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La planète face au défi de la nutrition infantile
©Manan VATSYAYANA / AFP

Alimentation

Un nouveau rapport des Nations Unies avertit que le nombre de personnes sous-alimentées dans le monde a augmenté pour la troisième année consécutive en 2018 et dépasse maintenant 820 millions. Environ deux milliards de personnes (plus du quart de la population mondiale) n'ont pas accès régulièrement à une nourriture sûre, nutritive et suffisante. Cette réalité pourrait avoir des conséquences sur les inégalités de développement.

Bruno Parmentier

Bruno Parmentier

Bruno Parmentier est ingénieur de l’école de Mines et économiste. Il a dirigé pendant dix ans l’Ecole supérieure d’agronomie d’Angers (ESA). Il est également l’auteur de livres sur les enjeux alimentaires :  Faim zéroManger tous et bien et Nourrir l’humanité. Aujourd’hui, il est conférencier et tient un blog nourrir-manger.fr.

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Atlantico.fr : Les Nations unies nous avertissent qu’après des années de baisse, le nombre de personnes sous-alimentées dans le monde réaugmente depuis 3 ans et qu’en 2018, plus de 820 millions de personnes dans le monde souffraient toujours de la faim. Ne peut-on vraiment pas vaincre le fléau ?

Bruno Parmentier : Apparemment, non ! Car on ne le veut pas. Il est quand même frappant de voir que, si on considère le temps long, il y avait exactement le même nombre de personnes sous alimentées en 2018 qu’en l’an 2000, mais aussi qu’en 1950 et en 1900 ! Tout se passe comme si, quel que soit le nombre d’habitants de la planète, l’humanité n’arrivait pas à descendre en dessous de 800 à 850 millions d’affamés. Pourtant, dans le même temps, la population totale est passée de 1,8 à 7,6 milliards. On a donc réussi à nourrir près de 6 milliards d’humains de plus… sur les mêmes terres, alors, pourquoi ne pouvons-nous, ou plus exactement ne voulons-nous pas « finir le job » ?

Et ce, d’autant plus qu’au-delà de ces centaines de millions de gens qui ont faim (plus exactement qui ne disposent pas d’assez de calories alimentaires pour mener une vie digne), quelque deux milliards de personnes, soit plus du quart de la population mondiale, n’ont pas accès régulièrement à des aliments sûrs, nutritifs, diversifiés et suffisants, et souffrent donc de carences de vitamines, de protéines, d’éléments minéraux, etc., qui menacent leur santé. Sans compter les obèses, autre fléau mondial !

Or, si en 1900 la faim pouvait encore apparaître comme une fatalité, car on n’était pas très bon en agriculture ni en transports internationaux, ce n’est absolument plus le cas actuellement. Aujourd’hui la faim n’est fille que notre cupidité, notre incurie et notre indifférence. Songeons qu’on mange beaucoup mieux dans la Chine de Xi Jinping, qui compte près de 1,4 milliards de chinois, que dans celle de Mao Zédong, qui n’en affichait que 700 millions ! Ou bien que, si un petit enfant continue à mourir de faim tous les 6 à 10 secondes, la seule association Action contre la faimavec ses faibles moyens arrive à en sauver un toutes les 3 minutes !

Les Nations Unies avaient espéré vaincre la faim en 2030, on en est bien loin. Elle a fini par disparaitre de l’Europe, et elle baisse régulièrement en Asie de l’est et en Amérique latine, mais elle stagne dans la péninsule indo-pakistanaise et elle croît fortement dans l’Afrique sub-saharienne (plus les Caraïbes) ! Pourquoi ce qui a fini par réussir un peu partout (augmentation de la productivité de l’agriculture, protection infantile, redistribution sociale, avancées de la paix civile, etc.) ne « marche » pas dans ces dernières régions ? Une question d’autant plus cruciale que ce sont précisément les régions qui vont le plus souffrir des effets délétères du réchauffement climatique…

Une étude initiée par la FAO et menée depuis 1969 au Guatemala sur le lien entre inégalités nutritionnelles et d'autre types d'inégalités, notamment scolaires, vient d'être présentée. Quelles en sont les conclusions ?

Depuis 1969, on a comparé sur le long terme deux communautés guatémaltèques. L’une a reçu un accès continu à un supplément de micronutriments et de protéines appelé atole. En outre, les professionnels de santé ont rendu visite aux mères pendant la grossesse et fourni gratuitement des services médicaux. Une autre collectivité voisine avait le même programme, sauf que le supplément alimentaire était fourni sans protéines.

Dans la première communauté, le retard de croissance des enfants a diminué de plus de moitié. Ils sont demeurés plus longtemps à l’école, ont appris davantage, ont obtenu de meilleurs résultats aux tests cognitifs à l’âge adulte et ont occupé des emplois plus spécialisés et mieux rémunérés. Une fois adultes, leur revenu moyen a étéde 60 % plus élevé.

Or le coût de cette opération « bonne alimentation à un enfant pour les deux premières années »est dérisoire, à peine 1 $ par semaine, environ 100 $ en tout ! Et les économistes ont calculé que les effets économiques positifs cumulés ont représenté l’équivalent de 4 500 $ d’aujourd’hui. Chaque dollar consacré à la nutrition des enfants en bas âge en rapporterait donc 45 à la société. Qui connaît un autre investissement aussi « rentable » ? Sans compter que l’Unicef a pu observer que, d’une manière générale, les enfants mal nourris mourraient 9 fois plus de diarrhées et 7 fois plus de pneumonies…

Certaines estimations suggèrentqu’au total la malnutrition pourrait coûter plus de 2 000 milliards de dollars par an à l’économie mondiale. Les investissements dans la nutrition de la petite enfance sont donc cruciaux et devraient être une grande priorité pour les gouvernements donateurs et bénéficiaires, les organisations multilatérales de développement et les fondations philanthropiques. Le bien-fondé de telles dépenses est clair, et les retombées seront presque certainement énormes.

Comment s'explique notre incapacité depuis quelques années à réduire la sous et malnutrition dans le monde, surtout quand on connait ces effets ?

On peut malheureusement comparer ces atermoiements sur le front de la lutte contre la faim à ceux qu’on constate sur le réchauffement climatique : ces questions sont lointaines, globales et relativement abstraites, alors que nos égoïsmes sont bien présents, et nos politiciens gèrent avant tout le court terme. C’est même encore pire pour la faim, car qui connaît personnellement un enfant mort de faim (alors que nous venons tous de vivre deux canicules) ? Et nous assistons malheureusement un peu partout dans le monde à une montée spectaculaires des égoïsmes, personnels, collectifs et nationaux. Il est particulièrement frappant de constater que les deux pays qui ont inventé et promu sans relâche la mondialisation pendant des siècles se renferment rapidement et spectaculairement à l’intérieur de leurs frontières (le Royaume Uni et les USA). Les enfants africains… attendront !

Selon vous, quelles politiques doivent être mises en place au niveau mondial pour répondre à cette question d'inégalité nutritionnelle ?

Le plus urgent de tout est d’aider les paysans africains à développer leur agriculture, alors même qu’ils sont passés à côté de la « révolution verte » des années 60 à 80. Songeons qu’il n’y a pas un seul pays africain qui soit « bon » en agriculture, pas un, et que de nombreuses régions y produisent aujourd’hui moins de nourriture que le jour de la décolonisation, alors que partout ailleurs la production a très fortement augmenté ! Mais ce développement agricole doit se faire d’une part « à leur manière », avec leurs traditions culturelles à eux, et d’autre part « à la XXIe siècle », de façon agroécologique et non plus « tout chimique, tout tracteur, tout pétrole », solution en fin de vie dans les autres parties du monde. On peut, et donc on doit, tripler la production agricole sur ce continent par ces moyens, pour faire face au doublement annoncé de la population et résorber la sous-alimentation, qui touchait encore en 2018 31 % de la population en Afrique de l’est et 27 % en Afrique centrale.

Puis créer des structures sociales qui permettent de nourrir correctement les enfants en bas âge et d’envoyer toutes les enfants (dont les filles) à l’école. Par exemple sur le modèle des politiques « faim zéro » implantées au Brésil du temps de la présidence Lula, avec un succès considérable : en quelques années elles ont permis à 20 millions de Brésiliens de sortir de la pauvreté (ils sont passés de 28 à 10 % de la population), réduit la malnutrition infantile de 61 %, la mortalité infantile de 45 % et la pauvreté rurale de 15%, en favorisant l’agriculture locale et la consommation de produits locaux

Et, à court terme, voler au secours des populations des régions sinistrées, comme savent heureusement le faire de nombreuses ONG, mais dont les moyens sont très insuffisants.

Mais cela suppose que les guerres reculent également dans ces régions, et en particulier dans les derniers endroits où elles subsistent, au Moyen-Orient, dans le Sahel et en Afrique tropicale. Le veut-on seulement ? Même si c’est au détriment de nos approvisionnements en pétrole et minerais ? Même si cela suppose d’arrêter rapidement de réchauffer la planète pour qu’ils n’en subissent pas les effets dévastateurs ?

On voit bien, que, malheureusement, la faim a encore de beaux jours devant elle… Mais après tout, on a bien réussi à baisser considérablement le niveau mondial des guerres et des crimes dans les dernières décennies, sans baisser celui de la faim, ce qui fait qu’aujourd’hui on meurt nettement plus de faim que de guerres ou de crimes, alors pourquoi ne pourrait-on aussi pas baisser le niveau de la faim dans les prochaines décennies ? On peut y arriver !

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