Pourquoi l’Europe ne s’est jamais complètement remise de l’échec de l’attentat du 20 juillet 1944 contre Hitler<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Europe
Pourquoi l’Europe ne s’est jamais complètement remise de l’échec de l’attentat du 20 juillet 1944 contre Hitler
©Ursula von der Leyen. FREDERICK FLORIN / AFP

Disraeli Scanner

Lettre de Londres mise en forme par Edouard Husson. Nous recevons régulièrement des textes rédigés par un certain Benjamin Disraeli, homonyme du grand homme politique britannique du XIXe siècle.

Disraeli Scanner

Disraeli Scanner

Benjamin Disraeli (1804-1881), fondateur du parti conservateur britannique moderne, a été Premier Ministre de Sa Majesté en 1868 puis entre 1874 et 1880.  Aussi avons-nous été quelque peu surpris de recevoir, depuis quelques semaines, des "lettres de Londres" signées par un homonyme du grand homme d'Etat.  L'intérêt des informations et des analyses a néanmoins convaincus  l'historien Edouard Husson de publier les textes reçus au moment où se dessine, en France et dans le monde, un nouveau clivage politique, entre "conservateurs" et "libéraux". Peut être suivi aussi sur @Disraeli1874

Voir la bio »
Londres, 
Le 21 juillet 2019 
Mon cher ami, 
Il y a 75 ans jour pour jour, le comte von Stauffenberg était assassiné par les nazis, au lendemain de l’attentat manqué contre Hitler du 20 juillet 1944. Pendant longtemps, les motifs profonds de la tentative de tyrannicide ont été mal connus. On a réduit « l’Opération Walkyrie» à la volonté désespérée de sauver l’honneur de l’armée allemande, si compromise avec Hitler. Depuis les années 1950, les historiens ont eu beau jeu de répéter que le parlementarisme et la démocratie n’étaient pas les préoccupations premières d’un certain nombre d’officiers entrés dans le complot. Mais on a mieux pris, récemment, la mesure de la personnalité de Stauffenberg et de l’événement. Et il y a bien des leçons à en tirer pour notre temps. 

Claus von Stauffenberg, un pur héros

La personne de Stauffenberg, tout d’abord. Né en 1907, il appartient à la génération qui a été la plus ambitieuse sous le nazisme, celle qui a profité de la « révolution brune » pour accéder très jeune à des postes de responsabilité. Les rangs des cadres supérieurs de la SS étaient peuplés de contemporains de Stauffenberg. Lui-même appartenait à une vieille famille aristocratique catholique du sud de l’Allemagne. Quand bien même il a pu être séduit par la perspective - mensongère mais volontiers véhiculée par le régime naissant -  d’un régime qui remette l’Allemagne en ordre; quand bien même le jeune officier de carrière a servi son pays avec un total dévouement patriotique entre  1939 et 1943; quand bien même les paroles exaltées du poète nationaliste Stefan George ont longtemps résonné dans son esprit, le catholicisme l’a toujours protégé de la séduction ultime. Petit à petit, à partir de l’hiver 1941-1942, Stauffenberg a saisi la vraie nature du régime nazi. Il est entrée dans une opposition de plus en plus déterminée, restée secrète mais qui l’a conduit à fréquenter les cercles militaires d’opposition et les personnalités entourant Carl Goerdeler mais aussi d’autres grandes personnalités aristocratiques entrées dans l’opposition avant lui : Helmut James von Moltke, Ulrich von Hassell, par exemple. Après avoir été grièvement blessé en Afrique du Nord, au printemps 1943 (il perd la main droite, l’annulaire et l’auriculaire de la main gauche), il bascule définitivement dans la préparation d’une action contre le tyran. 
Il ne s’agit pas d’accumuler les regrets ni de se complaire dans les détails, nombreux, qui ont fait rater l’opération. Hitler a toujours eu, comme l’écrit mon compatriote Ian Kershaw, « la chance du diable ». Le matin du 20 juillet, la réunion d’Etat-major fut avancée de 30 minutes parce que Mussolini effectuait une visite impromptue au Quartier Général hitlérien; Stauffenberg n’eut le temps d’amorcer qu’une des deux charges qu’il avait prévues. Ensuite, la réunion ne se tenait pas pas dans le bunker habituel, en réflection, mais dans un bâtiment provisoire, beaucoup moins propre à amplifier l’effet de souffle par la résistance des matériaux; enfin, l’épisode est bien connu, un des participants éloigna la serviette de la proximité d’Hitler. Stauffenberg lui, qui se méfiait de la velléité de bien d’autres conjurés parmi ses amis officiers, avait tenu à déposer la bombe lui-même dans la salle d’Etat-major. Mais lorsqu’elle explosa, il était déjà en route pour Berlin, où il n’était pas moins indispensable pour prendre la tête du coup d’Etat qui devait suivre la mort du dictateur. Bien que sans nouvelles précises, les conjurés avancèrent autant qu’ils le purent, jusqu’à ce que que l’information de la survie du Führer leur parvienne. Loin de saisir l’occasion qu’ils avaient entre les mains d’en finir, malgré tout, avec le régime, la plupart des officiers, au-delà du cercle des conjurés, qui avaient accepter de suivre l’opération, se rétractèrent. A la fin, il resta un petit groupe de héros, dont Stauffenberg, qui fut fusillé à l’aube du 21 juillet pour trahison. 
Ses derniers mots furent pour crier « Vive la Sainte Allemagne !» Contre le totalitarisme national-socialiste, le cerveau de la conjuration invoquait tout ce qui rattachait son pays au meilleur de la tradition européenne: chrétienne, conservatrice, humaniste. On sait aujourd’hui, grâce aux recherches de Mark Riebling, que le pape Pie XII était au courant de la préparation de l’attentat et qu’il voyait dans le projet de Stauffenberg un tyrannicide légitime. Si l’attentat avait réussi, Stauffenberg aurait siégé dans un gouvernement largement conservateur, présidé par Carl Goerdeler mais qui aurait inclus aussi au moins un membre du SPD: Julius Leber. Ce qui a le plus retenu l’attention des historiens après la Seconde Guerre mondiale, c’est la profondeur et la sincérité des plans de réconciliation européenne que ce futur gouvernement avait en tête. Pour ma part, je pense qu’il faut aller encore plus loin. Le complot du 20 juillet 1944 aurait permis, s’il avait réussi, de faire émerger une autre Europe, plus solide, plus conservatrice. 

L’élément d’alternative au plan de Roosevelt

On mesure aujourd’hui l’étendue du désastre lorsque l’on sait que l’Allemagne a eu autant de soldats tués au combat dans les neuf mois qui ont suivi l’attentat manqué, jusqu’à l’armistice, qu’elle en avait eu jusqu’au 20 juillet 1944. Surtout, c’est durant ces neuf mois que l’Union Soviétique a pu s’emparer d’une grande partie de l’Europe centrale. Le pape Pie XII, qui est le seul à avoir développé une vision parfaitement cohérente de la situation, détestait au même titre les deux totalitarismes. Et il avait, dès l’automne 1939, pris le risque - bien loin de la neutralité qu’on lui prête habituellement - de faire passer à Londres des messages des opposants conservateurs à Hitler. A l’époque, c’était encore la mentalité des appeasers qui faisait la loi. Mais, même par la suite, lorsque le Saint-Siège continua à se faire le relais discret mais constant de messages des opposants militaires à Hitler, Winston Churchill ne prit jamais ce qu’on lui présentait au sérieux. Il devait plus à son ascendance maternelle américaine que ce qu’on pense habituellement. Il était incapable de réfléchir autrement qu’en termes binaires quand il prenait un ennemi pour cible. L’Allemagne qu’il combattait, était « une et indivisible ». Elle ne pouvait compter des opposants conservateurs. Winston fut ainsi entraîné dans la logique de la capitulation sans conditions que voulait Roosevelt. Et, surtout, il priva l’Europe des moyens de résister à la poussée de Staline. 
D’une part, il est évident que si les conjurés avaient pu se réclamer d’un possible armistice avec Londres et Washington - ce que Hitler ne pourrait jamais obtenir - ils auraient eu un pouvoir de conviction considérable et rapidement élargi le cercle de leurs soutiens. D’autre part, arrêter la guerre à l’été 1944, aurait consisté à mettre en oeuvre ce fameux « retournement d’alliance » que redoutait tant Staline. Au lieu que les principaux dignitaires nazis soient traduits devant la justice internationale à Nuremberg, ils auraient été jugés et condamnés par un gouvernement allemand légitime, ce qui aurait été beaucoup plus sain. Les événements ont prouvé par la suite qu’après avoir été aveuglément alliée à Staline, la coalition occidentale a dû inverser sa politique radicalement, se réconcilier avec ce qui restait des forces conservatrices, libérales et social-démocrates allemandes, réintégrer l’Allemagne dans une alliance militaire antisoviétique, reconstruire la puissance économique allemande. Mais entretemps, certains des meilleurs cerveaux conservateurs allemands avaient disparu. Le centre de gravité de la vie politique allemande s’était irrémédiablement déplacé vers la gauche - les conservateurs étaient désormais les chrétiens-démocrates et la République Fédérale se construisit sur l’idée qu’on devait brider la souveraineté nationale au sein d’une Europe fédérale. 
En fait, les dégâts ont été beaucoup plus larges. La capitulation sans conditions de l’Allemagne, l’occupation soviétique d’une moitié de l’Europe, le prestige - impossible à contester - que la victoire de l’Armée Rouge avait procuré à l’Union Soviétique, tout cela contribua à faire émerger une vulgate progressiste, « antifasciste », consistant à penser qu’au fond la gauche avait vaincu Hitler, avec la force d’appoint d’une partie de la droite qui avait sauvé l’honneur. L’évidente parenté entre le nazisme, le fascisme et le communisme fut soudain retournée au profit d’une mise en cause de toute la tradition conservatrice et authentiquement libérale qui a fabriqué l’Occident, ses réussites, ses innovations sans pareilles. Lorsque l’Union Soviétique apparut vieillie, sclérosée, la jeunesse d’Europe et des Etats-Unis ne se convertit pas au conservatisme mais à l’idéologie d’une « nouvelle Gauche », d’abord fascinée par Mao et Trotski, puis, sous le prétexte d’un retour au « jeune Marx », mettant les méthodes de terrorisme intellectuel marxiste au service d’un individualisme absolu.  On est passé en quarante ans de Mao à la théorie du genre. 
Je ne dis pas que ces dérives idéologiques ne seraient pas advenues si le 20 juillet 1944 avait réussi. Je pense simplement que le rapport de forces n’aurait pas été le même, entre la droite et la gauche, entre les amoureux du réel et les sophistes, dans la seconde moitié du XXè siècle. Regardez par exemple comme la réputation du pape Pie XII a été salie, à partir du début des années 1960. Il n’y avait plus de survivants de la conjuration du 20 juillet 1944 pour témoigner du soutien indéfectible du Souverain Pontife au projet de tyrannicide - ancré dans la meilleure tradition théologique médiévale et moderne. On sait aujourd’hui que le tombereau de calomnies fut déversé par des auxiliaires roumains de Moscou sur le terreau néo-gauchiste fertile de Berlin-Ouest. Et des générations de têtes faibles s’en sont emparées au nom de la lutte contre le « dernier des totalitarismes ». 

Ursula von der Leyen et la vacuité du conservatisme allemand en 2019  

J’ai repensé aux résistants du 20 juillet 1944 quand Ursula von der Leyen nous a infligé son très vide discours de candidature devant le Parlement européen. Cette femme politique ne mérite ni les espoirs qu’on a mis en elle au début de sa carrière politique, dans les années 2000, ni les attaques qu’on lui adresse depuis qu’elle est ministre de la Défense. On discerne en elle des restes du meilleur de cette tradition aristocratique allemande dont le noyau resté fidèle au christianisme s’est dressé, viscéralement, contre Hitler. Après tout, il n’est pas banal, dans l’Allemagne d’aujourd’hui, de se présenter fièrement comme la mère de sept enfants qui a, en outre, une belle carrière professionnelle. Mais ce qui frappe l’observateur, c’est la manière dont, pour être élue à la tête de la Commission, Madame von der Leyen a procédé aux sacrifices attendus sur l’autel du progressisme: apocalypse climatique, immigrationnisme, centralisation européenne, instrumentalisation de la cause des femmes; tous les poncifs progressistes y sont passés. En fait, le tableau est extrêmement cohérent: Angela Merkel, produit progressiste conformiste du régime de RDA, soutenait la candidature d’une femme politique, qui est quasiment sa contemporaine, grandie en Allemagne de l’Ouest, et nourrie au lait d’un conservatisme de plus en plus affadi. Madame von der Leyen a réduit à néant il y a quelques années son témoignage personnel et son engagement pour la famille lorsque, pour des raisons politiciennes, elle a dit soutenir l’adoption d’enfants par des couples homosexuels. 
Il ne s’agit pas de verser dans une nostalgie qui deviendrait vite réactionnaire. Mais de constater que la réussite politique des résistants du 20 juillet a manqué cruellement à l’Europe. Qui peut sérieusement nier que l’Union Européenne actuelle n’est qu’une caricature hideuse de ce que les conservateurs, les chrétiens-démocrates et les sociaux-démocrates des années 1940 et 1950 avaient en tête? Et qui refusera d’entendre que la contribution conservatrice au grand projet de réconciliation européenne aurait aidé à stabiliser les fondations de l’édifice. Imagine-t-on ce qu’aurait donné un dialogue entre le Général de Gaulle et le Colonel von Stauffenberg? 
Bien fidèlement à vous 
Benjamin Disraëli

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !