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Train des primeurs : ce que la France rate et qui marche pourtant ailleurs
©RAYMOND ROIG / AFP

Suspension temporaire

Le train de primeurs Perpignan-Rungis est suspendu jusqu'au 1er novembre. La ministre des Transports et de la Transition écologique, Elisabeth Borne, a confirmé la reprise de cette ligne le 1er novembre prochain.

Alain Bonnafous

Alain Bonnafous

Alain Bonnafous est Professeur honoraire à l’Université de Lyon et chercheur au Laboratoire d’Economie des Transports dont il a été le premier directeur. Auteur de nombreuses publications, il a été lauréat du « Jules Dupuit Award » de la World Conference on Transport Research (Lisbonne 2010, décerné tous les trois ans).

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Atlantico.fr : Il a été décidé au cours d'une réunion rassemblant l'Etat, les collectivités locales et la SNCF que le train Rungis-Perpignan s'arrêterait au moins jusqu'en Novembre. Qu'est ce qui a motivé cette décision ? 

Alain Bonnafous : L’émotion médiatico-écologique que suscite cet évènement, qui est à peu près au niveau Greta Thunberg, explique cette présence incongrue de l’Etat et de la Région Occitanie sur un dossier qui ne relève pas de leur compétence. C’est fondamentalement un problème d’entreprise qui se pose sur un marché aujourd’hui ouvert à la concurrence et qui n’a rien à voir avec des obligations de service public.

Fret SNCF est dans une situation de quasi faillite, ainsi que l’a démontré le référé de la Cour des Comptes adressé il y a tout juste deux an à Nicolas Hulot et à Elisabeth Borne. La Cour était même optimiste en prévoyant que la dette de Fret SNCF devait atteindre 5,1 Md€ en 2020 alors qu’elle va dépasser les 5,2 dès 2019 (contre 1,8 il y a 11 ans). Si elles sont mieux révélées pas les comptes,ces contre-performances ne datent pas d’aujourd’hui : j’ai le souvenir précis que, lors des « Assises du ferroviaire » de 2011, à un représentant de la CGT qui réclamait plus d’aides publiques pour le fret,le patron de Fret SNCF a lui-même rappeléqu’ils avaient reçu depuis dix ans des aides « d’un demi-milliard de cash chaque année » et que cette situation n’était pas durable.

Elle s’est, certes, un peu amélioré dans la mesure où Fret SNCF a réduit la voilure en divisant par plus de deux ses effectifs depuis 2008 pour arriver à une perte opérationnelle « réduite » à 172 millions l’année dernière ; dans la mesure aussi oùles activités les plus déficitaires ont été délaissées, à l’exemple de ce train Perpignan-Rungis pour lequel la SNCF n’a pas souhaité renouveler le contrat avec les entreprises clientes.

Comment peut-on expliquer les problèmes de rentabilité de cette ligne ? Sont-ils liés à des problèmes de gestion ou, plus structurellement, à la marchandise transportée ou au modèle même du fret ferroviaire ?

Cette ligne n’est qu’un cas particulier illustratif d’une multitude de services pour lesquels les recettes ne couvrent pas les coûts. En tout cas les coûts de Fret SNCF.

A en croire des calculs diffusés par SNCF Mobilité au moment des grèves liées à la dernière réforme, cette société souffre d’un déficit de compétitivité de 27 % par rapport à ses concurrents et aux opérateurs étrangers. Ces 27 % sont principalement dus à ce qu’il est convenu d’appeler la gestion des ressources humaines. Le référé de la Cour des Comptes que je viens d’évoquer fait des comparaisons cruelles entre Fret SNCF et VFLI,société privée qui fait en somme le même métier mais qui est une filiale du groupe SNCF. En quelques lignes et quelques exemples (coût et organisation du travail, absentéisme,…) on comprend pourquoi VFLI gagne des parts de marché et dégage un profit dans le temps où Fret SNCF fait le contraire.

Comment s'assurer que le fret ferroviaire soit rentable ? De quels pays peut-on s'inspirer ?

Avant que le fret ferroviaire ne soit effectivement ouvert à la concurrence en France, c’est-à-dire avant 2007, d’autres pays ont considéré que ce pouvait être profitable au ferroviaire, et aussi à l’environnement, de procéder à cette ouverture. Sur la période 2000-2006 le fret ferroviaire s’est ainsi accru de plus de 28 % en Allemagne et au Royaume Uni. En France, où l’opérateur historique était encore en situation de monopole, Il a diminué de 26 % ! Notons que le ministre en charge des transports de 1997 à 2002, était le sympathique Jean-Claude Gayssot, ancien responsable de la CGT Cheminots que l’on ne peut soupçonner de vouloir délibérément du mal à sa chère SNCF. Il avait témérairement promis un doublement du fret ferroviaire.

A partir de 2007, des concurrents de l’opérateur historique sont entrés lentement sur le marché. Ils pèsent aujourd’hui 40 % du fret ferroviaire, VFLI comprise. Cela n’a pas fait remonter spectaculairement la part de marché du fer par rapport à la route mais au moins a-t-elle cessé de diminuer : dans le quart de siècle 1986-2010, cette part de marché du fer avait été divisée par 3 passant de 27 % à moins de 9 %. Depuis 2011 elle semble stabilisée au-dessus de 9 %.

Le fret ferroviaire peut donc être rentable et bien présent dans le marché à la condition que SNCF Réseau poursuive ses efforts pour offrir des « sillons » (itinéraires et horaires) qui permettent d’assumer autant de ponctualité que le concurrent routier. 

Ces péripéties ne sont-elles pas désolantes à un moment où chacun voudrait que les transports soient plus écologiques ?

On touche à une question essentielle. Il s’agit de savoir de savoir ce qui est le plus utile à notre environnement. Est-ce un opérateur ferroviaire qui accumule des déficits et des pertes de part de marché ou un ensemble d’entreprises qui ne réclament pas d’argent public et qui gagnent des parts de marché. En choisissant la deuxième option il y a exactement un quart de siècle, le Royaume Uni a doublé (doublé !) son fret ferroviaire et a réservé son financement public (plus modeste que le nôtre)à une restauration du réseau ferré aujourd’hui achevée.

La meilleure manière de favoriser des modes de transport propres, c’est évidemment de leur permettre de choisir l’efficacité économique. Quitte à faire pleurer les disciples de Greta.

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