passe de l'autre côté de la Méditerranée, d'un pays que je connais bien comme la Tunisie, où après la Révolution, il y a eu tout un débat sur l'identité : qui sommes-nous ? Vers quoi allons-nous ?

Lorsque ces questions sont abordées sur le long terme, cela permet de poser le débat, même avec l'hystérie qui sera toujours là. En France, on ne peut pas, car le débat est à chaque fois confisqué. Je le porte donc dans les thèmes de mon livre pour ainsi en faire un sujet de réflexion. C'est un combat permanent et ça le sera toujours. Il y a une forme de honte d'en parler car on se dit qu'on va directement stigmatiser une partie de la population : c'est entièrement faux. La population musulmane souhaite en majorité que ce débat soit tenu pour qu'il n'y ait plus d'hystérie et que cela soit abordé tranquillement.

Sur ces questions et sur d’autres sujets politiques, certains hommes politiques et activistes défendent leurs positions comme relevant du progrès : revenir au bon sens en politique, est-ce que cela nécessite d’abandonner cette idée de progrès ?

Tout dépend où l'on se place. Des responsables diront que le bon sens est marqué du sceau du conservatisme, d'autres diront que c'est marqué du sceau du progressisme. J'ai toujours refusé et incompris cette délimitation qui est faite, selon laquelle être progressiste serait être dans le camp du bien. Il y a des thèmes ou des domaines qui peuvent être qualifiés de conservateur et que l'on doit absolument tenir. Au contraire, cette délimitation doit être effacée par le bon sens. C'est pour cela que dans mon livre, à chaque phase, sur chaque domaine, j'essaye d'apporter un exemple. J'espère que cela fracturera les catégories et cases qu'on a dans notre débat politique même si je n'y crois pas du tout.

Dans quelle mesure le bon sens permet-il de freiner le progrès de différentes formes d’idéologies (on peut penser à l’indigénisme, à l’islamisme, mais aussi à des formes de nationalisme réactionnaire) ? Peut-on échapper au pouvoir des idéologues qui se présentent comme des scientifiques au moment même où la science est, dans d’autres domaines, respectée ?

Oui, mais pas par le bon sens. C'est d'ailleurs ce que j'aborde dans l'introduction. On ne peut pas en faire un projet de société et de politique. Je revendique le bon sens à titre personnel pour, à partir de cela, irriguer une société. Mais je ne pense pas que le bon sens puisse être un projet que l'on peut appliquer dans le domaine politique. En revanche, si certains de nos politiques et de nos journalistes, moi inclus, avaient plus de bon sens, on pourrait mettre des barrières. Si le bon sens devenait un projet, il pourrait même être dangereux. Beaucoup d'auteurs le disent : attention, la limite du bon sens est plutôt une façon d'être et de penser dénuée de toute idéologie. C'est ce que j'aborde dans le domaine des médias. Il faut arrêter de psychologiser et d'idéologiser l'information. Je prends l'exemple de Donald Trump : combien de fois lis-je des lancements de sujets où Donald Trump est déjà caricaturé !

D'ailleurs, concernant votre critique des médias et du tribunal médiatique, vous citez l’exemple de Donald Trump. Est-ce que, selon vous, les médias ont participé à la perte du bon sens en devenant le reflet du conformisme, voire d’un « panurgisme effrayant » comme vous le précisez dans votre ouvrage ? Quelles pourraient-être les solutions pour retrouver le chemin du bon sens dans le journalisme ?

Quand vous avez un rouleau compresseur, vous vous laissez emporter un petit peu par le mouvement et la vague, mais à un moment il faut sortir la tête de l'eau et se dire que ce n'est plus possible. C'est réellement ce que j'ai ressenti. Je fais extrêmement attention notamment lorsque je fais le journal à Europe 1 : j'essaye justement d'équilibrer, de ne pas donner une coloration dans le sens dominant de l'information aujourd'hui. A chaque petit niveau, le bon sens est un combat, c'est un projet individuel qui fera une société de bon sens. Dans les médias, on y a contribué : il y a des mots qu'on évite d'utiliser et d'autres qui sont devenus des mots-valises. Par exemple, autrefois on nous reprochait de parler d'attaque islamiste avant même d'en être sûr. Maintenant les mêmes qui nous reprochaient cela utilisent à chaque fois qu'il y a un attentat le terme "déséquilibré" avant même le résultat de l'enquête. C'est un balancier terrible où on va d'un extrême à l'autre finalement sans bon sens. Je veux donc éviter ces automatismes-là.

La multiplicité des parcours pourrait redonner du bon sens dans le journalisme. J'ai remarqué que plus vous venez de milieux différents, plus vous avez des approches totalement différentes. C'est formidable dans ce métier qu'il y ait des gens qui viennent d'autre part que d'une école de journalisme. C'est d'ailleurs ce qu'on est en train d'avoir puisque l'on a aujourd'hui des éditorialistes et des journalistes issus de différents milieux. Évidemment, la solution que je préconise aussi serait d'enlever les œillères, de voir le monde tel qu'il est, d'arrêter ce discours dominant et de combattre ceux qui le tiennent. Je donne aussi l'exemple des djihadistes et de certains mots qui ont été confisqués et utilisés à tort. C'est donc un combat permanent où il ne faut jamais baisser la garde pour le bien de notre métier et cela vaut pour tous les autres domaines.

Il est difficile de définir le bon sens de manière générale. Il peut être défini finalement dans plusieurs domaines, c'est pour cela que j'ai évoqué une dizaine de partis pour ainsi montrer qu'en irriguant différents domaines le projet de société. J'ai essayé d'élargir mon travail à d'autres sujets où il me semple plus cohérent et plus construit pour une société de bon sens.

Le nouveau livre de Sonia Mabrouk, "Douce France, où est (passé) ton bon sens ?", est publié aux éditions Plon. 

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