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Emmanuel Macron, ne touchez pas à notre système social s’il vous plaît. Sans lui, je ne serais plus là. Il m'a sauvée
©GUILLAUME SOUVANT / AFP

Un Produit français vivant

Sans lui, je ne serais plus là. Il m'a sauvée.

Marie Abel

Marie Abel

Marie Abel est chercheuse.

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J'ai toujours connu l'hôpital et la maladie, et ce depuis mes 2 ans. Je suis familière, voire à l'aise, avec les examens médicaux de tous genres : prise de sang, examens en petite culotte de la rotation et de la flexion de ma hanche, IRM, scanner, radiographies, électrocardiogrammes, encéphalogrammes...

Je connais les hospitalisations longues, la gentillesse des infirmières, le langage médical si particulier, l'apparente froideur des médecins spécialistes, la douceur des internes, la nourriture de l'hôpital qui, je dois l'avouer, s'est nettement améliorée en 25 ans.

J'ai connu la morphine et toute autre sorte d'antidouleurs. J'ai connu le fauteuil roulant, les cannes anglaises, les appareillages de toute sorte, y compris les tractions. J'ai connu la mort d'autres enfants, avec des maladies bien plus grave que la mienne. Puis, la peur de ma propre mort, quand j'ai eu une infection et qu'on a dû m'opérer à nouveau. Je sais qu'on ne revient pas de la mort. J'ai peur du néant quand je ferme les yeux. Je ne ne veux pas me perdre dans les limbes et ne plus jamais voir ma mère.

Citoyenne française, née sur le sol français de parents français, j'ai bénéficié de notre système de sécurité sociale à 100 %. Les neuf premières années de ma vie ont été essentiellement centrées sur ma santé fragile, et le système de santé français a été mon premier compagnon.

Puis, sont arrivés les problèmes familiaux. Le couple parental autour de moi se sépare. Mon père ne parle plus, puis part loin. C'est la première fois que je vois un psychiatre. C'est la première fois que je bois. C'est la première fois que je me fais du mal. Mais personne ne voit rien dans ma famille. Disons que ma famille est aveuglée de tristesse, et que j'ai dû me débrouiller seule.

Je ne suis plus retournée à l'hôpital, abandonnant mon suivi. La justice française est devenue ma nouvelle compagne. Je rencontre un juge à qui je dis que j'aime ma mère et que mon père ne donnepas de nouvelles. Puis, ce sont les jugements, les arrêts, et un divorce qui dure et qui dérange même la Cour de cassation, sans succès. Dix années se sont écoulées avant que le divorce ne soit enfin prononcé. Je me sens orpheline de parents. Je suis déjà un produit français.

Après avoir effectué tout mon scolaire en école publique, je m'oriente vers une prépa dans un lycée public, puis vers l'université. Mes études sont gratuites, quasiment. Je touche une bourse car ma mère ne gagne pas assez pour subvenir à mes besoins. Je touche aussi une allocation logement, pour les mêmes raisons.

Puis, arrivée à Paris pour continuer mes études, je ne touche plus de bourse. Ma mère s'est remariée, et elle gagne trop pour que je puisse prétendre à obtenir une bourse. Mais ma mère ne veut pasm'aider. Elle n'a pas de projet pour moi. Donc je travaille. J'enchaîne les petits boulots tout en restant studieuse. Je tombe amoureuse, plusieurs fois. Puis je me casse les ailes, pour diverses raisons. Je dois revoir un psychiatre, car je ne peux plus me lever, je ne peux plus arrêter de pleurer. Mes parents ne sont pas là, incapables de gérer une telle situation. Pire, ce qui m'arrive leur arrive à eux, en fait.

Je connais les anxiolytiques, puis les antidépresseurs, les CMP, la différence entre les psychologues et les psychiatres. Puis l'hôpital psychiatrique.

Je ressors de cette histoire avec un sac de médicaments en guise de cannes anglaises. Je sais que comparé à ma sœur, qui a 11 ans de plus que moi, je n'ai pas beaucoup de cheveux, et je semble en moins meilleure forme. Je sais que je ne peux pas prétendre à une vie rêvée comme la rêve ma sœur, car mes fragilités m'isolent et me rendent trop lucide parfois.

Enfin, je garde des séquelles de ma maladie d'enfance. Je dors mal, depuis longtemps. Je suis fragile moralement. J'ai trouvé un CDI. Mais quand mon manager pose ses mains belliqueuses et tremblantes sur moi, à l'occasion d'une demande d'augmentation de salaire, je tombe malade. Ma thyroïde s'enflamme d'une maladie auto immune qui me mets au tapis pendant plus de six mois.

Je bénéficie donc d'un arrêt maladie. Comble de la situation, alors que je souhaitais une augmentation de salaire, car les jeunes sont mal payés en France, au delà de quatre mois d'arrêt maladie, je netouche plus que 80 % de mon salaire. Ma nouvelle mère, la Sécurité sociale, verse une partie de mon salaire sous forme d'indemnités journalières.

La maladie que j'ai contractée petite me rattrape et je dois de nouveau me faire opérer. Ambulances, médecins, radiographies, IRM, salle d'opération, salle de réveil. Douleur. Échelle de 0 à 10.

En rééducation post opératoire, un kinésithérapeute me demande d'évaluer ma douleur. Par pudeur, je dis 6. Puis, il me dit qu'il n'est pas dans mon corps et que je dois lui dire réellement ce que je ressens en me servant de cette échelle. Je détourne la tête pour qu'il ne voit pas mes larmes. C'est un 9 en fait, si on prend en compte mes sentiments. La douleur, au delà d'être physique, affaiblit moralement.

J'ai trente ans. Je viens de sortir de l'hôpital. Je suis claudicante et j'ai mal. Je me dis que ma vie est brisée. Je n'ai plus de travail, aucune idée de ce que je vais faire. Je vais bientôt toucher le chômage, chômage de cadre, de la part de Pôle emploi.

Je ne sais pas quand je serai rétablie. Grâce à ma mutuelle d'entreprise et au système français, je n'ai rien à prendre en charge. Seuls les outils d'aide à l'habillement, comme les pinces, les chausses-pieds plus longs et autres, sont à ma charge. Ma solitude, gagnée au fil du temps, reste à ma charge aussi. J'ai le cœur brisé. Certaines personnes reviennent vers moi, mais des personnes rencontrées alors que je ne parlais pas de maladie, sont absentes et totalement absorbées par leurs propres vies. Une vie que j'ai tenté d’atteindre, sans jamais y arriver réellement. Une vie faite de projets à deux, d'after-work, de travail acharné, d'argent, de trajets matinaux en métro sur-bondé, de stress hiérarchique, parfois de frime, de jalousies, de compétitions.

Je redécouvre l'amour fraternel que j'ai oublié pendant que j'ai vécu ma vie de con, quand mes parents m'ont poussée à faire des études gratuites mais qui me rapporteraient de l'argent, et quand j'ai travaillé pour me faire de l'argent, m'inventant des passions étrangères à ce que je suis intérieurement.

Je me regarde. Je suis un pur produit français. La patrie est ma béquille. Je ne serais pas là sans elle. J'implore le président Macron de ne pas toucher à cette béquille. Le chômage, la santé, le système boursier universitaire ne sont pas des choix. Je ne suis pas une profiteuse. J'ai eu des accidents. Malgré cela, je porte un regard amoureux sur l'humanité, et je veux faire du bien.

Les accidents arrivent, même aux plus pauvres. Le système français doit continuer à porter son secours, et dans de bonnes conditions.

Soutenons ceux qui font ce système français. Militons pour plus de moyens. Je le répète, les accidents arrivent. Sans prévenir.

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