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Pourquoi Christine Lagarde est en train de démontrer qu’elle a plus de pouvoir qu’Emmanuel Macron
©Fabrice COFFRINI / AFP

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La future présidente de la Banque centrale européenne (BCE), Christine Lagarde s'est prononcée en faveur du maintien de la politique monétaire actuelle de soutien à l'économie de la zone euro.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Atlantico : À quels signes voit-on que Christine Lagarde a davantage d'impacts sur la conjoncture qu'Emmanuel Macron ? Comment expliquer que, alors que le président français semble s'enliser dans l'immobilisme politique, la présidente de la BCE avance à pas de géants ?

Mathieu Mucherie : Pour commencer, il y a un élément institutionnel – même s'il n'est pas dans les textes officiels – qui explique le pouvoir de Christine Lagarde aujourd'hui. Quand on dirige la BCE ou quand on s'apprête à la diriger, on est ipso facto beaucoup plus important qu'un chef d'État d'un des principaux pays de la zone euro. Ce n'est pas écrit dans le Traité de Maastricht ni ailleurs, mais c'est la réalité de marché et les marchés ne sont pas remplis de philanthropes, mais de milliers d'opérateurs décentralisés qui jouent avec leur argent et considèrent qu'un responsable de la BCE est plus important qu'un responsable politique, y compris parmi les plus importants. La meilleure preuve étant la capacité de Jean-Claude Trichet, Mario Draghi ou Christine Lagarde maintenant, à jouer sur les taux d'intérêt, les taux de change, la valeur de l'ensemble des classes d'actifs et le sauvetage des banques, alors même que les différents chefs d'État sont incapables de le faire, quand bien même ils le voudraient. Ipso facto, Christine Lagarde a été investie à une influence considérable.

Il se trouve qu'en plus, mais cela demandera à être confirmé, Christine Lagarde a l'intention de se servir de ses influences pour agir dans le bon sens, ce qui est assez rare en zone euro. On connaît déjà ses positions antérieures qui sont plutôt "colombe" en termes de politique monétaire – même si ce n'est pas une spécialiste du domaine. On suppose qu'à terme elle s'entourera de personnes qui sont plutôt de son avis. Elle a l'air douée pour la communication et emportera une partie du comité vers des positions plus souples. Elle a été un peu aidée par Draghi qui, ces derniers mois, a fait en sorte que l'institution fasse volte-face sur un certain nombre de points de blocage. La BCE avait créé des points de blocage exprès pour empêcher les détentes monétaires futures, notamment une règle de non-détention à partir d'un certain seuil des dettes publiques nationales ou la règle qui interdit de dépasser la cible à 2% d'inflation. Mario Draghi s'est employé à faire sauter ces règles une à une ces derniers mois. Le pouvoir de Christine Lagarde est donc sans limite puisque la BCE est indépendante : pendant huit ans, elle sera en situation de souveraineté totale, sans électeurs à convaincre et avec un prédécesseur qui lui ouvre en quelque sorte un boulevard, même s'il faudra continuer à convaincre les Allemands à chaque étape.

Les effets de la direction que donne Christine Lagarde à la BCE se font déjà sentir. La baisse de l'euro a commencé (toutes choses égales par ailleurs) et ne serait pas advenue si Jens Weidmann avait été président de la BCE. Normalement, les taux courts vont baisser dès septembre et dans les mois qui suivent et la zone euro devrait être protégé pour la récession à venir.

Cette domination du champ économique par Christine Lagarde va-t-il durer ? Entre Francfort et l'Élysée, le pouvoir pourrait-il changer de camp dans les années à venir ? Sous quelles conditions ?

Le grand enjeu pour Christine Lagarde est de ne pas décevoir. Le problème des banquiers centraux qui ont parfois de bonnes intentions (remettre la cible d'inflation à 2%, éviter que la BCE se japonise etc.) est qu'ils ont tendance à promettre beaucoup et rapidement décevoir. Ce fût le cas de Mark Carney en Angleterre, de Kuroda au Japon, de Bernanke et Yellen à la Fed, de Draghi à la BCE dans une moindre mesure. Il faut donc que Christine Lagarde ne se fasse pas envahir par la pensée de la Deutsch Bank : son staff sera essentiellement allemand à Francfort et c'est une institution qui est un peu gérée au consensus. Il n'y a pas de vote, sinon d'un point de vue juridique, donc cela se passe quasiment de façon soviétique, à la main levée. Dès lors, il faut qu'elle choisisse entre s'imposer de façon dictatoriale ou essayer le consensus. Dans tous les cas, elle ne pourra pas véritablement tolérer qu'une énorme partie du comité fasse opposition. Christine Lagarde a des capacités de communication et de mise en consensus : il faudra donc qu'elle avale des couleuvres. La BCE continuera à faire trop peu et trop tard, à se "japoniser" en tendance, mais avec une française à sa tête et non le bloc allemand.

D'un autre côté, Emmanuel Macron pourrait essayer de peser à nouveau sur le réel : chose qu'il n'a jamais fait jusqu'ici, sauf si l'on considère que sa présidence a été plutôt favorable au business. En règle générale, il n'a eu d'impact ni dans ses pseudo-réformes ni dans ses magouilles budgétaires permanentes. Pour le moment, Macron repose essentiellement sur de la communication d'un point de vue économique. Il pourrait concurrencer le pouvoir de Christine Lagarde. Pour cela, il faudrait en finir avec l'inflation des mots : autant Lagarde doit lutter contre la déflation, autant lui doit lutter contre l'hyperinflation textuelle et langagière pour ne pas agacer ses partenaires européens. Il avait promis l'Europe fédérale pour les JO de Paris en 2024, il avait promis un ministre des finances de la zone euro doté d'un budget véritable : il faudrait le budget des Etats-Unis pour financer le tout, ou bien une unification de politique européenne dont personne ne veut apparemment - même pas lui en réalité.

Pour retrouver un pouvoir à l'échelle européenne sur l'économie, Macron a le choix de plusieurs méthodes. La première était de mettre Christine Lagarde à la tête de la BCE et d'éviter d'avoir Jens Weidmann : il faut le féliciter pour ce coup de force. Tout l'establishment français a compris qu'il valait mieux avoir une politique accommodante pendant huit ans. Macron a aussi la possibilité de profiter des taux actuellement très bas pour s'endetter sur des maturités plus longues : en bonne gestion du Trésor français, il faudrait émettre des obligations 15 ans, 20 ans ou 30 ans et arrêter d'en émettre de moins de 10 ans. D'autant plus qu'en ce moment, jusqu'à très loin sur la courbe, on peut s'endetter gratuitement. Cette situation est temporaire mais il faut en profiter pour s'endetter plus longtemps.

D'autre part, Emmanuel Macron devrait organiser un véritable "Grenelle" – chose qui n'a pas eu lieu depuis cinquante ans – afin de résoudre les problèmes de pouvoir d'achat, de motivation des salariés dans les grandes entreprises cotées etc. Il faut donc forcer le système, non pas à produire des textes inutiles sur la responsabilité sociale des entreprises, mais à réserver une partie de la valeur des entreprises aux salariés. Cette méthode est encore très résiduelle en France : il faudrait aller plus loin en débloquant des verrous réglementaires et fiscaux, mettre de l'énergie et de l'argent sur la table. Si l'on veut transformer le pays et achever ce que le général de Gaulle n'a pas terminé, il y a là un bon chantier.

Emmanuel Macron a d'autres moyens de reprendre la main sur Christine Lagarde, notamment en investissant dans certains chantiers cruciaux : la remise des dettes par exemple. En France, deux millions de personnes vivent le couteau sous la gorge inutilement. Comme l'État peut s'endetter à taux zéro, autant acheter les dettes des Français en difficulté et les réintroduire dans le circuit économique : cela ferait office d'une vraie politique sociale. A condition de profiter de cette période dite de taux bas, Macron peut reprendre la main sur Christine Lagarde, en bonne collaboration si possible avec les partenaires européens et en cohérence avec la politique monétaire. La France a la chance d'être un peu protégé par la BCE en ce moment, ce qui n'a pas toujours été le cas : il est temps d'oser certains investissements, en consacrant par exemple plus d'argent à Ariane et au projet spatial européen. Même chose pour Erasmus et d'autres beaux projets européens : ce sont ces chantiers que la France doit investir, au lieu de spéculer sur les vingt millions pour la forêt amazonienne. Ce qui est sûr, c'est que Christine Lagarde va probablement travailler à plusieurs dossiers (elle a déjà commencé), notamment avec la récession qui approche, la faillite de la Deutsch Bank qui arrive et le second Quantitative Easing à venir. Macron agira-t-il aussi ? L'avenir nous le dira.

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