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Pourquoi sa théorie du « complotisme économique » fait faire à Donald Trump l’inverse de ce qu’il devrait
©NICHOLAS KAMM / AFP

Wrong again

Sa vision de l'économie à base de manipulations et de rapports de force s'oppose à la réalité la plus élémentaire.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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On lui en veut, à lui et à l’Amérique ! Donald Trump en est persuadé. Il a une vision complotiste de l’économie, à base de manipulations et de rapports de force, largement secrets, qu’il s’agisse de gratte-ciel à New-York, ou de son pays. Il en tire ses analyses et sa démarche pour renforcer l’économie américaine, en cherchant à affaiblir ses partenaires comme l’Allemagne, ou ses opposants, comme la Chine et la Russie. Tous sont devenus voleurs, manipulateurs ou trafiquants… Peu de différence désormais avec ses ennemis avérés, Corée du Nord ou Iran, avec lesquels il veut, quand même, négocier. Mais, par malheur pour lui, ses actions conduisent à l’inverse du résultat attendu. C’est l’union de fait, et désormais de plus en plus concertée, de ceux qu’il veut diviser. Avec lui, le risque devient alors qu’il en rajoute pour appliquer son plan, au risque de faire plonger l’économie mondiale dans son entier, en commençant par les bourses.

D’abord, Donald  Trump ne croit pas que la Chine soit une économie de marché : il n’est d’ailleurs pas le seul, mais en tire des conséquences extrêmes. Pour lui, les produits exportés de Chine aux États-Unis viennent largement de licences volées… aux États-Unis. Ils sont faits par des salariés sous payés, et vendus avec un yuan manipulé. Des complots partout donc, qui expliquent le premier déficit commercial américain (419 milliards de dollars en 2018). Pareil pour le troisième (après le Mexique), avec l’Allemagne cette fois (68 milliards de dollars) : les moteurs sont trafiqués, ce qui n’est pas faux pour tous, l’euro manipulé, ce qui est plus difficile à prouver. Et Donald Trump ne croit non plus ses propres experts qui lui disent que la croissance potentielle américaine est de 1,5%, et qu’il prend des risques en forçant ainsi la machine. Évidemment, il croit moins encore Jerome Powell, qui a monté l’an dernier ses taux d’intérêt par crainte d’un regain inflationniste, et qu’il vient de forcer à tourner casaque, en les baissant !

Pour Trump, un véritable complot vise à forcer les États-Unis à acheter des produits que les ouvriers et les entreprises américains pourraient produire eux-mêmes, à leur détriment donc. Ceci pèse sur la croissance américaine et y fait monter la dette publique, avec des bons du trésor aux mains des Chinois, leur premier détenteur extérieur. Et cela, alors que ce déficit budgétaire devrait plutôt y financer les infrastructures, pour faire passer la croissance américaine à 3% au moins.

Cette analyse trumpienne explique toute sa démarche. La Chine ne doit plus « vivre sur le dos des Américains » qui achètent les produits chinois. Donald Trump augmente donc leurs droits de douane à l’importation. Ceci renchérit les produits chinois qui viennent sur le sol américain, ce qu’il nie (!), mais c’est le prix à payer pour faire ralentir la Chine, une Chine surendettée qui devra alors négocier, pour éviter la faillite. Sous pression, elle devra s’ouvrir aux importations et aux sociétés américaines, et s’engager à protéger les droits de propriété étrangers. Donald insiste aussi sur la manipulation du yuan, à contrer, et sur les risques que fait peser la Chine sur la sécurité intérieure et militaire américaine, à contrer en bloquant Huawei. Malheureusement, le déficit commercial américain ne cesse de se creuser, la Chine réduisant ses importations de soja et passant par le Vietnam et le Cambodge pour exporter, sans hausse de taxes. Et maintenant elle laisse baisser un peu le yuan : c’est à cause de Trump que l’économie chinoise faiblit, disent les autorités. Il ne leur sert donc à rien de vendre des bons du trésor américain pour soutenir le change : c’est peine perdue, mais à cause de lui, assurent-elles ! Malheureusement, les manœuvres trumpiennes déclenchent à ce jour des réactions de marché opposées à leur objectif.

Pour soutenir la croissance américaine, Donald Trump décide en plus de baisser les impôts sur les sociétés, notamment ceux qui pèsent sur les profits des multinationales et qui se trouvent « parqués », en attente, dans des comptes européens. Dans son esprit, ce profit rapatrié devra soutenir l’investissement, donc la croissance, l’emploi et la bourse. Malheureusement, les profits rapatriés des entreprises leur ont plutôt permis de racheter leurs titres et d’augmenter leurs dividendes pour soutenir leurs cours, pas pour investir plus. Et le déficit budgétaire américain monte davantage, suite à ses cadeaux fiscaux !

Alors, pour prolonger l’expansion, la plus longue de l’histoire américaine, Donald Trump « convainc » la Fed de baisser ses taux le 31 juillet. Mais le vendredi 2 août, on annonce 164 000 emplois en juillet après 193 000 en juin (chiffre revu à la hausse). Rien d’annonciateur de récession ! Malheureusement encore, l’engagement devenu ainsi manifeste de la Fed de soutenir à tout prix l’économie américaine face à des menaces nouvelles de hausses de droits de douane contre la Chine, fait du dollar la devise la plus sûre au monde ! C’est la ruée pour acheter des bons du trésor américain, et le dollar remonte !

Il est décidément compliqué à déjouer, ce complot anti-américain qui fait des États-Unis l’acheteur en dernier ressort ! Le voilà qui réussit, au-delà des espérances de ses « auteurs secrets » : déficit extérieur record, déficit budgétaire qui passe le trillion de dollars, plus de bons du trésor de déficit que les Américains achètent davantage, interrogations sur le dollar et montée de l’or ! 

 « Complot anti-américain mondial », à moins qu’il ne s’agisse plutôt d’économie élémentaire ? Un pays qui épargne plus qu’il ne consomme, donc en déficit extérieur, et où les profits, moins taxés, sont concentrés dans quelques mains qui ne payent pas d’impôts, donc en déficit budgétaire : vous y êtes ! Mettez plus d’Américains au travail, avec des salaires faibles et surtout en faible progression, donc qui s’endettent, face à une minorité extrême qui détient la moitié de la richesse du pays, et vous avez ce qui se passe. Sans complot.

Le pire est que Donald Trump n’a qu’une idée : sanctionner plus davantage de monde, tandis que les candidats Démocrates veulent seulement plus de dépenses sociales, notamment pour la santé. Le niveau d’analyse économique ne monte pas. « Les riches paieront », disent les Démocrates ! Ils en ont les moyens certes, mais aucune idée sur la révolution technologique en cours et les solutions qu’elle apporte, avec les politiques à mener pour avoir plus de croissance stable, aux États-Unis et ailleurs. Pour faire du complotisme économique, et le rater, il suffit de ne pas faire d’économie !

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