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Facebook choisit la Suisse pour lancer le Libra, monnaie mondiale, comme Martin Luther avait choisi Genève pour lancer la Réforme contre les catholiques
©JUSTIN SULLIVAN / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

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Avec le Libra, Facebook défie les banques centrales comme les protestants ont défié l’église de Rome. Pas étonnant que Mark Zuckerberg s’installe à Genève.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Alors que le G7 Finances qui s’est déroulé ce week-end a vu les grands argentiers condamner les cryptomonnaies, Facebook confirme qu’il installe la base de lancement de sa monnaie Libra à Genève, la ville où Martin Luther a annoncé au XVIème siècle la rupture de son église Réformée avec Rome. 
L’Histoire nous sert parfois des coïncidences d’événements intéressantes pour comprendre les mutations de l’humanité. Pour les mêmes raisons politiques, économiques et juridiques que Martin Luther en 1517 annonçait à l’Occident la rupture de son église avec le Vatican et officialisait le schisme le plus important dans le peuple des chrétiens, Mark Zuckerberg a confirmé sa décision d’installer le siège de la société qui va gérer le développement mondial du Libra, sa cryptomonnaie, à Genève à quelques pas où Luther avait résidé. Et les dirigeants de Facebook prennent cette décision au moment où se termine le G7 Finances qui communique au monde en entier deux intentions importantes certes, mais qui vont rester très symboliques encore très longtemps. 
D‘un côté, les 7 ministres de l’économie et des finances des pays les plus riches du monde ont déclaré être d’accord sur le principe de créer un impôt mondial sur l’activité des grandes multinationales et notamment celles qui opèrent dans le digital. Il s’agit d’imposer les sociétés sur les activités, où qu’elles soient et d’où qu‘elles viennent. Bref, il s’agira de généraliser la taxe GAFA initiée et appliquée depuis peu par la France 
D’un autre côté, les 7 ministres ont condamné le projet de monnaie virtuelle et en particulier celle de Facebook. « Nous refusons l’émergence d’Etats privés qui auraient les mêmes privilèges que les Etats sans les contrôles qui vont avec, sans les obligations qui vont avec », a indiqué Bruno Le Maire, On ne pourra pas reprocher au ministre français un manque de cohérence, lui qui est à l’origine de la taxe GAFA. On pourra cependant s’inquiéter du déficit de responsabilité des dirigeants politiques quand ils prennent ce type de décision qui n’empêchera en rien l’impérialisme des grands du digital. 
Et quand Facebook achète des locaux et installe sa première usine à fabriquer de la monnaie virtuelle et mondiale à Genève, la ville où est née la Réforme, le géant des réseaux sociaux a sans doute de vraies raisons, mais quel pied de nez à l’Histoire.
Quand, il y a 500 ans, le 31 octobre 1517, Martin Luther placarde sur les portes des églises dans le Nord de l’Allemagne, les 95 thèses qui scellent les bases du protestantisme, et surtout la rupture avec l’église de Rome et la hiérarchie catholique, il n’a guère d’échos. Il lui faut attendre 1523, année où les idées protestantes entrent en Suisse et se propagent avec une rapidité fulgurante. Zurich, Bale, Berne et Genève se convertissent. 
Les élites politiques et économiques y voient un outil d’émancipation et de libération dans tous les domaines, politique, économique et surtout financier. Et c’est à partir de la Suisse que l’église protestantes va se propager dans l’Europe toute entière en suivant les grandes lignes de communication et notamment le long du Rhin. 
Mais la propagation de la Réforme en Suisse va aussi imposer l’idée de trouver des consensus et des compromis avec des individus de confessions différentes. La coexistence entre des gens très différents va être aussi importante que la puissance des idées de la Réforme pour le développement de la Suisse. Pendant que certaines régions européennes (dont la France ) s’épuisaient dans des guerres intestines de religion, la Suisse bâtissait des empires financiers d’abord et économiques ensuite. Les catholiques n’ont jamais reconnu les activités de crédit, mais en Suisse, ils n'ont pas, pour autant, bruler sur des buchers les protestants qui développaient des banques et des établissements financiers dans toute l'Europe avec pour objectif de concurrencer la banque juive. Ajoutons à cela que les protestants trouvaient dans les structures fédérales de la Suisse (ou ce qui allait devenir une fédération d’Etats) les moyens d’assouvir leur liberté et la concurrence dont a on avait déjà compris à l’époque qu'elle pouvait être génératrice de progrès. Pendant toute son histoire, la prospérité suisse a profité de cet ADN, en autorisant des facilités fiscales et règlementaires, ce qui lui a valu cet état d’indépendance et de neutralité. La neutralité politique lui assurant l’indépendance. 
Au cours du 20ème siècle, la Suisse a énormément profité d’une industrie financière qui venait se mettre à l’abri des fiscalités et des règlements mis en place par les grandes démocraties mondiales. L’argent est venu se réfugier en masse. Et jusqu'à une époque très récente, le monde entier a fait semblant de ne pas trop attacher d’importance à l’origine de ces fonds. C’était l’intérêt de tout le monde de savoir qu’il existait sur la planète un lieu où on pourrait stocker de l’argent pas très propre. 
Globalement, le succès de la Suisse est le résultat de la gestion habile d’une série de transgressions par rapport au pouvoir. Transgression religieuse, puis politique, puis fiscale, puis légale, et enfin économique et monétaire. 
Facebook ne cache donc pas aujourd’hui son attirance pour ce pays qui s’est construit sur la transgression et qui continue de l’assumer et d’attirer les transgressifs. Le projet de monnaie virtuelle étudié par Facebook est sans doute le projet le plus transgressif depuis deux siècles. Il s’agit de créer une monnaie en dehors d’un Etat, en dehors d’une règlementation et dont la seule puissance sera de pouvoir être utilisée par les 2,3 milliards d’utilisateurs de Facebook dans le monde. Le choix de la Suisse pour y installer les systèmes de gestion n’est donc pas anodin. Règlementation light, fiscalité light et immersion immédiate dans un écosystème dominé par des organisations internationales non-étatiques. Genève est la capitale mondiale des ONG, c’est à dire des communautés et des adhérents qui sont généralement en guerre avec les Etats démocratiques ou pas. Pour toutes ces ONG, la création d’une monnaie mondiale comme le LIBRA dont le marché est considérable, c’est l’arme fatale et miracle. 
Prime sur le gâteau : la fiscalité et une transparence des transactions qui n’est pas obsessionnelle. 
Il n’y a pas de hasard. Facebook ne pouvait pas trouver meilleur havre de paix pour créer cette monnaie qui va à l’encontre des pouvoirs centraux de contrôle des monnaies et qui s’adresse aux adhérents d’une communauté mondiale qui ignore les frontières politiques et qui cherchent à tout prix à  défendre les moyens de la liberté individuelle. 
La réforme à Genève, c’était le début de l’uberisation de la religion et du vivre ensemble. L’église protestante, c’était le Uber de la chrétienté pout s’affranchir du pouvoir du clergé. Le Libra de Facebook est d’une certaine manière le Uber de la monnaie qui s’affranchit du contrôle et des garanties de la banque centrale

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