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Manifestations en hommage à Steve : le risque de la tache d’huile dans une France fracturée
©MEHDI FEDOUACH / AFP

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Le corps de Steve a été retrouvé ce lundi dans la Loire, à Nantes. Une découverte qui a relancé la polémique sur les "violences policières". Polémique et affaire aussitôt récupérées par l'extrême-gauche, laquelle à l'image d'Alexis Corbière s'en est pris au gouvernement par l'intermédiaire de son ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, qu'il accuse d'être "un ministre faible".

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Des rassemblements sont organisés ce week-end dans plusieurs villes de France en hommage à Steve dont le corps a été retrouvé dans la Loire lundi 29 juillet. Si certains rassemblements visent à rendre véritablement hommage au jeune homme, d'autres appellent à protester contre "les violences policières". Lors d'une manifestation mardi à Toulouse, des "Castaner démission" ou encore "La police assassine" ont déjà été entendus. Alors que suite notamment au mouvement des Gilets jaunes, la tension était déjà exacerbée au sein de la société française, la mort de Steve pourrait-elle faire tâche d'huile ?   

Vincent Tournier : C’est une éventualité qu’on ne peut pas exclure par les temps qui courent car on voit bien qu’il y a de très vives tensions dans la société. Néanmoins, les tensions et les mobilisations ne sont pas toutes de même nature. Songeons notamment à cette affaire des permanences parlementaires qui ont fait l’objet de dégradation : c’est un type d’action politique qui est assez nouveau, du moins avec cette ampleur. Par exemple, on n’a pas vu ce type de dégradations lors des émeutes de banlieues ou lors des actions de l’ultra-gauche. Cela mérite réflexion : que signifie le fait que les parlementaires soient ciblés ? Est-ce que les manifestants de Nantes sont prêts à faire la même chose ? Etaient-ils sur les ronds-points ?

En fait, les logiques qui animent les contestations actuelles paraissent très différentes. Peut-il y avoir une jonction entre les fêtards de Nantes et les Gilets jaunes ? Tout paraît les opposer : d’un côté, les gilets jaunes représentent plutôt la France périphérique qui se sent abandonnée par les gagnants de la mondialisation ; de l’autre, les jeunes urbains branchés entendent faire la fête comme bon leur semble et sont allergiques à l’autorité. Leur seul point commun est l’intervention de la police. Mais cela peut-il suffire pour créer une convergence des luttes ? 

Que traduisent ces manifestations ? Si l'extrême gauche s'est déjà emparée de l'affaire en exprimant son indignation et en fustigeant le gouvernement, doit-on craindre une récupération plus vaste ?

L’extrême-gauche rêve d’avoir des martyrs : rien de tel qu’un martyr pour crédibiliser son combat et son idéologie. Mais elle a beau dramatiser, elle peine à convaincre des drames comme la mort de Steve Maia Caniço sont l’expression d’un Etat totalitaire qui massacre ses citoyens. Si l’on prend par exemple l’affaire Rémi Fraisse, il y a un parallèle frappant avec Steve : dans les deux cas, il s’agit d’un malencontreux enchaînement de circonstances. Si Rémi Fraisse n’avait pas eu un sac à dos qui a bloqué la grenade, et si Steve Canaço avait su nager, tous les deux seraient probablement encore en vie. Cela n’enlève évidemment rien à la douleur des familles, mais la récupération politique de ces deux affaires reste difficile. Il faut une sacrée dose de mauvaise foi pour considérer  que ces personnes ont été assassinées par la police ou par un système. Certes, il est clair que l’attitude de la police s’est durcie depuis le mouvement des Gilets jaunes, mais la police intervient toujours dans le cadre d’une doctrine visant à limiter la confrontation physique et la montée aux extrêmes. Les manifestants de Hong-Kong ont plus de souci à se faire que ceux de Nantes. Soit dit en passant, si la police chinoise finit par se lancer dans une répression tous azimuts, il sera intéressant de voir comment l’ultra-gauche analyse la répression de la part d’un régime communiste.

Face à une affaire qui rappelle la mort de Rémi Fraisse, le gouvernement redouble d'efforts de communication, le Premier ministre s'est par exemple directement entretenu avec la mère de Steve cette semaine. Quelle position peut adopter le gouvernement  afin de ne pas se trouver face à un nouveau mouvement similaire à celui de la crise des Gilets jaunes ?

Le gouvernement est sur le qui-vive parce que, sur ce genre de sujets, un emballement est toujours possible, surtout dans une ville comme Nantes où les mouvements militants radicaux sont bien implantés, sans doute pour des raisons liées à l’histoire longue de cette région.

A ce stade, la stratégie du gouvernement semble se concentrer sur deux axes : tenir à l’écart le président de la République (d’où la mise en scène de la conférence conjointe du premier ministre et du ministre de l’Intérieur) et éviter d’ouvrir un espace politique à l’opposition (ce qui explique les discours compassionnels à l’égard des victimes). On pourrait éventuellement ajouter une troisième stratégie : tenter de faire diversion en dramatisant les attaques contre les permanences parlementaires, que le ministre de l’Intérieur a comparées à un « attentat », mais cette stratégie peut s’avérer contre-productive.

La période la plus délicate se joue sans doute actuellement : c’est maintenant que le mouvement peut se durcir, alors que l’émotion est forte. En tout cas, le gouvernement sait que le temps joue en sa faveur. Il lui faut donc jouer la montre, ce qui suppose d’insister sur le respect des procédures d’investigation et du calendrier judiciaire. 

Malgré tout, on ne peut s’empêcher de penser que toute cette affaire s’apparente à une pièce de théâtre. Chacun joue un rôle convenu : les jeunes dénoncent les « violences policières », l’avocate de la famille monte en gamme en parlant d’une « affaire d’Etat », les policiers se justifient en disant qu’ils ont dû faire face à la forte agressivité des participants sur les quais de la Loire, la mairie de Nantes se défausse de ses responsabilités, les adversaires de Christophe Castaner au sein de la majorité en profitent pour tenter de régler leurs comptes, et le gouvernement fait étalage de ses bons sentiments pour éviter de perdre le contrôle de la situation. On verra bien ce que diront les enquêtes officielles, si elles parviennent à établir le déroulement exact des faits. Mais pour l’heure, tout ceci fait penser à l’énième remake d’un scénario usé jusqu’à la corde. En cette période de torpeur estivale, cela peut donner une occasion de se distraire. Mais est-ce que cela intéresse vraiment beaucoup de monde en dehors des protagonistes ? Et surtout, est-ce vraiment important ? Dans un article récent, Maxime Tandonnet relevait que les commentaires médiatiques se focalisent depuis quelques semaines sur des sujets futiles et traitent a minima les dossiers importants comme le CETA ou les tensions géopolitiques (). Ce n’est évidemment pas nouveau, et les médias ne font sans doute que répondre à une demande de leur public, mais on peut quand même se demander si nous sommes bien préparés à affronter les enjeux qui nous attendent.


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